Thierry Rochefort
Délégué national du MRC sur les questions du Travail
Intervention au conseil national du 24 Mars 2013
Je souhaite en quelques minutes relever le défi que nous propose Jean-Luc Laurent et examiner avec vous sur quels thèmes et à partir de quels discours politique fort, nous pourrions exercer notre influence, construire, au fond ce que nous appelions naguère une hégémonie intellectuelle.
Nous sommes bien identifiés sur nos thèmes traditionnels : position juste et anticipatrice sur l’Europe, exigence républicaine en tous domaines, notamment l’éducation, vison géopolitique de la France comme puissance d’équilibre, etc.
Je pense que sur les sujets économiques et sociaux nous pourrions aussi mieux affirmer notre identité. Quelle est notre boussole ? Que voulons-nous ? Nous adapter aux mutations en cours ? Survivre dans la mondialisation ? Modifier les rapports sociaux ? Préserver comme le dit Jean-Marc Ayrault le modèle républicain ? Transformer la société et porter haut l’idée d’égalité ?
Cette question s’est déjà posée à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Entre les libéraux, les anarcho-syndicalistes et le catholicisme social, les républicains ont su affirmer leurs valeurs et porter des projets de transformation. Clemenceau pour ne citer que lui n’est pas seulement le briseur de grèves que l’on décrit généralement. Il est, sur un sujet qui m’est cher - les conditions de travail - le premier à avoir porté des projets de réforme et fondé le Ministère du Travail.
Paradoxalement, c’est en écoutant Jean-François Copé convoquant le « front des producteurs » à l’Assemblée Nationale, lors de son discours sur la motion de censure à l’égard du gouvernement Ayrault, que j’ai ressenti le besoin de réagir.
Nous ne pouvons pas abandonner à la Droite, les mots de travail, d’effort, d’entreprise, de compétitivité comme nous n’avons jamais abandonné, pour ce qui nous concerne, les mots de Nation, de Patrie ou de Défense. C’est tout le combat historique du CERES, jusqu’au MRC que de redonner au peuple le sens des mots et d’orienter l’action politique vers des buts progressistes[[1]]
Il y a, nous le savons, un contenu progressiste dans l’idée de Nation, dés lors qu’elle est comprise comme la communauté des citoyens.
De même, le travail a un contenu émancipateur sur lequel nous ne devons pas céder. Les philosophies respectives d’Hannah Arendt sur le travail et celle de Simone Weil n’emportent pas par exemple les mêmes conséquences. La première, on le sait, distingue l’œuvre et le travail et considère que c’est en dehors du salariat que les personnes peuvent se réaliser. Cela a des implications concrètes lorsqu’on se réfère par exemple aux politiques de réduction du temps de travail. De Michel Rocard à Dominique Méda, en passant par André Gorz toute une partie de la gauche pense que la lutte contre l’aliénation passe par diminution du temps contraint.
Pour ma part, je préfère l’approche de la philosophe Simone Weil qui ne distingue pas l’œuvre et le travail parce qu’il n’y a pas de rupture entre le matériel et le spirituel au sens large, la pesanteur et la grâce et que le travail est à la fois contrainte et dépassement. Selon l’économiste Pierre-Yves Gomez, « Le progrès social ne consiste donc pas à dégager du temps pour l’œuvre, mais à créer les conditions d’un travail authentique dans l’entreprise »[[2]]
C’est la tâche qui semble-t-il nous attend. Nous aurons dans les années qui viennent, pour favoriser le redressement productif, à réfléchir sur une nouvelle articulation des temps, entre le travail et la formation, qui fera sans doute voler en éclats le débat actuel sur les 35H.
