8 juin 2011
Intervention liminaire de Michel SORIN
reprise à partir du blog du MRC 53 - Agriculture et alimentation : intervention de Michel Sorin à Surgères (17) - (publié le 27 juin 2011)
La question alimentaire continue d’être posée, avec de plus en plus de gravité. Près d’un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde, dont 150 millions de plus depuis les crises alimentaires depuis 2007. Parmi ces victimes, les plus nombreuses sont des paysans. La faim provoque des émeutes, des insurrections, des contestations des pouvoirs publics.
Depuis 2007, les prix des produits agricoles sont erratiques. La spéculation financière s’en est emparée (blé, maïs). En France, en 2009, les revenus agricoles ont été en très forte baisse. En 2010, ils se sont redressés, mais ceux des éleveurs (productions animales) ne sont pas revenus à la normale. Dans tous les pays, les agriculteurs sont dans l’incertitude et ils sont nombreux à être dans la détresse. Les salariés, notamment les classes populaires, les chômeurs, les travailleurs à statut précaire, n’ont plus assez de pouvoir d’achat pour manger correctement.
On constate, donc, une aggravation de la question alimentaire depuis trois ou quatre ans. C’est de la responsabilité des Etats. Mais, par incompétence ou inorganisation, ou, le plus souvent, cédant à l’idéologie libérale, les dirigeants ont laissé faire les marchés. La libéralisation du commerce mondial a pris le dessus sur la volonté politique d’organiser l’agriculture dans le but de satisfaire les besoins alimentaires de la population.
Ce constat, fait pour l’agriculture et l’alimentation, est à relier aux déséquilibres financiers mondiaux et à la priorité qui a été donnée à la finance et à la rémunération des capitaux sur les considérations d’intérêt général économique et politique. La crise financière 2007-2008, la plus grave qui ait jamais existé, a amené les Etats à reprendre les dettes bancaires afin de sauver les banques du naufrage. Ce faisant, ils se sont endettés à l’excès sans remettre en cause la prédominance de la finance sur l’économie.
La crise de ce système ne peut que mal se terminer car les USA n’ont plus de solutions. Il y a de fortes présomptions de krach financier international. Cette fois-ci, les Etats ne peuvent rien faire pour l’empêcher. Les peuples ne veulent plus payer pour l’incompétence des dirigeants de la finance et des Etats. On va revenir à l’économie réelle et la politique va reprendre sa place. Tout doit être remis à plat. Il faut arrêter cette logique folle du capitalisme financier qui détruit l’économie productive, arrêter les politiques néolibérales qui creusent les inégalités sociales. Une oligarchie financière a pris le pouvoir, provoquant une régression politique, économique et sociale de grande ampleur.
Préparons le retour des peuples aux commandes. C’est l’objet des prochaines élections nationales en France. Il serait dramatique de ne pas saisir cette opportunité. Il faut rassembler le peuple français autour d’un projet cohérent de gouvernement et de majorité parlementaire basé sur la reconstruction de l’économie et la refondation républicaine de notre démocratie. Nous allons vivre une période exaltante de reconstruction de la démocratie et, en France, de la République.
Notre responsabilité, ce soir, est d’apporter notre contribution à la réflexion politique concernant les moyens d’assurer la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde. Pour cela, il faut remettre à leur place, qui est la première, les agriculteurs, producteurs de denrées indispensables à l’alimentation des populations.
On croyait que l’agriculture était le point fort de la France. Les exportations du secteur agroalimentaire contribuent, certes, à réduire le déficit du commerce extérieur (grâce, surtout, aux vins et spiritueux). Mais, comme Xavier Beulin, le nouveau président de la FNSEA, l’a reconnu, l’Allemagne et les Pays-Bas font mieux que nous parce qu’ils sont plus compétitifs sur les marchés (coûts de production plus bas, aides publiques ciblées).
L’agriculture française est en déclin. Elle est menacée par les renégociations budgétaires* de la PAC à partir de 2013. Pourquoi dépenser de l’argent pour l’agriculture ? L’orientation néolibérale n’a pas totalement disparu à Bruxelles même si le commissaire européen actuel, Dacian Ciolos, est beaucoup moins libéral que son prédécesseur.
