Vendredi 29 Septembre 2017

Alstom est une entreprise d’intérêt national. Le désengagement de l’Etat est inacceptable.



Intervention de Bastien Faudot au Conseil municipal de Belfort, le jeudi 28 septembre et motion présentée par les élus de la gauche républicaine, socialiste, écologiste et insoumis.


Il y a trois ans, lorsqu’Alstom décidait de vendre sa branche énergie à General Electric, cette opération devait permettre de conforter la branche ferroviaire et de lui donner les moyens de son développement. Aujourd’hui, nous apprenons la création de Siemens-Alstom, qui scelle la fin d’une aventure commencée à Belfort en 1879.
 
Tout cela donne l’image d’un immense gâchis.
 
Après le passage sous pavillon américain de la branche énergie en 2014, dans la même semaine les chantiers navals passent sous contrôle italien, et la branche ferroviaire sous pavillon allemand.
Tout cela donne l’image d’un immense gâchis. De la fin des politiques industrielles ambitieuses qui avaient été lancées par le Général De Gaulle et par Georges Pompidou, à une époque où l’Etat stratège était une réalité, et où la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille.
 
Aujourd’hui, la création de Siemens-Alstom est présentée comme un mariage entre égaux. C’est en fait une opération profondément déséquilibrée...

L’exemple de la branche Energie d’Alstom n’est pas là pour nous rassurer. Le site de Belfort semble voir aujourd’hui partir certaines fonctions d’encadrement supérieur vers la Suisse. Il reste aussi quelques questions sérieuses sur les 3 co-entreprises annoncées dans le cadre de l’accord de novembre 2014 : un documentaire de la chaine parlementaire l’a largement démontré lundi soir*. Le pire étant que tout cela semble moins résulter d’une volonté de General Electric que de l’inertie de l’Etat, qui contraste avec la stratégie mise en œuvre par nos voisins suisse et allemand dans le développement de leurs filières industrielles.
Aujourd’hui, la création de Siemens-Alstom est présentée comme un mariage entre égaux. C’est en fait une opération profondément déséquilibrée avec l’abandon d’un des plus beaux fleurons de notre industrie.
Car il s’agit d’un abandon. 

(*) Émission La Chaine Parlementaire, "Droit de suite ; Alstom : une affaire d'État ?", diffusée le 25/09/2017. Lien LCP

Les contreparties offertes sont de la poudre de perlimpin : 
- La cotation à la bourse de Paris ? la belle affaire : le capital n’a pas de patrie !
 
Le siège à Saint-Ouen ?... il n’y aura pas de représentants des salariés au Conseil d’administration, alors que cela aurait été le cas si le siège avait été installé en Allemagne.

- Le siège à Saint-Ouen ? J’y vois d’abord un intérêt pour l’entreprise allemande : c’est de se délier du droit allemand qui oblige à ce qu’on appelle la cogestion. De fait, aujourd’hui les administrateurs salariés sont à 50% dans le CA de Siemens. Cela veut dire avant tout qu’il n’y aura pas de représentants des salariés au Conseil d’administration, alors que cela aurait été le cas si le siège avait été installé en Allemagne.
 
- Le maintien de M. Poupart-Lafarge ? ils n’ont aucune raison de se séparer d’un dirigeant aussi zélé qui défend aujourd’hui une option que lui et son prédécesseur combattaient hier (M. Kron : « un airbus du ferroviaire serait une sottise »). Chacun se souvient que c’est bien M. Poupart-Lafarge qui avait décidé, il y a quelques mois, de tirer un trait de plume sur le site de Belfort. Et chacun sait que les engagements qu’il avait alors pris de réaliser plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement sur le site de Belfort, afin d’en permettre la diversification, n’ont pas été à ce jour suivis de réalisation.

Et, en tout état de cause, ces trois éléments ne doivent pas cacher la réalité.

La réalité est que Siemens dispose, dès à présent, de la majorité au sein du Conseil d’administration.

La réalité est que d’ici quatre ans, Siemens aura la possibilité de détenir la majorité absolue du capital social.
C’est donc Siemens qui a et aura le pouvoir de décision. Le reste n’est que littérature.

Ce qui génère plusieurs craintes. L’avenir nous dira si elles étaient fondées.
 
470 millions d’euros d’économies d’ici quatre ans. Le chiffre est précis. Cela signifie que c’est un chiffre renseigné.

