Jeudi 24 Mars 2016

Débaptiser la place Maximilien Robespierre : "Votre position de maire ne peut vous conduire à imposer une lecture de l’histoire"



Intervention de Bastien Faudot au Conseil municipal du 18 septembre 2014


J’aurais pu vous épargner cette intervention s’il y avait eu un lieu, comme autrefois une commission spéciale, chargée de débattre et de fixer les noms des espaces publics dans un esprit de dialogue et de recherche du consensus.

Rares sont les moments d’évoquer entre nous notre histoire et de parler des symboles. Le symbole marque une reconnaissance, constitue un signe de ralliement. Sans symboles, la République est vide. Et les noms que nous assignons aux espaces publics sont une partie de ces symboles comme signatures d’un rattachement à un roman national.

En préalable à mon propos, je veux vous dire M. le Maire, n’ayant pas eu l’occasion de le faire jusqu’ici, que j’ai particulièrement apprécié le sens et l’audace de votre discours le 14 juillet dernier à l’occasion de l’installation de la statue Quand même sur la Place d’Armes. Vous avez prononcé alors un rappel des plus utiles : Bonaparte a installé la Révolution, il a rendu l’acquis révolutionnaire irréversible contre la coalition des monarchies de toute l’Europe. Je dis rappel utile car il y a des hommes, autrefois premier ministre, qui ne l’ont toujours pas compris. Et votre discours témoignait de ce que vous n’avez pas une compréhension univoque de l’histoire.

Pourtant, à la lecture de votre rapport, je cherchais la motivation de votre initiative de débaptiser la place Robespierre et  je suis resté sur ma faim. Je vous cite : « Je souhaite modifier le nom de la place Maximilien de Robespierre, dont certains actes sont controversés ».

Je suis surpris, pour ne pas dire davantage, que vous puissiez vous satisfaire d’une explication aussi expéditive et vous ranger de fait à une lecture si restrictive et bien-pensante de la Révolution française.

Bien sûr, l’homme est controversé car il y eut plusieurs Robespierre, comme il y eut plusieurs Révolutions. Tout le monde ne voit plus aujourd’hui que l’homme de la guillotine. Impitoyable Robespierre ? A l’évidence, oui.

Mais il n’est pas seulement l’homme de la Terreur. Il est aussi le premier, il était alors bien seul, à proposer dès 1789 :
 
* l’abolition de l’esclavage, « Dès le moment où dans un de vos décrets, vous aurez prononcé le mot esclaves, vous aurez prononcé et votre propre déshonneur et le renversement de votre Constitution. […] Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté. Je le répète : périssent les colonies et les colons s’ils veulent, par des menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts. »

* la pleine citoyenneté des juifs : « On vous a dit sur les juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l’histoire. Comment peut-on leur opposer les persécutions dont ils ont été les victimes chez différents peuples ? Ce sont au contraire des crimes nationaux que nous devons expier, en leur rendant les droits imprescriptibles de l’homme dont aucune puissance humaine ne pouvait les dépouiller. »

* le droit de vote aux femmes,
* le droit de vote aux hommes de couleur,
* la liberté de cultes,
* la liberté de la presse,
* l’abolition de la peine de mort
 
Comment se peut-il qu’un homme se fasse procureur de la peine de mort en 1790 et exécuteur en chef en 1793 ? Nous interrogeons là les complexités qui sont celles des hommes qui font l’Histoire. Les héros de la Nation ne sont pas des saints. Jean Moulin a organisé avec les Résistants des attentats contre l’occupant. De Gaulle a confirmé les condamnations à mort des collaborateurs en 1945. De même, Robespierre a agi face à la contre-révolution.

Georges Sand ne dit rien d’autre : « Soyons juste enfin, et ne craignons plus de le dire : Robespierre est l'un des plus grands hommes de l'histoire. Mais dans quelle carrière politique orageuse l'histoire nous montrera-t-elle un seul homme pur de quelque péché mortel contre l'humanité ? Quel grand ministre, quel grand prince, quel grand capitaine, quel grand législateur n'a commis des actes qui font frémir la nature et qui révoltent la conscience ? Pourquoi donc Robespierre serait-il le bouc-émissaire ? »

On ne peut pas évoquer la période violente de la révolution sans comprendre qu’alors il n’était plus question de révolution mais de guerre civile. Au moment où Robespierre use de la guillotine, il y a eu :

* le Manifeste de Brunswick
* Valmy qui hâte et provoque l’abolition de la monarchie
* La campagne des Flandres
* Les premières victoires de Bonaparte à Toulon dans une ville livrée alors à la monarchie britannique
* Les soulèvements contre-révolutionnaires de l’intérieur en Vendée
 
A l’extérieur, toutes les armées européennes menacent la République pour faire échouer la Révolution et tenter de restaurer la monarchie.

Je ferai enfin deux observations complémentaires.

La première, c’est qu’il y a à travers votre initiative un message inquiétant. Votre position de maire ne peut vous conduire à imposer une lecture de l’histoire. C’est ce qu’avait fait prévaloir Jean-Pierre Chevènement lorsqu’avait été évoquée la possibilité de débaptiser la rue Adolphe Thiers, le bourreau de la Commune. Ce débat est en réalité proche de celui engagé en 2005 où la loi prévoyait les contenus des programmes scolaires d’histoire appelant notamment à valoriser le rôle positif de la colonisation. Il n’y a pas d’histoire officielle. C’est un débat permanent de chercheurs et d’historiens duquel le politique doit rester à bonne distance et se garder de l’instrumentaliser.

En second lieu, si vous vous assignez pour mission de débaptiser tous les espaces publics qui empruntent leur nom à un personnage dont certains actes sont controversés, il vous faudra envisager de changer le nom de la moitié des rues de la ville !

Au-delà de Thiers, que dire par exemple de Charles Lindbergh qui a sa rue à la Miotte ? L’aviateur décoré par Goering de l’Aigle allemand en 1936 et qui qualifiera à l’occasion Hitler de « grand homme » ? D’ailleurs, puisque les personnages « aux actes controversés » vous préoccupent, je me permets un conseil : s’il est une rue qui pose problème à Belort, c’est bien, à quelques pas d’ici, la rue du Diable. En voilà un dont on peut aisément considérer qu’il a commis des actes pour le moins controversés !

Je ne m’oppose pas par principe à ce qu’un espace public soit dédié au Général Meyer si ses mérites sont grands. Mais il serait de bon ton de remettre cette décision et de constituer cette commission pour ne pas donner le sentiment aux Belfortains que vous vous saisissez de l’histoire de manière partisane.

Donc, d’abord, en me faisant ce soir avocat de Robespierre, je veux vous dire que le sens de votre décision m’échappe et aussi qu’elle m’attriste.

Aussi finirais-je comme certains dirigeants politiques, parfois inattendus, en citant Jaurès : « Je suis avec Robespierre et je vais m’asseoir avec les Jacobins ».

Bastien Faudot