Jeudi 24 Mars 2016

Parking de la MAT : "ce projet est bâclé, [...] contraire aux intérêts de la ville et des habitants"



Intervention de Bastien Faudot au Conseil municipal du 18 septembre 2014


Monsieur le Maire,
Chers collègues,

Vous nous proposez d’adopter ce soir  « le principe de la construction d’un parking sous-terrain de stationnement sur le site de l’actuel parc de stationnement de la MAT », ainsi que – je vous cite toujours : «  la mise en œuvre d'une procédure de Délégation de Service Public pour la construction et l'exploitation de ce parc de stationnement, ainsi que des variantes sur la globalité du stationnement payant ». Avec ce rapport, c’est au bas mot une trentaine de millions de dépenses publiques et privées qui vont être engagées (coût des parkings, coûts des logements, coûts des espaces publics) avec la baguette magique de la Délégation de Service Public qui fait croire que personne ne paiera, sauf des grands groupes qui n'attendent que notre accord pour prendre généreusement nos intérêts en charge. Mais nous avons tous ici passés l’âge de croire à de telles fables.
 
Je terminerai mon intervention en vous expliquant pour quelles raisons juridiques je vous propose de ne pas délibérer ce soir en renvoyant le rapport le temps qu'il vous faudra pour le compléter par les informations indispensables pour donner à notre délibération une assise juridique solide. 
 
Mais compte tenu de l'importance de la décision que vous nous proposez pour Belfort je veux d'abord commencer par aborder le fond du dossier. En faisant une première observation de méthode. Vous connaissez la situation dramatique dans laquelle l'ensemble des collectivités locales vont se trouver compte tenu d'une baisse sans précédent des dotations de l'Etat aux collectivités. Belfort ne sera pas épargné et c'est d’après mes calculs, plus de 25 millions d’euros qui vont manquer sur la durée du mandat pour notre ville. Nous ne pouvons pas engager des dépenses considérables sans avoir cet élément à l'esprit. D'autant que s'ajoute à cette réduction des dotations une baisse dramatique de la ressource fiscale spécifique au Territoire de Belfort. 5 Millions d'euros en moins au titre de la CVAE pour le Conseil Général et 2,5 millions pour la CAB, pour la seule année 2015. La ville comme l'ensemble des communes du Territoire de Belfort doivent s'attendre à une baisse des financements du Conseil Général qui touchera tous les secteurs de l'action publique locale. Quelles seront donc les conséquences pour le budget 2015 ? Et les suivants ?

Ce projet que vous nous proposez ce soir témoigne de l’absence d'une prise de conscience de la réalité. Comme si vous n'arriviez pas à articuler vos critiques au gouvernement et la situation concrète dans laquelle vous vous trouvez comme maire et président de l'agglomération.  Quelle est votre vision d’ensemble ? Quelles sont vos priorités d’aménagement ?  Votre projet mêle logements, parking et commerce sur le secteur de la MAT, sans tenir compte des enjeux d’aménagement sur d’autres secteurs sur lesquels vous avez pris des engagements : je pense aux Nouvelles Galeries sur le plan commercial, je pense aussi à la reconversion du site de l’hôpital au plan immobilier. Il vaut mieux envisager les opérations une à une, penser leur complémentarité et leur cohérence. Ouvrir des chantiers c’est bien, les réaliser c’est mieux, les réussir c’est encore mieux.

Je demande donc en préalable à ce que le conseil municipal soit saisi en urgence d'un véritable budget pluri-annuel d'investissement qui lui permette de ne pas dilapider à l'aveugle le peu de marges de manœuvre dont il va disposer pendant le mandat. Entendons-nous bien : je ne plaide pas pour que mes priorités soient mises en œuvre. Vous avez gagné les élections et c'est à vous de choisir celles de votre programme que vous entendez réaliser. Mais au moins, prenez le temps d'y réfléchir et de permettre à votre majorité de savoir ce à quoi elle devra renoncer si elle s'engage ce soir dans la voie que vous lui proposez.  Et cela permettra à l'opposition de jouer pleinement son rôle. 