* Le budget PAC (environ 40% du budget de l’Union européenne) est important parce que c’est la principale politique commune européenne, longtemps la seule. Les Etats ne conservent qu’une petite partie (environ 10%) des dépenses agricoles.
Mais le problème n’est pas que budgétaire. De ce qu’était la PAC au début, dans les années 1960, il ne reste plus que des mécanismes. Les principes ont disparu depuis longtemps, balayés par l’idéologie néolibérale qui fait confiance aux marchés et détruit toute politique de régulation à l’initiative des pouvoirs publics.
Les « réformes » libérales de la PAC ont abouti à payer les agriculteurs, même s’ils ne produisent rien. C’est ce qu’on appelle le découplage des aides. Les aides publiques sont déconnectées des productions, mais pas des hectares de terres, ce qui a favorisé l’agrandissement des exploitations et la concentration de la production. Pour l’essentiel, les réformes successives de 1992, 1999 et 2003 avaient pour but de rapprocher les prix intérieurs européens des prix mondiaux et se conformer aux principes dominants de l’Organisation Mondiale du Commerce.
En fait, le bilan de la PAC est surtout favorable à l’industrie (agroalimentaire, équipements). Grâce aux aides publiques européennes, les exploitants ont pu continuer de produire et s’équiper. Et l’industrie agroalimentaire étant en position de force dans ses relations avec les producteurs, elle a fixé les prix du lait comme elle l’entendait.
Globalement, en ce qui concerne la PAC, le pire a été évité, principalement grâce aux quotas laitiers qui ont été maintenus jusqu’en 2015. Mais la crise laitière en 2009 a été extrêmement rude, ce qui a donné lieu aux grèves des livraisons de lait à l’initiative d’une nouvelle organisation, l’Association des producteurs de lait indépendants (Apli) qui a apporté des méthodes et une vision nouvelles des rapports de force au sein de la filière laitière. Il y a eu, depuis, des éléments positifs au niveau européen (nouveau commissaire à l’agriculture, nouvelle orientation de la commission agricole du parlement). Les forces en faveur de la régulation sont à l’offensive. Mais rien n’a encore vraiment changé.
Ce qui progresse, au niveau européen et au niveau mondial, c’est le principe de la souveraineté alimentaire (au niveau des Etats ou groupe d’Etats) et le concept du droit à l’alimentation (au niveau de l’ONU).
Souveraineté alimentaire : il s’agit d’assurer la sécurité alimentaire au niveau d’un pays ou d’un ensemble de pays, comme l’Union européenne, ce qui suppose une politique agricole et alimentaire, qu’il faut réinventer en Europe et ailleurs, sauf au Canada où cela donne d’excellents résultats depuis plus de trente ans. Dans ce pays, à l’initiative du Québec, il y a un équilibre en l’offre et la demande, le but étant de satisfaire les besoins des consommateurs canadiens (l’exportation est secondaire). C’est l’organisation des producteurs qui gère l’offre (pour les filières lait, volailles, oeufs de consommation).
La sécurité alimentaire, c’est être très vigilant au niveau sanitaire. On voit les conséquences d’une infection bactériologique sur les aliments, actuellement en Allemagne.
La sécurité alimentaire, c’est prendre les moyens de faire face aux aléas climatiques (destructions de récoltes par les intempéries, insuffisance de récolte par la sécheresse, ce qui est le cas actuellement). Il faut distinguer ce qui est exceptionnel de ce qui risque de se produire plus régulièrement. Ainsi, cet épisode de sécheresse est typique de ce qui nous attend dans les années à venir, en raison du réchauffement climatique. C’est l’Institut de Recherche Nationale Agronomique (INRA) qui le dit. Cela pose la question de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Il y a du bon parce que cela oblige à apporter moins d’eau, moins de pesticides, moins d’engrais, tout ce qui donne à cette agriculture hyper intensive son caractère artificiel. Il faut trouver des réponses à cette évolution, en améliorant l’organisation des cultures, en changeant les plantes, en utilisant des espèces résistantes à la sécheresse…
La sécurité alimentaire, c’est réserver les terres productives à l’agriculture. L’espace agricole est utilisé de plus en plus par l’urbanisation, sans doute de manière excessive. Et des plantes comme le maïs ou le blé, Aux USA, servent à produire de l’éthanol. Ce carburant est de plus en plus utilisé dans ce pays, où 40% du maïs est transformé en éthanol. A noter que 15% de la production agricole dans le monde va vers des utilisations non alimentaires.