Mais revenons au discours de Jean- François Copé. Celui-ci, on le sait, manie habilement les mots : il parle de réhabiliter le travail, il convoque le « front des producteurs », il évoque ce qui nous est cher, l’attractivité de la France. Mais tout sonne faux lorsque l’on examine ce discours de près et surtout rien ne rassemble, tout divise et clive inutilement la société : le travail s’oppose à l’assistanat, le front des producteurs s’oppose au camp de ceux qui revendiquent, la société civile s’oppose à l’Etat. La solution éternelle des libéraux : libérer l’initiative, démanteler le droit du travail, s’en remettre exclusivement à l’initiative privée et le reste viendra de surcroît, comme dans les fables que l’on raconte aux enfants… Le regretté Pierre Guidoni, qui m’a formé naguère, a tout dit sur le libéralisme et ses ennemis, il y a quelques années dans un article que je vous invite à lire et à relire, tant il est d’actualité[[3]]
La vérité, est que nous devons assumer et porter le discours de l’intérêt général, comme républicain et cesser de d’opposer les uns aux autres, favoriser la coopération et la complémentarité de tous les secteurs de la société, comme nous y invite le rapport Gallois. Mais nous ne pouvons le faire, qu’à partir d’un discours politique qui donne le sens, c'est-à-dire à la fois la direction et la compréhension de ce que nous entreprenons.
Nous avons pour notre part, dans notre patrimoine commun, un concept opératoire à revisiter et à actualiser. Il s’agit de l’alliance des productifs construit par Jean-Pierre Chevènement au Ministère de l’industrie au début des années 80. Ce concept peut être utile dans la période pour reprendre pied et conduire avec vigueur et détermination la guerre économique actuelle, impitoyable pour les indécis et les pays sans boussole.
Je vous proposerai dans un premier temps de définir ce concept, puis d’examiner ensuite les changements de posture qu’il implique pour un certain nombre d’acteurs. Je vous inviterai ensuite à passer aux travaux pratiques en examinant à l’aune de ce concept opératoire, la loi actuellement en discussion sur la sécurisation de l’emploi. Celle-ci contribue-t-elle ou pas à forger pour l’avenir, l’alliance des productifs que nous appelons de nos vœux ?
- L’alliance des productifs : un essai de définition
L’alliance des productifs, dans notre esprit, vise dans le champ économique et social, à rassembler l’ensemble des acteurs du système productif autour des objectifs conjoints de performance globale, de justice sociale, de préférence pour le long terme et de patriotisme assumé. Cette nouvelle alliance est un moyen au service d’un but : le redressement national.
Cette nouvelle alliance a d’ores et déjà aujourd’hui des adversaires, des ennemis au sens de Carl Schmitt qui fait de la désignation de ceux-ci le critère la politique. Ces adversaires nous les connaissons bien, le monde de la finance d’une part, les partisans de la décroissance d’autre part.
- Le monde de la finance et de la rente privilégie au sens de Marx, le circuit Argent-Argent au détriment du détour par la production et la marchandise. Le théoricien marxiste Hilferding a décrit naguère les métamorphoses du capitalisme financier qui s’opposent frontalement aujourd’hui au capitalisme industriel, a travers notamment les principes de gouvernance actionnarial qui marginalisent l’ensemble des autres parties prenantes de l’entreprise. Cet adversaire a bien été identifié par François Hollande lors de sa campagne et notamment au moment de son discours du Bourget. Le diagnostic était le bon, on attend encore les remèdes forts pour faire rentrer le fleuve de la finance dans son lit. Les premières mesures posées dans la loi bancaire sont à cet égard bien faibles et nul doute qu’il faudra remettre l’ouvrage sur le métier.
- Les tenants actuels de la décroissance constituent un second adversaire tout aussi redoutable parce qu’ils font généralement de l’acquiescement consenti au déclin, une vertu compensatoire, au nom d’une idéologie vichyste qui ne dit pas son nom. Contrairement à une idée répandue, les tenants de la décroissance ne se recrutent pas exclusivement chez les écologistes, mais chez tous ceux qui consciemment ou pas font une croix sur la croissance en France et en Europe et ne cherchent leur salut que dans les pays émergents.
Ces principes étant posés, les adversaires ayant été identifiés, l’alliance des productifs devra construire une dynamique nouvelle d’acteurs qui ensemble forgeront un nouvel avenir pour la France.
- Une nouvelle dynamique d’acteurs au service du progrès
L’alliance des productifs transcende les clivages de classe habituels. Elle oppose au fond les partisans du déclin à ceux qui sont prêts ensemble à consentir un effort au bénéfice de la nation toute entière. Mais l’alliance suppose un changement de posture d’un certain nombre d’acteurs. Elle appelle un Etat prospectif et stratège, des entreprises innovantes et responsables, des partenaires sociaux engagés et constructifs, des salariés et des cadres impliqués et écoutés.
II.I Un Etat prospectif et stratège.