Mais cette affaire n’est pas seulement celle des élus. Depuis quelques semaines, des panneaux en ville avertissent les habitants : « Rien ne se fera plus jamais sans vous ». Ce qui m’interroge dans cette formule, c’est ce qu’elle ne dit pas : qu’est-ce que veut dire avec nous pour le maire de Belfort ? Vous avez réactivé le référendum plébiscitaire, selon des modalités d’ailleurs discutables, pour consulter non pas les habitants mais des habitants, sur le retour au double sens sur le Pont Carnot. Pourquoi pas. Mais l’ampleur du projet de la MAT ne méritait-elle pas cette concertation dont vous vous réclamez ? Entendez-vous consulter les habitants après que nous ayons délibéré ? Ou bien ne pas les consulter du tout ? Et au-delà des habitants, entendez-vous entamer un échange avec des professionnels de l’immobilier pour assurer une bonne compréhension du marché ?

La crédibilité de ce projet m’interroge sur le plan de son équilibre financier. Nous sommes dans une crise sans précédent depuis un siècle. Qui va investir sur ce type d’opération qui est structurellement fragile ? Entre le coût de conception, le coût des travaux, la charge foncière, le coût du parking, le coût de la commercialisation, vous pourrez difficilement proposer ces logements à moins de 3000 euros / m². Quand le prix au m² dans l’ancien est inférieur à 1400 euros sur la ville, que des maisons sont achetées entre 1700 et 1800 €/m² en première couronne, qui va donc acheter de tels appartements en centre-ville ? Sans parler de l’offre de logements vacants dans la ville que vous n’avez cessé de dénoncer depuis des années…

La question du coût du parking à elle seule mérite d’être posée. Avec un coût à la place de l’ordre de 41.000 à 45.000 euros, nous sommes dans une ESTIMATION exorbitante. Les parkings souterrains coutent de l’ordre de 15.000 à 20.000, éventuellement 25.000 euros la place. La ville de Biarritz a récemment annoncé un parking souterrain de 350 places pour 5,1 millions d’euros. Vous nous proposez un parking de 310 places pour 13 à 14 millions d’euros ! N’y voyez-vous pas un léger problème ? Et je vais vous livrer mon hypothèse qui nous ramène d’ailleurs au choix de la DSP.

Le modèle économique des gestions de parking confiées à des société privées est si difficile à équilibrer que la collectivité fait payer aux Belfortains un surcoût fictif qui justifiera après coup un doublement du tarif de stationnement pour les clients des commerces et les riverains pour générer des bénéfices à une multinationale. En acceptant un tel prix de construction à priori, vous êtes en train de cautionner leurs marges en les faisant payer très chères aux habitants. Quel sera le surcoût engendré pour les logements ? Quel sera le manque à gagner pour la commune en matière de recettes ? Ce modèle économique a un nom dans l’histoire : la dî
me, la taille et la gabelle dont la perception était assurée par les fermiers généraux. Et ça s’est mal terminé. D’ailleurs, par souci de cohérence, sur le rapport n°7 que nous étudierons tout à l’heure, je vous propose de renommer la place Robespierre en place Necker.

Et le délégataire ne fera travailler le secteur du BTP local de façon à ne pas faire apparaître cette surfacturation.  C’est de l’économie de circuit court, du producteur multinational  au consommateur multinational. Epolia, filiale d’Eiffage choisira-elle un autre qu’Eiffage pour la construction ? Vinci Park fera-t-il appel à Vinci ? Mais où sont les 1700 salariés du secteur BTP de notre département dans cette équation ?

Cet aspect m’amène à la question de la capacité de parkings en centre-ville. Vous annoncez dans la délibération que vous allez, avec ce projet, «accroître de 50% l’offre de parking payant du cœur de ville». C’est une fable. L’offre de parking payant en centre-ville est de près de 1500 places. En admettant votre chiffres de 100 places supplémentaires, vous augmentez dans les faits l’offre globale de 6,5%. On est loin des 50% !