La sécurité alimentaire, c’est permettre des revenus réguliers et suffisants pour les producteurs. Pendant 20 ans, les cours mondiaux des céréales ont été trop bas. Puis il y a eu explosion des prix en 2007-2008, qui ont été à l’origine d’émeutes de la faim dans certains pays dépendant du marché mondial pour leur approvisionnement alimentaire. Depuis presque un an, nous voyons arriver une nouvelle crise alimentaire. Le prix du blé et d’autres céréales a doublé. L’indice des prix des produits alimentaires a battu son record en mars 2011.
Assurer la nourriture à neuf milliards de personnes en 2040, c’est possible, à condition d’éviter certaines erreurs : prix trop bas durablement à la production, suppression des stocks nécessaires, production d’énergie avec une efficacité énergétique très médiocre. Le prix des céréales a doublé alors que les récoltes étaient très bonnes. Qu’en sera-t-il en cas de sécheresse faisant baisser les récoltes ?
Et, comment faire pour que les paysans des pays pauvres ne meurent pas de faim, ce qui est souvent le cas actuellement ? Le concept de droit à l’alimentation, porté par Olivier de Schutter, est un élément nouveau intéressant. Le rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation a fait 8 propositions en février 2011 :
Soutenir la capacité de tous les pays à se nourrir eux-mêmes.
Appuyer la constitution de réserves.
S'attaquer à la spéculation des acteurs financiers.
Soutenir la création de filets de sécurité sociale.
Encourager les agriculteurs à s’organiser.
Protéger l'accès à la terre.
Soutenir la transition vers une agriculture durable.
Protéger le droit à l'alimentation.
La faim est, avant tout, une question politique. Les dirigeants des Etats n’assument pas toujours leur responsabilité première, qui est de nourrir la population dont ils ont la charge. C’est la première chose à faire. Il faut aussi que l’ONU ait les moyens de constituer des stocks pour réguler les marchés et de favoriser le développement des cultures vivrières.
Le principe de gestion et, donc, de maîtrise de l’offre de production est à mettre en œuvre au niveau européen. L’Europe doit produire pour assurer sa sécurité alimentaire, d’abord, pour exporter, ensuite, quand c’est possible, mais sans subventions. Les producteurs doivent être rémunérés par l’activité économique, pas par des aides publiques systématiques, comme c’est le cas actuellement. Celles-ci sont utiles au niveau territorial quand les conditions de production sont difficiles.
Il faut rapprocher les producteurs des consommateurs, produire de la qualité (sanitaire) et du goût pour satisfaire les consommateurs, à des prix abordables. Les contraintes écologiques (éviter des transports longs de produits alimentaires) rejoignent le souci de la qualité des produits. Il faut permettre à l’agriculture paysanne d’exister et définir les conditions écologiques et sanitaires d’une agriculture plus intensive.
En conclusion, il y a deux endroits où il est possible d’avancer :
- A l’ONU, autour du concept de droit à l’alimentation, du développement des cultures vivrières et de la régulation des marchés par le stockage.
- En Europe, par la refondation de la PAC sur des bases nouvelles, respectant les producteurs et les plaçant au cœur du système de régulation, avant la mise des produits sur les marchés. C’est ce que propose l’Apli pour la filière laitière, où elle est rejointe par les deux organisations syndicales minoritaires (la Confédération paysanne et la Coordination rurale).
La proposition consiste à organiser la filière laitière en créant une agence de régulation européenne et un office du lait, avec un système de prix évoluant dans un tunnel de fluctuation limitée, permettant d’adapter la production aux possibilités du marché.
Il faut une véritable organisation rassemblant tous les producteurs et une interprofession complète, dans laquelle tous les acteurs de la filière sont représentés. Et il faut introduire de la démocratie dans ce nouveau dispositif, ainsi que de la coordination au niveau européen, car c’est à ce niveau qu’est le pouvoir de décision politique en ce qui concerne l’agriculture.
Le Canada est une référence, à adapter à notre situation européenne. La Suisse s’oriente vers l’adoption du principe de souveraineté alimentaire, la majorité des acteurs politiques de la Confédération étant mobilisés pour son adoption et pour donner un contenu à une vraie politique agricole et alimentaire.