Les situations de crise se multiplient dans les productions agricoles. Les prix s’effondrent. Selon l’INSEE, en juillet 2009, l’indice général des prix des produits agricoles a baissé de 15,6% en un an. C’est une moyenne qui cache de grandes différences, liées à la volatilité des cours. Pour le lait, la baisse est de 24,4%. Pour les fruits (-34%) et les légumes (-19%), ce n’est pas mieux et, pour les porcs (-8%), c’était déjà mauvais il y a un an. Les prix des céréales sont en baisse, la production étant en augmentation cette année. Ce sont donc presque toutes les productions qui sont touchées par la baisse des prix. Même si les rendements compenseront, le revenu agricole 2009 sera probablement médiocre. Les aides publiques européennes montreront leur justification, même si elles sont distribuées selon des critères qu’il faudrait corriger.
L’union européenne a choisi de faire jouer la concurrence et d’aller vers la suppression des mesures de régulation des marchés.
- Les producteurs français de fruits et légumes sont en concurrence avec leurs collègues européens, dont les législations sociales du travail et leurs modalités d’application sont moins favorables aux salariés qu’en France (par exemple, l’Allemagne, sans salaire minimum dans l’agroalimentaire).
- Les producteurs de porcs sont placés dans un environnement européen libéral qui laisse se développer des usines de fabrication de porcs à base de capitaux extérieurs à l’agriculture dans certains pays (la concurrence entre bassins de production est sauvage).
- La dérégulation est à l’œuvre aussi dans la filière laitière, qui bénéficie du système des quotas depuis 1984, mais les gouvernements ont décidé de les supprimer à partir de 2015 et, en attendant, d’accroître la production autorisée de 1% par an, au moment où la surproduction fait baisser les prix.
Plus encore, la politique d’achat des surplus agricoles va être totalement dévoyée. En destinant ces surplus à une remise sur le marché lors d’une meilleure conjoncture, la commission européenne respecte certes le dogme libéral. Elle va surtout interdire à jamais un retour des agriculteurs à des prix décents en pesant sur les prix.
Les producteurs de lait ont été les premiers à réagir en organisant la grève des livraisons aux industriels laitiers, au niveau européen, afin d’obtenir des pouvoirs publics une réorientation de la politique agricole européenne conduisant à des prix suffisamment rémunérateurs (régulation souple de l’offre en fonction du marché). A plus long terme, leur objectif est de maintenir, durablement, une bonne couverture géographique de la production et de l’industrie laitières en Europe.
Ils ont obtenu satisfaction seulement sur un point : les 27 ministres de l’agriculture, réunis à Bruxelles le 5 octobre, ont décidé de demander à un groupe d’experts de proposer (pas avant juin 2010 !) un nouveau système de régulation des marchés laitiers. Mais rien en ce qui concerne les mesures concrètes pour faire remonter les prix du lait à la production.
La Commissaire européenne à l’agriculture, Mme Fischer Boel, est en fin de mandat. Elle est le symbole même de la politique de l’Union européenne de désengagement des pouvoirs publics du secteur agricole, qui a conduit à une extrême volatilité des prix et des revenus agricoles.
Il est de la responsabilité des Etats de proposer à ce poste une personnalité favorable à une politique européenne de régulation et de maîtrise de l’offre de produits agricoles en fonction de la demande.
L’intervention publique est indispensable pour arbitrer entre les intérêts des différents acteurs de la filière (producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs). Depuis le début de la crise, les producteurs et les consommateurs ont été pénalisés par des prises de marges excessives, variables selon les produits, de la part des industriels et des centrales d’achat liées à la grande distribution.
La puissance publique doit aussi changer les règles de distribution. L’achat par la grande distribution, du litre de lait à 25ct quand le coût de production est supérieur à 30 ct est évidemment intolérable. Mais cet écart devient insupportable quand on considère le prix de vente au public à plus d’un euro.
La grande distribution ne peut avoir le droit de sacrifier les agriculteurs à l’augmentation de ses marges.
L’agriculture a des caractéristiques propres qui nécessitent un traitement particulier de ses producteurs, dont les produits sont essentiels à l’alimentation humaine.
Si le processus libéral initié par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) devait se poursuivre et si les décisions prises en novembre 2008, à l’occasion du « bilan de santé de la PAC », étaient confirmées, on irait tout droit vers le démantèlement de la Politique Agricole Commune (PAC), ce qui est inacceptable. Il faut une réorientation de la PAC en lui fixant un objectif prioritaire : la sécurité alimentaire, ce qui implique de vérifier la nécessité des importations, comme le font les grands pays asiatiques.
Ce qui implique aussi la nécessité du maintien des moyens des services de l’Etat pour conduire une politique agricole digne de ce nom. En effet, au travers de la RGPP, on assiste à la destruction préjudiciable des services du ministère de l’agriculture (baisse des moyens de l’enseignement agricole, suppression des DDAF, des DDSV, concentration sur les régions).
Comme l’a proposé Jean-Pierre Chevènement lors du débat organisé, à sa demande, le 25 juin 2009 au Sénat, il faut revenir à des notions simples :
1- rechercher l’autosuffisance agricole à l’échelle des grandes régions du globe, le commerce agricole étant secondaire.