En réalité, c’est pire encore. On comprend que votre annonce d’augmentation de 50% du parking payant en centre-ville n’est en fait que le ratio sur cette seule opération : vous passez la capacité du parking de 209 places à 310 places. Or, le gain pour les clients de nos commerces et les touristes, puisque l’opération est réalisée pour eux, sera bien moindre, s’il existe. En effet, en construisant 42 logements sur les deux opérations immobilières, vous devrez réserver au bas mot 42 places pour les résidents : la loi vous y oblige De plus, pour les logements de la MAT, vous devrez réserver là aussi au moins une place de stationnement par logement. Disons environ 30 logements puisqu’il y a plus de 800 m2 sur 3 niveaux, soit 2400 m². Cela fait au moins 72 places réservées pour les seuls logements sur les 101 places supplémentaires. Je dis au moins, car à plus de 3000 euros du m², il est probable que les habitants de ces logements de standing demandent une deuxième place pour leur logement. Vous allez donc créer au maximum 29 places pour le public dans votre parking, voilà la vérité. Alors quel est le sens de ces 50% ?

Et tout cela en partant d’une erreur de diagnostic ! Le parking de la maison des Arts n’est de loin pas le plus saturé. Le taux de congestion est inférieur à 50% tôt le matin et de l’ordre de 85% en milieu d’après-midi. Ceux de la place de la Résistance, de la rue Thiers, des Nouvelles Galeries ou de parking Coinot sont eux saturés à plus de 95%. Pourquoi donc se focaliser sur cet espace si le besoin ne s’exprime d’abord à cet endroit ?

J’en viens à la question de l’attractivité, puisque c’est la motivation du projet. Votre approche est assez simpliste et caricaturale dans la façon dont vous liez l’attractivité des commerces et la capacité de parking. Il suffirait de créer des places de parking à proximité des commerces pour leur garantir l’activité. Comment expliquer vous dès lors le succès des zones piétonnes où, par définition, les clients ne peuvent se garer devant les vitrines ? Pourquoi le foncier commercial du Faubourg de France est-il l’un des plus chers de notre ville ?

La modernisation du système de transports public lors du précédent mandat a entraîné des travaux conséquents et vous avez déploré qu’ils pénalisent le commerce pendant 16 mois. Mais vous annoncez ici 24 mois de travaux pour faire 30 places de parking supplémentaires au droit de la principale artère de la ville ! Vous annoncez même que vous supprimerez 140 places de parking pendant 2 ans. C’est l’arroseur arrosé ! Ramené à la durée du mandat, vous allez créer 30 places pendant 3 ans, et en supprimer 140 pendant 2 ans. Il n’y aura jamais eu aussi peu de places de stationnement que sous votre mandat sur le parking de la MAT ! N’y a-t-il pas là une contradiction ?

J’en termine sur le point du coût généré pour la ville par ce projet. J’essaie de comprendre et là, c’est l’énigme. Dans le rapport, vous annoncez :
- que les opérations immobilières seront confiées à des promoteurs. Soit, ce sont eux qui réalisent les investissements et qui assurent la rentabilité du projet sur la revente des logements. La ville reçoit donc des recettes foncières, mais de quel ordre, nous sommes priés de délibérer et nous aurons l’information plus tard.
-  que le jardin et les espaces verts représentent un montant estimé entre 1,5 et 2 millions d’euros. On imagine que la Ville prend en charge l’investissement, mais comme ce n’est pas dit, on en est pas certain. D’ailleurs ces jardins seront-ils à usage public ou dévolus aux logements ? Le mystère reste entier.
- que l’investissement de la construction du parking sera ou bien intégré dans la DSP avec son exploitation, ou bien réalisé partiellement par la Ville. Combien représente le gros œuvre ? Mystère là encore. Enfin, ça, c’est ce qui est dit dans le rapport. Car plus loin, sur la délibération à proprement parler sur laquelle nous sommes censés nous prononcer, une des deux variantes a disparu. On vote sur une DSP de construction et d’exploitation : donc je comprends que les investissements seront assurés par le délégataire, mais il reste un doute.
 
Monsieur le maire, au vu de l’importance de l’enjeu pour Belfort, au vu aussi des carences graves de ce rapport et des nombreuses questions qui se posent, le plus sage ce soir est de s’abstenir de voter. On prend le temps ensemble d’en reparler. Vous avez ainsi le temps de concerter la population, les commerçants, les professionnels et on pourra ensuite se prononcer sur un projet abouti et avoir un débat éclairé en conseil municipal.