La première porte sur les choix technologiques. Quelle est la probabilité que le nouveau groupe conserve en son sein deux produits concurrents, le TGV et l’ICE ? Quelle est la probabilité que Siemens donne la préférence à une technologie qui n’est pas la sienne ?

La seconde porte sur les exigences de rentabilité. A l’heure actuelle, le résultat de Siemens par salarié est à peu près le double de celui d’Alstom : 25 000 euros de bénéfices / salarié contre un peu plus de 12 000 chez Alstom.

L’enjeu, pour le nouveau groupe, sera sans aucun doute d’aligner le ration d’Alstom niveau de Siemens. Quels seront les impacts sur l’emploi ? Cela représente un delta de 7 000 salariés.

Certes, on nous annonce que des engagements ont été pris quant au maintien de l’emploi pendant les quatre prochaines années. Mais cet engagement est global, et non pas site par site.

Je vous invite à lire l’article publié par Les Echos, journal généralement bien informé, sous la plume de Lionel Steinman. Deux éléments fondamentaux y sont indiqués.
Premier élément : « En se rapprochant, les deux sociétés tablent au bout de quatre ans au plus tard sur 470 millions de synergies annuelles. Celles-ci devraient principalement provenir de la mise en commun des achats, des investissements en recherche/développement, ainsi également que des « ajustements limités » sur certaines fonctions supports, convenait un cadre en aparté. »

470 millions d’euros d’économies d’ici quatre ans. Le chiffre est précis. Cela signifie que c’est un chiffre renseigné. Cela veut dire, en clair, que tout cela est déjà étudié, programmé, chiffré. Cible prioritaire, la recherche-développement. Des synergies en ce domaine, cela signifie la disparition des doublons, des programmes concurrents.

Second élément. Je cite encore : « L'accord prévoit notamment une garantie sur quatre ans du maintien global du niveau d'emploi des deux sociétés, en France comme en Allemagne. Cet engagement laisse toutefois la possibilité à Alstom de réduire la voilure sur les sites en sous-charge, comme cela se profile à Belfort par exemple. »

Les choses ont le mérite d’être dites clairement.
Le T.G.V. représente l’un des fleurons de notre savoir-faire industriel. A ce titre, il représente un enjeu stratégique pour la France, comme l’a d’ailleurs dit l’actuel président de la République lors de sa venue à Belfort en mai 2015.

Cet enjeu, l’Etat s’était donné les moyens de le faire respecter, en obtenant du groupe Bouygues le prêt de 20% des parts sociales d’Alstom, parts qui lui donnaient un droit de veto sur les décisions stratégiques. Ces parts pouvant être rachetées par l’Etat, avec une date d’échéance le 17 octobre prochain.

Pendant longtemps, l’Etat s’est refusé à cet achat, car le prix convenu était très supérieur au cours de l’action. Ce qui n’est plus aujourd’hui le cas. L’action est exactement au niveau de l’engagement : 35 euros par action.
Or, l’accord passé prévoit le retrait de l’Etat français, qui renoncerait donc définitivement à acquérir ces parts.

De deux choses l’une, ou bien Siemens n’entend pas remettre en cause ces enjeux stratégiques, et n’a alors aucune raison de demander le retrait de l’Etat comme condition d’un accord. Ou bien Siemens a d’autres intentions, que pourrait contrarier le maintien de l’Etat.
 
Nous sommes instruits par l’histoire : beaucoup de promesses et de déclarations ont été faites pour accompagner 30 années d’erreurs et de renoncements.

Dans le cas de STMX, l’Etat a prévu de se maintenir pendant douze ans au capital, avec un pouvoir de blocage. Pour défendre les intérêts stratégiques de la France. C’est une bonne décision. 

La même logique doit prévaloir dans le cas d’Alstom. Seule la présence de l’Etat, avec un réel pouvoir, au sein d’Alstom, est de nature à préserver nos intérêts.