2- soutenir les revenus et orienter les productions par les marchés et par les prix, rompre avec le système des aides directes.
3- viser l’objectif de régulation, en faisant en sorte de ne pas trop s’éloigner des prix internationaux sur le long terme, et en tenant compte de multiples paramètres régionaux.
4- associer les producteurs aux mécanismes de régulation.
En bref, l’objectif est de trouver un bon équilibre entre le système interne à l’Europe et les relations avec les pays tiers, notamment africains. Les aides au stockage sont préférables pour adapter l’offre aux besoins de consommation. Les aides à l’exportation devront être diminuées, puis supprimées.
Il faut mettre en avant le concept d’une PAC renouvelée et viable, recherchant une certaine autosuffisance alimentaire, ne dépendant qu’à la marge des marchés et des prix mondiaux, afin d’éviter les trop grandes variations de prix et de revenus. Il s’agit d’organiser les relations commerciales dans le cadre de grands espaces agricoles, ce qui permettra de maintenir les paysanneries, en Europe et ailleurs.
La crise alimentaire de 2006-2008 a montré que l’équilibre alimentaire du monde était loin d’être assuré dans le long terme. La situation de l’Afrique est à cet égard particulièrement préoccupante. L’Europe, en raison de son histoire mais aussi de sa proximité géographique, a le devoir de s’en préoccuper si l’on veut éviter de grands mouvements migratoires. On ne peut confier cette mission aux seules lois du marché. L’Afrique est le prolongement naturel de l’Europe.
Notre continent a le droit de se protéger vis-à-vis des grands pays neufs qui n’ont pas les mêmes contraintes. L’Europe peut pourvoir pour l’essentiel à ses besoins alimentaires. Cet objectif d’une relative autosuffisance alimentaire ne nous coupera pas du marché mondial, mais le remettra à sa place qui ne saurait être la première. Car d’autres considérations économiques, sociales, sanitaires, environnementales, doivent primer.
D’une manière générale, il faut opposer au libre-échangisme doctrinaire le principe d’une concurrence équitable dans les échanges internationaux. Nous voyons les produits industriels fabriqués dans les pays à bas coût envahir nos marchés à des prix de dumping, qu’il s’agisse de dumping social, monétaire ou environnemental. La France et l’Europe seraient bien inspirées de ne pas poursuivre dans le domaine agricole le désarmement unilatéral auquel elles ont procédé en matière industrielle.
Nous ne voulons pas que notre agriculture disparaisse comme ont déjà disparu des pans entiers de notre industrie. Nous voulons une Europe qui protège et non une Europe ouverte et offerte, simple relais du libéralisme mondialisé.
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Voir aussi les actes de la table-ronde de la Fondation Res Publica "Quelle politique agricole, au défi de la crise alimentaire mondiale ?", tenue le 9 juin 2008 et du colloque "L'avenir de la politique agricole commune", tenu le 26 juin 2006.
L’union européenne a choisi de faire jouer la concurrence et d’aller vers la suppression des mesures de régulation des marchés.
- Les producteurs français de fruits et légumes sont en concurrence avec leurs collègues européens, dont les législations sociales du travail et leurs modalités d’application sont moins favorables aux salariés qu’en France (par exemple, l’Allemagne, sans salaire minimum dans l’agroalimentaire).
- Les producteurs de porcs sont placés dans un environnement européen libéral qui laisse se développer des usines de fabrication de porcs à base de capitaux extérieurs à l’agriculture dans certains pays (la concurrence entre bassins de production est sauvage).
- La dérégulation est à l’œuvre aussi dans la filière laitière, qui bénéficie du système des quotas depuis 1984, mais les gouvernements ont décidé de les supprimer à partir de 2015 et, en attendant, d’accroître la production autorisée de 1% par an, au moment où la surproduction fait baisser les prix.
Plus encore, la politique d’achat des surplus agricoles va être totalement dévoyée. En destinant ces surplus à une remise sur le marché lors d’une meilleure conjoncture, la commission européenne respecte certes le dogme libéral. Elle va surtout interdire à jamais un retour des agriculteurs à des prix décents en pesant sur les prix.
Les producteurs de lait ont été les premiers à réagir en organisant la grève des livraisons aux industriels laitiers, au niveau européen, afin d’obtenir des pouvoirs publics une réorientation de la politique agricole européenne conduisant à des prix suffisamment rémunérateurs (régulation souple de l’offre en fonction du marché). A plus long terme, leur objectif est de maintenir, durablement, une bonne couverture géographique de la production et de l’industrie laitières en Europe.
Ils ont obtenu satisfaction seulement sur un point : les 27 ministres de l’agriculture, réunis à Bruxelles le 5 octobre, ont décidé de demander à un groupe d’experts de proposer (pas avant juin 2010 !) un nouveau système de régulation des marchés laitiers. Mais rien en ce qui concerne les mesures concrètes pour faire remonter les prix du lait à la production.