Comme je l’ai dit en introduction, j’en terminerai enfin par les insuffisances considérables de ce rapport au plan juridique. Je me suis fait confirmer par un fin connaisseur du droit public, qui siégeait il y a encore peu dans cette enceinte, qu’il y a deux obstacles à ce que nous délibérions ce soir sur la mise en œuvre d’une délégation de service publique :
- D’abord les délais de transmission des délibérations pour des sujets relatifs à des procédures de DSP sont de 15 jours afin de permettre aux conseillers municipaux de prendre connaissance de l’ensemble des documents. Nous les avons reçus la semaine dernière. Mais je ne veux pas pécher par excès de formalisme : je vous accorde qu’une semaine suffisait largement pour prendre connaissance de votre rapport dans la mesure où il ne contient aucun des éléments qu'il est normalement en devoir de fournir aux conseillers municipaux.
- Ensuite, et c’est beaucoup plus grave, l’article 1411-4 du Code Général des Collectivités Territoriales issu de la loi Sapin de 1993 sur la transparence des DSP, précise que l’assemblée délibérante « statue au vu d'un rapport présentant le document contenant les caractéristiques des prestations que doit assurer le délégataire ». Les caractéristiques des prestations supposent de rendre raison :
* de leurs motivations,
* de  l’objet et de l’étendue du service,
* de la durée de la DSP,
* de son périmètre,
* des dispositions financières,
* de la gestion du personnel et l’éventuelle reprise par le délégataire des agents qui travaillent aujourd’hui à la gestion des parkings,
* de la production de comptes rendus annuels techniques et financiers,
* des précisions sur le régime comptable et fiscal,
* des conditions contractuelles de cession et de fin de l’affermage…
 
D’ailleurs, je prends soin d’en avertir aujourd’hui le conseil municipal, mais l’ensemble de ces pièces devaient légalement être produites à la Commission Consultative des Services Publics Locaux qui s’est prononcée le 8 septembre. On sait qu’elle s’est prononcée favorablement mais la commission sait-elle seulement sur quoi elle s’est prononcée favorablement ?
 
Donc sur ce premier point, je m’adresse à chaque membre du Conseil municipal : va-t-on voter ce soir une délibération qui n’a aucune chance de passer, sinon le contrôle de légalité en Préfecture, du moins le recours de n’importe quel citoyen devant le Tribunal Administratif ? J’ai désormais une petite expérience du Tribunal administratif et me permets cette recommandation : sans un dossier solide, il vaut mieux l’éviter…
 
Enfin, vous nous demandez de vous autoriser à lancer une procédure de consultation afin de conclure un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Mais assistance à maîtrise d’ouvrage de quoi ? Des opérations de logements confiés à des promoteurs ? Mais ce sont eux les maîtres d’ouvrages !
De la construction du parking sous terrain ? Mais c’est le délégataire qui est chargé, d’après votre propre rapport, de la réalisation du parking !
Je suis d’ailleurs surpris qu’il n’y ait pas deux délibérations. Une délégation de service public et une concession d’aménagement sont deux sujets différents car vous devrez faire une division en volume entre le sol et le sous-sol.
 
En l’absence des caractéristiques nécessaires à la compréhension du projet, je le répète, cette délibération n’aura aucune valeur au plan juridique. J’insiste pour éviter à la Ville et au contribuable des frais de procédure qui seraient du gaspillage en ces temps de disette budgétaire.

Ensuite parce que ce projet est bâclé, parce que ce projet est contraire aux intérêts de la ville et des habitants, parce que ce projet va pénaliser les commerçants du Faubourg de Montbéliard et du quartier, parce que ce projet va renchérir le stationnement, parce que ce projet va privatiser l’espace public sans aucun gain pour la collectivité, parce que ce projet ne correspond à aucun besoin réel, parce que ce projet n’apportera pas d’activité au secteur du BTP local, parce que ce projet contredit les enjeux de mobilité durable, il vaut mieux surseoir et ajourner.
  
Bastien Faudot