L’Etat n’est pas infaillible, et il arrive qu’il prenne de mauvaises décisions. Mais il aurait probablement du mal à prendre de plus mauvaises décisions que celles qui se sont accumulées depuis le départ de Jean-Pierre Desgeorges, le dernier des grands dirigeants d’Alsthom avec un H. Depuis son départ, en 1995, apogée du groupe, on ne compte plus les erreurs stratégiques au sein d’un groupe dont l’Etat s’est retiré en 1987 sous le gouvernement de Jacques Chirac : c’était le temps béni des privatisations. C’est d’abord l’abandon de la diversification de l’activité, voulue par M. Tchuruk qui prônait « une entreprise sans usine ». C’est ensuite l’achat calamiteux d’ABB et sa technologie défaillante par M. Bilger. C’est enfin la liquidation du secteur énergie, dans les conditions que l’on sait, par M. Kron. Nous sommes instruits par l’histoire : beaucoup de promesses et de déclarations ont été faites pour accompagner 30 années d’erreurs et de renoncements. Elles enrobaient les décisions comme l’excipient pour faire passer la pilule. Mais combien ont été tenues ?
 
Il y a un an, on leur annonçait la fermeture du site. L’Etat intervenait pour le sauver et leur redonnait l’espoir, et aujourd’hui, l’Etat disparaît, sans avoir tenu ses promesses. 

Pour Alstom comme pour STMX, l’opération est présentée comme la constitution d’un champion européen à taille mondiale. Mais, dans le cas des chantiers, la presse titre sur le soulagement des salariés. Dans le cas d’Alstom, sur leurs inquiétudes. Elles sont légitimes.
Dans un cas, l’Etat affirme sa présence et son rôle. Dans l’autre, il accepte de disparaître.
Comme vous, je pense avant tout aux 500 salariés d’Alstom et à leurs familles. Il y a un an, on leur annonçait la fermeture du site. L’Etat intervenait pour le sauver et leur redonnait l’espoir, et aujourd’hui, l’Etat disparaît, sans avoir tenu ses promesses. 

Cette situation n’est pas acceptable. Au-delà des politiques industrielles, il en va de la parole publique, de la valeur des engagements, du respect des personnes.

Monsieur le maire, je ne partage pas l’optimisme que vous avez exprimé hier dans la presse au futur de l’indicatif : « le site de Belfort ne sera pas fermé ». Vous dites avoir été rassuré par l’échange téléphonique avec le ministre de l’économie : « Bruno Le Maire m’a certifié que des administrateurs indépendants veilleront aux intérêts français ».
Il y a une contradiction de fond dans cette affirmation : si ces administrateurs sont indépendants – et ils le sont puisqu’ils représenteront demain des intérêts privés, comment peut-on affirmer qu’ils veilleront aux intérêts du pays ? Jusqu’à preuve du contraire, ils n’ont pas en charge l’intérêt général, mais l’intérêt particulier des investisseurs. C’est là le cœur du problème : ils n’ont pas aujourd’hui, et n’auront pas demain de compte à rendre à la puissance publique qui fait le choix aujourd’hui de se désengager sous l’impulsion du président Macron.
 
il y a un entêtement dogmatique du gouvernement libéral de M. Macron et M. Philippe, mais on ne doit rien négliger et tout tenter, jusqu’à la dernière heure du 17 octobre.

Alors, je veux être précis. Ce n’est pas la parole de M. le maire de Belfort que je mets en doute, c’est la parole de M. Le Maire, le ministre.
M. le maire de Belfort, je connais votre attachement au site de Belfort. Cette motion propose que l’ensemble des élus de la Ville aient une expression nette et unanime sur le devenir d’Alstom en demandant que l’Etat lève l’option sur les actions détenues par Bouygues. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est exprimé le Président de la région des Hauts de France dans une remarquable interview donnée aux Echos hier : j’en partage l’esprit et la lettre.

Une dernière observation : le texte de cette motion est largement amendable. Une chose ne l’est pas : l’exigence du maintien de l’Etat au capital d’Alstom. Je sais qu’il sera extrêmement difficile d’inverser la vapeur car il y a un entêtement dogmatique du gouvernement libéral de M. Macron et M. Philippe, mais on ne doit rien négliger et tout tenter, jusqu’à la dernière heure du 17 octobre. C’est le point décisif. Après, il sera trop tard. Nous le devons aux salariés d’Alstom. Nous le devons à leurs familles. Nous le devons à notre ville.

Je vous propose donc de témoigner la solidarité de la Ville en votant la motion qui vous est proposée, et qui demande le maintien de l’Etat au capital d’Alstom, comme il le fait dans le cas de STMX.
 