La Commissaire européenne à l’agriculture, Mme Fischer Boel, est en fin de mandat. Elle est le symbole même de la politique de l’Union européenne de désengagement des pouvoirs publics du secteur agricole, qui a conduit à une extrême volatilité des prix et des revenus agricoles.
Il est de la responsabilité des Etats de proposer à ce poste une personnalité favorable à une politique européenne de régulation et de maîtrise de l’offre de produits agricoles en fonction de la demande.
L’intervention publique est indispensable pour arbitrer entre les intérêts des différents acteurs de la filière (producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs). Depuis le début de la crise, les producteurs et les consommateurs ont été pénalisés par des prises de marges excessives, variables selon les produits, de la part des industriels et des centrales d’achat liées à la grande distribution.
La puissance publique doit aussi changer les règles de distribution. L’achat par la grande distribution, du litre de lait à 25ct quand le coût de production est supérieur à 30 ct est évidemment intolérable. Mais cet écart devient insupportable quand on considère le prix de vente au public à plus d’un euro.
La grande distribution ne peut avoir le droit de sacrifier les agriculteurs à l’augmentation de ses marges.
L’agriculture a des caractéristiques propres qui nécessitent un traitement particulier de ses producteurs, dont les produits sont essentiels à l’alimentation humaine.
Si le processus libéral initié par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) devait se poursuivre et si les décisions prises en novembre 2008, à l’occasion du « bilan de santé de la PAC », étaient confirmées, on irait tout droit vers le démantèlement de la Politique Agricole Commune (PAC), ce qui est inacceptable. Il faut une réorientation de la PAC en lui fixant un objectif prioritaire : la sécurité alimentaire, ce qui implique de vérifier la nécessité des importations, comme le font les grands pays asiatiques.
Ce qui implique aussi la nécessité du maintien des moyens des services de l’Etat pour conduire une politique agricole digne de ce nom. En effet, au travers de la RGPP, on assiste à la destruction préjudiciable des services du ministère de l’agriculture (baisse des moyens de l’enseignement agricole, suppression des DDAF, des DDSV, concentration sur les régions).
Comme l’a proposé Jean-Pierre Chevènement lors du débat organisé, à sa demande, le 25 juin 2009 au Sénat, il faut revenir à des notions simples :
1- rechercher l’autosuffisance agricole à l’échelle des grandes régions du globe, le commerce agricole étant secondaire.
2- soutenir les revenus et orienter les productions par les marchés et par les prix, rompre avec le système des aides directes.
3- viser l’objectif de régulation, en faisant en sorte de ne pas trop s’éloigner des prix internationaux sur le long terme, et en tenant compte de multiples paramètres régionaux.
4- associer les producteurs aux mécanismes de régulation.
En bref, l’objectif est de trouver un bon équilibre entre le système interne à l’Europe et les relations avec les pays tiers, notamment africains. Les aides au stockage sont préférables pour adapter l’offre aux besoins de consommation. Les aides à l’exportation devront être diminuées, puis supprimées.
Il faut mettre en avant le concept d’une PAC renouvelée et viable, recherchant une certaine autosuffisance alimentaire, ne dépendant qu’à la marge des marchés et des prix mondiaux, afin d’éviter les trop grandes variations de prix et de revenus. Il s’agit d’organiser les relations commerciales dans le cadre de grands espaces agricoles, ce qui permettra de maintenir les paysanneries, en Europe et ailleurs.
La crise alimentaire de 2006-2008 a montré que l’équilibre alimentaire du monde était loin d’être assuré dans le long terme. La situation de l’Afrique est à cet égard particulièrement préoccupante. L’Europe, en raison de son histoire mais aussi de sa proximité géographique, a le devoir de s’en préoccuper si l’on veut éviter de grands mouvements migratoires. On ne peut confier cette mission aux seules lois du marché. L’Afrique est le prolongement naturel de l’Europe.
Notre continent a le droit de se protéger vis-à-vis des grands pays neufs qui n’ont pas les mêmes contraintes. L’Europe peut pourvoir pour l’essentiel à ses besoins alimentaires. Cet objectif d’une relative autosuffisance alimentaire ne nous coupera pas du marché mondial, mais le remettra à sa place qui ne saurait être la première. Car d’autres considérations économiques, sociales, sanitaires, environnementales, doivent primer.
D’une manière générale, il faut opposer au libre-échangisme doctrinaire le principe d’une concurrence équitable dans les échanges internationaux. Nous voyons les produits industriels fabriqués dans les pays à bas coût envahir nos marchés à des prix de dumping, qu’il s’agisse de dumping social, monétaire ou environnemental. La France et l’Europe seraient bien inspirées de ne pas poursuivre dans le domaine agricole le désarmement unilatéral auquel elles ont procédé en matière industrielle.
Nous ne voulons pas que notre agriculture disparaisse comme ont déjà disparu des pans entiers de notre industrie. Nous voulons une Europe qui protège et non une Europe ouverte et offerte, simple relais du libéralisme mondialisé.
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Voir aussi les actes de la table-ronde de la Fondation Res Publica "Quelle politique agricole, au défi de la crise alimentaire mondiale ?", tenue le 9 juin 2008 et du colloque "L'avenir de la politique agricole commune", tenu le 26 juin 2006.