Dimanche 29 Janvier 2017

LE VENT SE LEVE / Bastien Faudot : « Le PS est atteint de maladie sénile »



Entretien de Bastien Faudot pour le site "Le vent se lève", mardi 17 janvier 2017, propos recueillis par Lenny Benbara. A retrouver sur http://lvsl.fr/le-ps-est-atteint-de-maladie-senile-entretien-avec-bastien-faudot


Bastien Faudot est le candidat du MRC (Mouvement Républicain et Citoyen) à l’élection présidentielle de 2017. Son parti n’a pas été accepté à la primaire de la « Belle Alliance Populaire » et fait donc campagne de façon autonome. Au programme de cet entretien : la primaire du PS, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, l’école et les injustices sociales.
 
LVSL – Le 5 décembre, jour de notre lancement, nous révélions que vous alliez candidater à la primaire de la « Belle Alliance Populaire » (BAP). Depuis, et à l’instar d’autres responsables de gauche – Pierre Larrouturou, Fabien Verdier, Sebastien Nadot, ou encore Gérard Filoche – vous avez été recalé par les dirigeants de la BAP. Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est passé ? Quel sens a pris la primaire à vos yeux ?
 
Bastien Faudot – C’est très simple. Nous avions dans un premier temps refusé de participer à une opération tactique qui avait été calibrée pour permettre au président de la République sortant de retrouver une légitimité très abîmée dans l’opinion publique. Empêché de se représenter, l’annonce de son renoncement le 1er décembre ouvrait la possibilité de changer le périmètre et la nature de cette primaire. C’était même, de mon point de vue, la condition de son succès.
 
Le PS est atteint de maladie sénile : il a choisi le repli sur lui-même et la division
 
Après la victoire et la dynamique dont bénéficiait Fillon au sortir de la primaire de la droite, avec un FN situé entre 25 et 30 % d’intentions de votes, personne à gauche ne peut se désintéresser du jour d’après le premier tour. La primaire était l’occasion d’un débat franc, sincère, loyal, condition préalable à tout rassemblement. Mais le PS est atteint de maladie sénile : il a choisi le repli sur lui-même et la division. Quelques hiérarques à Solférino ne veulent pas débattre de la seule question aujourd’hui décisive : celle de la souveraineté nationale et populaire. Ils feront donc un congrès à ciel ouvert. Je leur souhaite bien du plaisir.
 
LVSL – L’attention médiatique est actuellement portée sur les primaires. On y voit des candidats dont le programme semble très proche du vôtre, notamment Arnaud Montebourg. Il s’est d’ailleurs entouré d’anciens responsables du MRC telle que Marie-Françoise Bechtel, chargée des questions de laïcité. Vous revendiquez d’être « La gauche qui aime la France ». Pouvez-vous nous dire ce qui vous différencie d’Arnaud Montebourg et de ses accents patriotiques ?

Bastien Faudot – Je connais Arnaud et j’apprécie son panache et sa détermination. Sur le champ économique, il a le courage de remettre en cause la logique de Bruxelles et des eurocrates dans une famille politique qui pratique le déni sur cette question depuis 30 ans. Il a fait l’expérience, comme ministre, de cette technostructure qui entend faire le bonheur des peuples malgré eux. Il a tenté de peser, mais il était à peu près seul, même chez ceux qu’on appelle les frondeurs, à poser la question au bon niveau. Sur la reconquête de notre secteur industriel, sur le « produire en FRANCE », sur l’étranglement des politiques de déflation par l’offre, il a développé une vraie cohérence et une analyse sérieuse de ces sujets. Cependant, comme Tsipras, je pense qu’il s’arrête en chemin : il refuse l’austérité mais accepte la monnaie unique qui en est le moteur. Peut-être qu’il n’en pense pas moins mais qu’il sait qu’il ne peut rien en dire là où il est…
Par ailleurs, je regrette son silence sur les grandes questions régaliennes : laïcité face aux communautarismes, autorité de l’Etat et sécurité, indivisibilité de la Nation. Il est favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales, moi pas. Ces sujets ne sont pas accessoires, ils sont un point d’équilibre de la question sociale. D’une manière plus générale, la gauche ne peut pas se désintéresser de ces sujets là en se focalisant de façon exclusive sur les sujets économiques et sociaux. Ce qui fait société, ce ne sont pas seulement les conditions matérielles d’existence.
 

Crédit photo / Ouest France
LVSL De même, on peut se demander si un candidat tel que Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas été un partenaire possible pour le MRC dans cette élection présidentielle. En effet, celui-ci s’est rapproché des positions que tient le MRC sur la construction européenne et l’euro, tout en tenant un discours républicain. Pourquoi une dynamique de rassemblement du « Non » de gauche à l’UE ordolibérale, que votre parti incarne par ses positions, ne s’est-elle pas enclenchée ? Quelles raisons devraient pousser les électeurs à voter Faudot plutôt que Mélenchon ?
 