***
 
Conseil Municipal du 28 septembre 2017

MOTION

présentée par
Bastien FAUDOT (Oser Belfort - MRC)
Samia JABER (pour le groupe Belfort Innovante et Bienveillante – PS, EELV, DVG)
Emmanuel FILLAUDEAU (France Insoumise)
 
En mai 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie et des finances visitait le site d’Alstom transport à Belfort et déclarait aux salariés : « Votre activité a une importance stratégique pour la France et sera donc défendue ». Aujourd’hui pourtant, cette activité n’est plus stratégique aux yeux du président de la République et de son gouvernement qui soutiennent la prise de contrôle d’Alstom par Siemens.

Trois ans après la décision prise par Alstom, avec l’accord de l’Etat, de céder à General Electric sa branche Energie, l’annonce du regroupement des activités ferroviaires d’Alstom et de Siemens accroît la menace sur le site de Belfort, berceau de l’entreprise. L’installation annoncée à Saint-Ouen du siège de Siemens-Alstom et le maintien du PDG français ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt.
Aujourd’hui, la vive inquiétude des salariés et de leurs familles est pleinement justifiée.

Que deviendra, dans cet ensemble dont Siemens prend le contrôle, le projet de T.G.V. du futur, projet directement concurrent de l’ICE, et donc le bureau d’études belfortain et les compétences qui y sont réunies ? 

Que deviendra, dans cet ensemble, le développement du site de production de Belfort, dans un contexte où les investissements promis sur le site n’ont pas été réalisés, et où les commandes de T.G.V. et de locomotives annoncées n’ont été que partiellement concrétisées ?

Que deviendra, dans cet ensemble, le sort des salariés de Belfort alors que les actionnaires exigeront inéluctablement d’aligner les ratios financiers d’Alstom sur ceux de Siemens ?

Aucune réponse tangible n’est aujourd’hui apportée. 

Au-delà des promesses et déclarations, l’enjeu décisif aujourd’hui consiste à maintenir la présence de capitaux publics dans l’entreprise.
L’opération en cours, qui a reçu le soutien du gouvernement, nous est présentée comme la création d’un nouveau champion européen, qui serait au ferroviaire ce qu’Airbus est à l’aéronautique. Toutefois, la création d’Airbus Industrie a d’abord été le résultat de la volonté des puissances publiques, dans le cadre d’un projet industriel pensé, identifié et programmé par les Etats, et non le résultat d’une transaction financière entre actionnaires.

Aujourd’hui, l’Etat dispose de 20% des actions d’Alstom, qui lui sont prêtées pour lui permettre de veiller à la mise en œuvre des engagements pris lors de la cession de la branche Energie, et en particulier sur la pérennité des co-entreprises en charge des secteurs les plus stratégiques, dont l’avenir pose aujourd’hui question. 

D’ici au 17 octobre, si l’Etat renonce à acquérir ces actions comme il l’a annoncé, il ne pourra alors définitivement plus peser sur les décisions d’Alstom. En revanche, s’il revient sur sa décision et choisit de les acquérir, il pourra conserver une capacité d’action et veiller à la pérennité de notre outil industriel au sein du groupe. L’ambition doit être de mettre sur pieds une politique industrielle de long terme en matière de transports, en constituant un acteur européen armé pour résister à la concurrence du conglomérat chinois CRRC.

Seule cette décision serait de nature à rassurer l’ensemble des salariés d’Alstom et leurs familles sur la pérennité du site belfortain et sur la mise en œuvre des investissements annoncés il y a un an et dont l’Etat est le garant.

Car Alstom n’est pas une entreprise comme les autres. La participation de la puissance publique prend tout son sens compte tenu de la dimension stratégique d’une telle industrie.

Alstom et Siemens sont des acteurs de l’aménagement du territoire, des partenaires pour la mise en œuvre des politiques de mobilité respectueuses de notre environnement. Leurs clients sont pour l’essentiel les Etats et collectivités locales qui ont en charge l’intérêt général des populations. 
 
Les élus de la Ville de Belfort ont bien entendu les engagements du gouvernement par la voix du ministre de l’Economie sur le maintien de l’activité à Belfort, mais demandent solennellement,

- au Président de la République, de donner à la France les moyens de défendre une industrie stratégique, conformément à sa parole donnée aux salariés,

-  à l’Etat, de revenir sur sa décision et de concrétiser par conséquent la prise de participation publique à hauteur de 20% dans la société Alstom d’ici le 17 octobre afin de garantir les intérêts des 11 500 salariés sur les sites français.