Dans la mondialisation actuelle, le rôle de l’Etat est plus que jamais nécessaire pour fixer le cap et donner un cadre de cohérence aux efforts des entreprises. C’est pour cette raison que nous saluons les efforts entrepris par le gouvernement Ayrault : création de la banque publique d’investissement, nouvelle politique de filière, crédit impôt-compétitivité, tentative de réorientation de l’épargne vers l’industrie, création d’un nouveau commissariat à la prospective. L’Etat contrairement à l’antienne libérale ne peut pas se désintéresser de la sphère économique et se replier sous prétexte budgétaire sur la sphère régalienne. Il doit intervenir pour préserver les secteurs jugés stratégiques, investir dans l’avenir en partenariat avec les entreprises ou les collectivités locales, sélectionner les projets structurants comme l’on été dans les années 70, le TGV ou le nucléaire. Les projets ne manquent pas : développement numérique, voitures électriques, biotechnologies, robots de nouvelles générations…
II.II Des entreprises innovantes et responsables
Tout le monde déplore le manque d’entreprises de taille intermédiaire et souhaite sur ce plan là imiter le modèle allemand. Partons d’abord de nos atouts, de grands groupes mondialisés, qui ont su se déployer à l’international dans un contexte difficile. Cessons de croire à la fable du « Small is beautiful » et au dynamisme intrinsèque des PME. Celles-ci aujourd’hui sont rarement indépendantes et font partie de groupes ou ont créé des micro-groupes.
L’INSEE dénombrait en 1980, 600 groupes d’entreprises, 5300 en 1995, 32 000 en 2005 et 40 700 en 2008[[4]]. Même les petites entreprises sont liées entre elles pour des raisons financières ou industrielles. Nous devons comprendre et accompagner les transformations de ce tissu productif et favoriser une plus grande coopération entre les grands groupes et les sous-traitants. D’ores et déjà des grandes entreprises montrent l’exemple : SEB par exemple a su innover et continuer à produire en France, Saint Gobain contrairement au dogme anglo-saxon ne s’est jamais replié sur un seul métier et a su jouer dans le domaine de l’habitat de ses complémentarités, EADS travaille avec une myriade de sous-traitants…
Pour favoriser l’alliance des productifs nous devons systématiquement encourager, sous des formes à définir, les entreprises qui investissent, forment leur personnel, sont attentives aux sous-traitants, réduisent la précarité et fabriquent pour une part sur le sol national. C’est ainsi que nous enclencherons un cercle vertueux ou l’intérêt bien compris des entreprises rejoint celui de la Nation dans son ensemble. A l’inverse, les politiques systématiques de rachats d’actions, l’absence d’actionnaires de référence stable, le versement de dividendes excessifs dans une période de crise doivent être pénalisées.
Comme le réclame Jean-Louis BEFFA[[5, des mesures doivent être prises aussi pour lutter contre le contrôle rampant en baissant de 30 à 20 % le seuil de droits de vote, à partir duquel il est obligatoire de déclencher une offre publique d’achat.
II.III. Des partenaires sociaux engagés et constructifs
Au risque de vous surprendre, je pense que Nicolas Sarkozy, sous l’influence déterminante de Raymond Soubie, a réussi à imposer, à son camp réticent une loi très importante, celle du 20 août 2008 sur la représentativité.
Par cette loi, nous sommes sortis de la fiction sur la présomption irréfragable de représentativité. Celle-ci doit désormais se prouver par l’élection et la légitimité des accords sociaux repose désormais sur le fait majoritaire. C’est une révolution silencieuse de grande ampleur qui doit conduire à la modernisation des relations sociales dans les entreprises. Ceci est indispensable pour réussir le redressement productif. Ne nous trompons pas, une grande partie du patronat et de la Droite restent rétifs au fait syndical dans l’entreprise. J’en veux pour preuve, un article récent d’Yvon Gattaz [6] paru dans la revue Commentaire qui stigmatisait l’attitude et le rôle des organisations syndicales. Lorsque le modèle allemand est vanté par les chantres de la rigueur, l’équilibre des pouvoirs et la cogestion qui font en partie la réussite de ce modèle sont généralement passés sous silence et occultés.
Nous devons donc aller plus loin que la loi de 2008, imposer la présence obligatoire d’au moins trois salariés dans les conseils d’administration en particulier celles du CAC 40. Cette présence modifiera la stratégie des entreprises qui seront plus attentives aux enjeux de long terme, à la dimension emploi, à la localisation des sites de production.
Il y a quelques années, un sociologue des organisations, Christian Morel a présenté le modèle français des relations sociales à travers l’image de la grève froide, c'est-à-dire d’une paix armée et d’un conflit latent et permanent. Ce modèle est archaïque, contre-productif dans la crise. Il ne permet pas d’anticiper les évolutions et les restructurations. Il aboutit comme dans le cas de Peugeot a une culture du secret et à des fermetures de sites qui ne sont pas discutées en amont, ni avec les syndicats, ni avec les pouvoirs publics. Ce modèle au fond prétend protéger les salariés, là ou il ne fait qu’entériner un rapport de forces favorable au capital. Par sa faiblesse intrinsèque, notre modèle de relations sociales ouvre la voie à une contestation de type gauchiste, qui n’en doutons pas, sera un jour balayée par les forces réactionnaires, qui n’attendent qu’un signal pour liquider tous les acquis sociaux avec l’appui de l’extrême-droite.
Notre responsabilité en tant que républicain de progrès est de faire évoluer ce modèle de relations sociales pour consolider l’alliance des productifs. Il faudra en finir avec le rituel des consultations en CE ou CCE dans lequel l’avis émis par l’instance représentative n’a pas de conséquences. Il faudra choisir clairement, soit la voie de la négociation, soit la codétermination à l’allemande dans lequel le conseil de surveillance, à parité entre actionnaires et salariés, supervise la direction de l’entreprise.
Mais dans cette nouvelle alliance des productifs, rien ne se fera sans un discours clair adressé aux salariés et aux cadres, à partir de ce qu’ils vivent et ressentent aujourd’hui. C’est ce discours qui manque et que le volontarisme porté sur les questions sociétales, sous le poids de minorités actives, ne remplacera jamais.
II.IV Des salariés impliqués et écoutés
Dans les trente dernières années, le travail et ses conditions de réalisation se sont profondément transformés. Il est piquant de ce point de vue de relire, l’ouvrage de Roger Boissonnat écrit au début des années 90 sur le travail dans vingt ans. On ne pouvait pas se tromper avec plus de certitudes que celles qu’affichent parfois certaines élites bien pensantes dans le cercle de la raison. Non seulement la pénibilité physique des tâches n’a pas disparu, mais de nouvelles pathologies sont apparues, comme les TMS et les RPS.
La rupture avec le taylorisme s’est certes accompagnée du développement du triptyque managérial autonomie-polyvalence- initiative, mais dans un contexte de crise et de financiarisation, l’autonomie mal comprise a généralement conduit à l’isolement des salariés, la polyvalence a souvent provoqué une perte d’identité de métier, l’initiative a été jugée risquée au moment même ou se généralisait les exigences de traçabilité et de « reporting ».
Dans ces conditions que constatons-nous aujourd’hui dans les entreprises et les administrations?
Plusieurs enquêtes montrent de manière convergentes que la tentation du désengagement dans le travail s’étend, y compris chez les cadres.
Or il n’y aura pas de redressement productif possible sans un engagement clair, volontaire et dans la durée des salariés.
A l’évidence, la violence des restructurations, le primat de l’actionnariat, les politiques de court terme minent le pacte social. Nous ne savons pas gérer la transformation en profondeur de nos organisations, y compris dans la Fonction Publique. La RGPP conduite à l’aide de consultants anglo-saxons grassement payés a miné la confiance des agents publics Songeons ici aux drames qui se déroulent à l’ONF, aux difficultés qui existent à l’ex-ministère de l’équipement[[7]
Dans le secteur privé, les changements sont généralement conduits sans association des salariés. Résultat, ils sont plus longs à produire leurs fruits et s’accompagnent de pannes ou de dysfonctionnements organisationnels. Songeons ainsi aux systèmes d’information qui bien souvent ne correspondent aux besoins des utilisateurs. Il est temps de faire mentir cet économiste qui « voyait des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques ». Les gains de productivité et d’efficacité sont là, dans l’association des salariés aux changements. Disant cela, nous rejetons la tentation facile à gauche d’une vision doloriste du travail centré sur la souffrance et la psychologisation des rapports sociaux.
Ce dont nous avons besoin d’urgence, c’est d’un discours sur le travail qui serve de point d’appui et de leviers pour le redressement productif. Il faudra pour cela et sous des formes renouvelées, mettre en place des lieux d’expression qui ne se contentent pas de décrire les dysfonctionnements mais proposent des pistes d’action sous formes de contrat collectif pour l’efficacité de la production et des processus d’innovation.
Le fruit de l’initiative des salariés pour améliorer les process, réduire les pannes, diminuer les rebuts, accélérer l’industrialisation de tels ou tels produits serait alors rétrocédé sous formes d’intéressement. Il s’agira de dépasser les apories des groupes d’expression, versus année 80 pour relier concrètement positionnement stratégique des entreprises et valorisation du travail.
Il faudra aussi redonner du sens aux négociations et obligations en cours qui pleuvent en rafale sur les entreprises et qui traitent les sujets de manière séparés : GPEC, égalité professionnelle, pénibilité, RPS, seniors, qualité de vie au travail, plans de prévention etc… Il est temps que l’Etat propose aux entreprises des plans d’action globaux d’amélioration des conditions de travail visant à la fois le développement de la performance de l’entreprise et la préservation de la santé des salariés. Loin de la démagogie de l’extrême gauche, l’honneur de la gauche pendant le quinquennat de François Hollande sera de renouer avec le monde du travail de manière concrète, incitative et négociée. Cette question est d’autant plus urgente que se profile une nouvelle réforme des retraites.
On risque de jouer comme d’habitude depuis vingt ans, sur les paramètres habituels : durée des cotisations, âge légal de départ, montant des pensions. Je pense pour ma part qu’aucune réforme des retraites ne sera acceptée par le monde du travail, tant que nous n’aurons pas pris parallèlement, à bras le corps, la question du travail des seniors et des conditions du travail. Trop de seniors liquident leurs pensions aujourd’hui alors qu’ils sont déjà en inactivité, du fait du chômage ou de restrictions d’aptitude ou encore d’invalidité, liés à des questions de santé. Ils subissent de fait une double peine qui rend inaudible le discours sur les efforts à fournir en termes de durée de cotisation. Beaucoup voudraient travailler plus, simplement ils ne peuvent pas. La Finlande et les pays nordiques nous ont montré la voie à travers les politiques tripartites de « vieillissement actif ». Il faut s’inspirer de ce modèle et s’appuyer sur les atouts de la France : un centre de recherche exceptionnel le CREAPT (Centre de recherche sur les âges et les populations au travail) et le réseau ANACT qui peuvent industrialiser des solutions pratiques au service des entreprises.
Les salariés, des opérateurs aux cadres sont les premiers à être aujourd’hui pénalisés par les dysfonctionnements organisationnels liés à un mode de management tourné exclusivement vers l’actionnaire qui ignore voire méprise le travail réel. Ils répondront présents si ils ont le sentiment d’être associés et que les efforts consentis ne se retournent pas contre eux.
L’accord conclu récemment chez Renault nous montre que les salariés sont prêts à des efforts conséquents. La loi sur la sécurisation de l’emploi permettra-t-elle d’amplifier le mouvement et d’esquisser l’alliance des productifs que nous appelons de nos vœux ?
- La loi sur la sécurisation de l’emploi : un premier pas vers l’alliance des productifs ?
Cette loi, comme l’a dit Jean-Luc Laurent ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité. Elle fait débat à gauche parmi les syndicats et au MRC. Ce débat est légitime et les insuffisances ou les risques de certaines dispositions sont réels.
Je crains que cette loi ne manque sa cible. Elle est trop large et traite de sujets hétérogènes, là ou il aurait fallu être au contraire plus précis mais aussi plus ambitieux. Elle pose de fait une question de méthode car elle est issue de la conférence sociale de juillet 2012 et aurait, de mon point de vue, mérité d’être mieux encadrée. Le processus conférence sociale, accord puis loi est intéressant à condition de bien poser le cadre du débat et d’éviter au départ les erreurs de conception.
Cette loi dans mon esprit devait avant tout, dans un contexte de crise encadrer les accords compétitivité emploi qui se développent dans certaines entreprises.
Pour cela, il eut fallu combiner de manière cohérente et relier ensemble trois questions clés :
- Le régime du chômage partiel
- La négociation sur la qualité de vie au travail
- L’équilibre des concessions entre capital et travail en cas de crise grave
Il ne fallait pas demander aux partenaires sociaux de régler la question de la procédure des licenciements économiques. L’Etat doit assumer seul ses responsabilités s’il le juge nécessaire. Il faut savoir céder sur l’accessoire pour sauver l’essentiel. Cela aurait sans doute permis d’éviter la non signature de FO et de la CGT.
Ces réserves fortes étant posées, je pense en conscience que nous devons défendre cette loi en l’état et raisonner en dynamique.
Elle permet en effet de rétablir le contrôle de l'administration sur les PSE par voie de validation et d'homologation (article13).
Elle permet désormais aux organisations syndicales de négocier officiellement le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ce qui peut atténuer ses effets. Pour être valide cet accord devra être majoritaire, c'est-à-dire signé par des organisations syndicales ayant recueilli au moins 50 % des voix aux élections professionnelles.
Elle met à disposition des représentants du personnel une base de données unique sur les informations économiques stratégiques dans une logique de plan prospectif à trois ans (article 4).
L'article 12 prévoit la signature d'accord de maintien dans l'emploi pour éviter les licenciements. Aujourd'hui ces accords existent de manière sauvage. Ils seront désormais encadrés et réglementés. En cas de crise grave, perte de marché, baisse du carnet de commandes, l'accord permet certes d'aménager la durée du travail ainsi que la rémunération, mais plusieurs verrous existent :
- l'accord est d'une durée maximum de 2 ans ;
- il doit être signé par des syndicats représentants 50 % des voix aux élections professionnelles et non pas 30 % comme un accord ordinaire ;
- la réduction de rémunération n'est pas possible pour les plus bas salaires ;
- les dirigeants et les actionnaires devront également fournir des efforts.
En contrepartie l'employeur s'engage à maintenir l'emploi des salariés pendant la durée de l'accord
L'enjeu central de cette loi est de sortir de la préférence française pour le licenciement, dés la moindre difficulté, et de profiter du maintien dans l'emploi pour favoriser les reconversions internes, la formation, le développement de nouveaux produits, l'entretien et le développement des compétences…
Renault Trucks par exemple a utilisé le chômage partiel récemment et profite d'une légère reprise actuellement sur le marché du poids lourds. L’Allemagne au plus fort de la récession a utilisé ce mécanisme pour sauver des emplois et redéployer l’activité vers des produits ou des marchés nouveaux.
Les organisations syndicales puissantes notamment la CGT et FO peuvent peser dans ce processus, où le but est de sauver l'emploi et de réorienter la production. La CGT a par exemple une longue tradition d’intervention sur les questions de gestion et possède souvent une vraie expertise sur les questions industrielles.
Il y a à l’évidence à partir de cette loi, une alliance des productifs à construire contre la finance d'une part, et les tenants de la décroissance d’autre part. C'est un combat difficile, exigeant qui suppose de rompre avec les facilités et les registres d’action habituels :
- Contre le gauchisme ambiant, le combat pour l’alliance des productifs réaffirme que le développement de l’emploi passe par des entreprises en bonne santé qui savent négocier les transformations ;
- Contre le libéralisme inconséquent, l’alliance des productifs, montre que rien ne peut se faire sans les salariés et leurs organisations représentatives.
Sortons des réflexes, favorisons la réflexion au service de l’action et du redressement productif de la Nation toute entière. Engageons nous résolument dans ce que Clemenceau nommait « la mêlée sociale ».
[[1]] Didier MOTCHANE. Voyage imaginaire dans les mots du siècle. Fayard
[[2]] Pierre-Yves GOMEZ. Le travail invisible, enquête sur une disparition. François Bourrin. 2013
[[3]] Pierre GUIDONI. Du libéralisme et de ses ennemis. République n°1. Janvier 1988
[[4]] J-M.Beguin. « Un tissu productif plus concentré qu’il ne semblait ». INSEE Première n° 1399, mars 2012.
[[5]] Jean-Louis BEFFA. La France doit choisir. Seuil. 2012
[[6]] Yvon Gattaz. La fin des syndicats est-elle souhaitable ? Commentaire n°130. Eté 2010
[[7]] Sur ce sujet, voir Roland Hureaux. La grande démolition