Bastien Faudot – Suivre le parcours de Mélenchon demande un vrai effort. Sénateur socialiste pendant 20 ans, il fait aujourd’hui campagne contre le système. Il a les qualités et les défauts de Nicolas Sarkozy : il a son énergie, une capacité quasi magnétique de capter son auditoire, mais il est lui aussi un exalté. Il suffit de relire son discours au parlement sur Maastricht pour comprendre le symptôme : il fait un portrait dithyrambique du choix de l’Europe fédérale et de la monnaie unique. Vingt cinq ans plus tard, il n’a jamais de mot assez sévère contre cette Europe qu’il chérissait tant. Qu’on se comprenne bien : je ne lui reproche pas d’avoir changé d’avis, au contraire, mais je suis toujours très circonspect sur la vigueur des nouveaux convertis.
Mais à l’inverse de Sarkozy, Mélenchon est un homme instruit, très cultivé, doté d’une vraie pensée politique. C’est rare et ça mérite d’être souligné.
Sur le fond, je suis en complet désaccord avec son grand Bing bang institutionnel de la 6ème République. Pour trois raisons : la première, c’est que je crois qu’on a autre chose à faire que de lancer une constituante au printemps prochain compte tenu de l’urgence économique que nous devons traiter. Un tel processus va occuper le pays jusque quand ? Ensuite, sa 6ème République est une république suspicieuse à l’égard des élus. Mais on ne résoudra pas la crise de confiance en constitutionnalisant la défiance ! C’est le cas avec les procédures de référendum révocatoire par exemple. Des garde-fous, oui, des élus en permanence sur la sellette, non. Enfin, il faut que notre Nation perde la mauvaise habitude qui consiste à changer de constitution deux fois par siècle. Il ne faut pas confondre contenu et contenant. Il y a des ajustements à faire, mais pour le reste concentrons-nous sur le contenu des politiques publiques.
Voter Faudot, c’est voter pour une continuité et une ligne qui ne varie pas au gré des circonstances. C’est aussi voter pour le renouvellement du paysage politique. Je n’ai jamais fait dans le jeunisme, mais il y en a franchement marre de recevoir des leçons d’une génération qui s’est goinfrée pendant les trente glorieuses et qui nous rend la France dans cet état.
 
LVSL – On parle peu d’éducation dans cette campagne, sauf pour s’autocongratuler des réformes réalisées du côté du PS ou pour promettre des suppressions de fonctionnaires du côté de François Fillon. Dans votre programme, vous avez inscrit des propositions fortes sur l’École Républicaine, avec l’abrogation de la réforme du collège et l’augmentation de 25% du salaire des enseignants sur 5 ans. Vous allez même plus loin, et proposez le port obligatoire de l’uniforme à l’école, pourquoi cette mesure ?
 

Bastien Faudot – L’école, comme toutes les institutions publiques, est confrontée à des problèmes de moyens après 30 années d’offensive libérale contre l’État. C’est un sujet sur lequel les gouvernements de François Hollande ont plutôt fait le boulot, il faut être juste.
Il reste un point noir : la rémunération des professeurs qui est aujourd’hui très sous-évaluée. Les professeurs allemands gagnent près du double ! Les 25% d’augmentation que je propose sont un minimum absolu car nous sommes aujourd’hui confronté à une crise des vocations. Or, nous ne redresserons pas cette grande et belle institution sans ceux qui la font vivre tous les jours. Si l’on veut un corps de hussards, nous devons valoriser leur mission et notamment à travers la fiche de paie.
Mais les problèmes que rencontre l’école de la République ne se résument pas à la question des moyens. C’est d’abord toute l’approche qui doit être réinvestie après trente années de dérive pédagogiste, cette petite morale misérabiliste, qui triomphe au ministère et dans les IUFM. La réforme du collège incarne cette approche jusqu’à la caricature : enseignements interdisciplinaires qui relèvent davantage de l’animation que du cours, remise en cause de l’enseignement des humanités et notamment des langues anciennes, territorialisation de l’enseignement en fonction des publics. On assomme les professeurs avec la réformite permanente. Avec moi, les enseignants ont deux garanties : ils feront leur métier, c’est-à-dire d’abord transmettre les savoirs, et on leur foutra la paix car toute c’est toute l’institution qui a besoin de stabilité.
Sur l’uniforme, je m’étonne que cela étonne. L’école n’est pas la rue. Pour ma famille politique, c’est un lieu à part. Dans le monde entier, une grande majorité de pays, sur les cinq continents, pratiquent l’uniforme pour les élèves jusqu’au lycée. En quoi cela pose-t-il problème pour notre gauche bien-pensante en France ? Le vêtement, pour les plus jeunes, renvoie à des appartenances sociales parfois violentes : il y a ceux qui portent de grandes marques et ceux qui s’habillent chez Kiabi. Je crois que le rôle de l’école est aussi d’apprendre aux futurs citoyens que l’individualité ne procède pas de l’apparence. Et puis cela règle tous les problèmes de vêtements provocants, des tenues inadaptées, mais aussi de revendication religieuse.
 
LVSL – 32h, 10% d’augmentation du SMIC, retour à la retraite à 60 ans, suppression de la moitié des niches fiscales, sortie de l’euro et sortie du cadre budgétaire européen, votre programme économique est un programme de rupture avec le néolibéralisme et avec l’Union Européenne. N’avez-vous pas peur du saut dans l’inconnu ? Pensez-vous que l’Allemagne laissera faire ? Qu’est-ce qui justifie ces mesures ?
 
Bastien Faudot – Ce dont j’ai peur, ce n’est pas qu’on saute dans l’inconnu, mais plutôt qu’on poursuive ce qu’on connaît trop et qui échoue.
Je vais me permettre d’être assez général, mais je veux rendre compte de ce qui motive mes choix politiques. La rupture que je propose avec le monde libéral procède de l’idée que je me fais de l’humanité. Les libéraux veulent nous réduire à nos fonctions marchandes parce qu’ils sont convaincus que nous ne sommes mus, tels les animaux, que par des intérêts immédiats. Leur projet, c’est la naturalisation des  rapports sociaux, le retour à l’état de nature où chacun est en concurrence avec son voisin, son collègue. Ces rivalités existent bien sûr, et elles génèrent aussi des effets stimulants, mais si elles ne sont pas corrigées, encadrées, réglementées, alors c’est un monde de la toute puissance pour quelques uns, d’avilissement et de soumission pour tous les autres.
Ils veulent faire du business sans État, accumuler du capital tranquillement et impunément, ne pas payer d’impôt, mais par contre ils veulent que l’Etat assure leur sécurité et protège leur capital. C’est une escroquerie en bande organisée.
 
Le rêve des libéraux, d’une économie sans État, sans contrainte, où l’on laisse faire l’autorégulation naturelle, la main invisible, c’est un fantasme d’ado. D’ailleurs, je note qu’il faut beaucoup d’État et beaucoup de lois en réalité pour protéger les intérêts de ces pseudos libéraux ! Le capital, comme la violence physique la plus brutale, broie aujourd’hui les 3/4 de l’humanité. Ils veulent faire du business sans État, accumuler du capital tranquillement et impunément, ne pas payer d’impôt, mais par contre ils veulent que l’Etat assure leur sécurité et protège leur capital. C’est une escroquerie en bande organisée.
Donc oui, mes propositions visent à remettre de la puissance publique, non pas de façon hégémonique, mais de façon stratégique pour permettre à tous les Français d’avoir un rôle, une reconnaissance, une utilité sociale et vivre dans la dignité. Le mérite individuel, le désir de confort, le goût pour l’argent font le reste, je ne suis pas communiste. Mais quand le travail ne permet plus à chacun de gagner son autonomie, nous avons un problème grave.
Quant aux Allemands et à l’Union européenne, je vais être très net : la France n’a pas de comptes à leur rendre. Ma génération n’a connu que les crises, malgré les bons sentiments européens, malgré les refrains sur le couple franco-allemand. Je me sens plus solidaire des 3 millions de mes compatriotes de moins de 30 ans qui sont dans la précarité, que des retraités allemands qui veulent le statu quo pour protéger leur retraite par capitalisation. Si je dois choisir entre les deux, je choisis les premiers sans aucune hésitation.
 
LVSL – Selon nos informations, vous seriez encore loin des 500 parrainages nécessaires pour l’élection présidentielle de 2017. Que comptez-vous faire si jamais vous n’obtenez pas les parrainages dont vous avez besoin ?

Bastien Faudot – Je ne sais pas ce que sont vos informations. Nous avons un peu plus de la moitié des promesses nécessaires. J’en ai récupéré encore hier et aujourd’hui en me déplaçant dans l’Aisne. On sait depuis le départ que le défi est difficile car nous sommes face à un double verrouillage : les parrainages et les médias. Mais je refuse de jouer la partition de la plainte. Si les élites médiatiques et les élus ne comprennent pas l’intérêt de donner la parole à la gauche souverainiste dans ce débat, le danger ne cessera de croître et la crise politique de s’approfondir.
Nous sommes une organisation politique modeste, notre réseau d’élus ne suffit pas. On se pose les questions les unes après les autres. Si nous ne parvenions pas à obtenir les parrainages, nous prendrions les décisions utiles d’abord au pays, ensuite à la gauche. Mais, quoi qu’il advienne, notre voix portera dans les années qui viennent. Pas parce qu’on a raison seuls contre tous, mais parce que le réel a raison. Je prends rendez-vous.
 
Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL