Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, chers collègues, le projet de résolution qui vous est présenté ce soir est le produit croisé de différentes réflexions sur les effets parfois inattendus de la règle budgétaire européenne, dite « règle d’or », qui a été instituée par le traité d’Amsterdam avec le pacte de stabilité, puis introduite dans notre législation interne lorsque la France a ratifié le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG, en octobre 2012.
Quoi que l’on pense de la règle tendant à limiter à 3 % le déficit budgétaire des États signataires, force est de constater que les effets réels de cette règle n’étaient pas nécessairement connus de ceux qui l’ont approuvée. Certes, les prises de conscience sont lentes et difficiles, mais du moins certains effets pervers particulièrement manifestes sont-ils aujourd’hui devenus assez visibles pour que notre assemblée vienne à s’en soucier.
Tel est le cas de la question – maintes fois soulevée, à vrai dire, mais jusqu’ici jamais abordée de front, du moins dans un texte législatif – des dépenses militaires françaises assumées dans le cadre des opérations extérieures, les OPEX. Soulignons que ces dépenses, qui sont engagées pour la troisième année, ne se sont imposées à notre pays qu’après la ratification du TSCG.
Quoi que l’on pense de la règle tendant à limiter à 3 % le déficit budgétaire des États signataires, force est de constater que les effets réels de cette règle n’étaient pas nécessairement connus de ceux qui l’ont approuvée. Certes, les prises de conscience sont lentes et difficiles, mais du moins certains effets pervers particulièrement manifestes sont-ils aujourd’hui devenus assez visibles pour que notre assemblée vienne à s’en soucier.
Tel est le cas de la question – maintes fois soulevée, à vrai dire, mais jusqu’ici jamais abordée de front, du moins dans un texte législatif – des dépenses militaires françaises assumées dans le cadre des opérations extérieures, les OPEX. Soulignons que ces dépenses, qui sont engagées pour la troisième année, ne se sont imposées à notre pays qu’après la ratification du TSCG.
Tous ou presque s’accordent à le reconnaître aujourd’hui : l’absence de participation des autres États européens – hormis le timide effort connu sous le nom d’Athena – met la France en première ligne, notamment au Mali et en Centrafrique, alors même que l’effort national bénéficie à l’Europe tout entière. En effet, depuis la malheureuse expédition en Libye, l’éclatement de ce pays nous a contraints à des actions militaires ainsi qu’à une présence dont nous voyons bien aujourd’hui qu’elle ne se limitera pas à des interventions ponctuelles – comme c’est déjà d’ailleurs le cas. À l’évidence, le relais pris par les groupes terroristes depuis le Sahara jusqu’au Moyen-Orient ne conduit pas à limiter notre présence et nos interventions, dont l’intérêt européen n’est contesté par personne.
Il est donc du devoir du Parlement et au moins de cette assemblée, restant dans son rôle tel que l’a défini l’article 88-4 de notre Constitution, de demander au Gouvernement qui, dans la tradition française, est seul chargé de la conduite de nos relations extérieures, de faire en sorte de tirer les conséquences de cet état de fait dans le cadre des responsabilités qu’il assume au sein du Conseil européen. Notons à cet égard que ce raisonnement vaudrait tout aussi bien pour l’effort injuste pesant sur un pays tel que l’Italie, à raison des contraintes qu’elle assume face aux mouvements de migration devenus incontrôlables, contraintes qui, d’ailleurs, ont aussi pour origine l’éclatement de la Libye, tout particulièrement.
Le temps semble donc venu pour notre assemblée de dire clairement et fermement ce que certains disent ou pensent tout bas, voire par des déclarations publiques. C’est pourquoi je me réjouis que le groupe majoritaire ait accepté de soutenir le présent projet de résolution que je présente ce soir en son nom, même s’il a pour origine la réflexion que mènent avec Jean-Pierre Chevènement les députés – peu nombreux, reconnaissons-le – qui suivent son action.
Le premier objet – modeste – de la résolution est d’appeler à ce que j’appellerais un effort de bon sens. Qui pourrait en effet contester les constatations aussi évidentes que celle de notre engagement, de son coût et du bénéfice qu’en tire notre continent tout entier pour sa protection ? Qui pourrait le contester au regard de la menace terroriste vis-à-vis de laquelle le bouclier que nous offrons, notamment en Afrique saharienne, reste une nécessité incontournable, même s’il est probable qu’il ne s’avérera pas suffisant ?
Le bon sens doit-il cependant s’arrêter là ? Faut-il le laisser aux seuls économistes, qui sont aujourd’hui largement d’accord pour constater la spirale négative que créent le manque d’investissement et son cortège d’effets désormais bien connus – croissance trop faible, absence d’emplois en nombre suffisant et donc de rentrées fiscales – et eux-mêmes générateurs de ce déficit budgétaire que nous nous sommes par ailleurs donné pour impératif de restreindre ?
Écoutons par exemple ce que dit Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, de la zone euro : « il est nécessaire de continuer à soutenir la demande pour compenser les effets de la faiblesse prolongée de la demande sur l’investissement et la croissance du capital, ainsi que sur le chômage » – l’économiste place ce phénomène en dernière position alors que, pour ma part, je le placerais volontiers en premier. De la même façon, le FMI indique que l’investissement fixe privé a décru à un tel point ces dernières années qu’il est à l’origine, pour l’essentiel, de la baisse de croissance dans la zone, et il ajoute que les politiques budgétaires et monétaires actuelles « ont peu de chances de ramener l’investissement à sa tendance d’avant-crise ». Ce n’est là, mes chers collègues, qu’une référence parmi d’autres, mais nous savons tous bien qu’il existe un accord des principaux économistes sur ce point.
Un écho de ces constatations concordantes a d’ailleurs été perçu par les autorités européennes, puisque le plan Juncker, présenté en ce premier semestre 2015 et qui doit être voté d’ici à la fin du mois de juin, aborde cette question cruciale de la nécessité des investissements dans l’Union européenne. Toutefois, nous savons bien qu’il ne faut pas se payer de mots et que les 21 milliards d’euros dont sera doté le Fonds européen pour les investissements stratégiques ne sont pas à la hauteur des besoins de l’ensemble des pays membres, même en tenant compte d’un effet de levier fort généreusement estimé – sans aucune garantie véritable et encore moins de preuve – à 315 milliards d’euros.
Dans sa communication du 13 janvier dernier, à laquelle nous reviendrons largement lors de l’examen de l’article unique de la proposition de résolution, la Commission européenne a proposé que soient prises en compte « trois dimensions politiques spécifiques » dans l’application des règles budgétaires afin d’intégrer les investissements prévus par le plan Juncker. Toutefois, les conditions fixées dans cette recommandation sont trop strictes et, de plus, elles ont pour effet d’en exclure la France. En effet, les États membres ne pourront s’écarter temporairement de leurs objectifs à moyen terme ou de leur trajectoire d’ajustement qu’en cas de croissance très faible de leur PIB et dès lors que l’écart lié aux dépenses d’investissements ne conduit pas à dépasser le seuil de déficit public de 3 % – d’où le fait que la France en soit écartée.
Enfin, les dépenses nationales engagées pour de tels investissements ne peuvent concerner que des projets cofinancés par l’Union européenne ou par le Fonds européen pour les investissements stratégiques. C’est pourquoi la présente proposition de résolution vous propose d’élargir de façon limitée et réaliste cette vision encore très marquée par une forme d’académisme d’un droit européen étroitement borné par les services de la Commission. Afin de tenir compte des recommandations déjà citées des organisations internationales elles-mêmes, il serait désormais utile pour des pays comme le nôtre de permettre la prise en compte des investissements nationaux entrant dans le champ de la recommandation de la Commission lorsque ces investissements sont directement productifs et qu’ils sont réalisés dans des domaines d’excellence, pour qu’ils cessent d’être bridés par une vision budgétaire extrêmement étroite et, en réalité, très peu économique.
Cette vision anticipatrice est aujourd’hui cruciale, à l’heure où une reprise encore trop faible se manifeste dans notre pays grâce – disons-le – aux efforts de compétitivité déployés par les politiques gouvernementales. Nous savons tous cependant que ni la baisse de l’euro, grâce à l’ouverture par la Banque centrale européenne du robinet à liquidités, ni la baisse du prix du pétrole ne constituent un socle suffisamment solide. Ces deux tendances, surtout la seconde, sont d’ailleurs réversibles. Tel est le message de l’OCDE qui, en mars, avait certes relevé ses prévisions de croissance pour la zone euro en raison de la baisse de l’euro et de celle du prix du pétrole, mais avait aussi souligné que c’est la faiblesse de l’investissement qui sape la force de l’économie de cette zone. Selon l’OCDE, le marché du travail est « peu performant » et se caractérise par « une stagnation des revenus et un accroissement des inégalités », à quoi s’ajoute « une dissémination plus faible des innovations technologiques au sein de l’économie », ce qui est en soi un signe atterrant.
Mes chers collègues, est-ce cela, l’Europe que nous voulons ? Devons-nous, au nom même des efforts que notre pays consent pour satisfaire aux règles européennes, abandonner tout bon sens en matière de conduite de l’économie au risque même de voir notre pays dépassé, affaibli et, nous le savons hélas, politiquement miné ? Je vous invite à retrouver le bon sens, celui dont Descartes disait qu’il est « la chose du monde la mieux partagée – ajoutant, il est vrai, un membre de phrase qui détruit le premier, plus souvent cité : « car chacun pense en être si bien pourvu » qu’il n’a pas coutume d’en souhaiter plus qu’il n’en possède.
Cette proposition de résolution vous invite à partager le bon sens, c’est-à-dire une vision claire des réalités mais aussi une direction qui serait la bonne et qui contiendrait plusieurs rectifications et avancées dont j’espère que notre gouvernement sera prêt à demander l’approbation par le Conseil européen qui doit prochainement se réunir.
Il est donc du devoir du Parlement et au moins de cette assemblée, restant dans son rôle tel que l’a défini l’article 88-4 de notre Constitution, de demander au Gouvernement qui, dans la tradition française, est seul chargé de la conduite de nos relations extérieures, de faire en sorte de tirer les conséquences de cet état de fait dans le cadre des responsabilités qu’il assume au sein du Conseil européen. Notons à cet égard que ce raisonnement vaudrait tout aussi bien pour l’effort injuste pesant sur un pays tel que l’Italie, à raison des contraintes qu’elle assume face aux mouvements de migration devenus incontrôlables, contraintes qui, d’ailleurs, ont aussi pour origine l’éclatement de la Libye, tout particulièrement.
Le temps semble donc venu pour notre assemblée de dire clairement et fermement ce que certains disent ou pensent tout bas, voire par des déclarations publiques. C’est pourquoi je me réjouis que le groupe majoritaire ait accepté de soutenir le présent projet de résolution que je présente ce soir en son nom, même s’il a pour origine la réflexion que mènent avec Jean-Pierre Chevènement les députés – peu nombreux, reconnaissons-le – qui suivent son action.
Le premier objet – modeste – de la résolution est d’appeler à ce que j’appellerais un effort de bon sens. Qui pourrait en effet contester les constatations aussi évidentes que celle de notre engagement, de son coût et du bénéfice qu’en tire notre continent tout entier pour sa protection ? Qui pourrait le contester au regard de la menace terroriste vis-à-vis de laquelle le bouclier que nous offrons, notamment en Afrique saharienne, reste une nécessité incontournable, même s’il est probable qu’il ne s’avérera pas suffisant ?
Le bon sens doit-il cependant s’arrêter là ? Faut-il le laisser aux seuls économistes, qui sont aujourd’hui largement d’accord pour constater la spirale négative que créent le manque d’investissement et son cortège d’effets désormais bien connus – croissance trop faible, absence d’emplois en nombre suffisant et donc de rentrées fiscales – et eux-mêmes générateurs de ce déficit budgétaire que nous nous sommes par ailleurs donné pour impératif de restreindre ?
Écoutons par exemple ce que dit Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, de la zone euro : « il est nécessaire de continuer à soutenir la demande pour compenser les effets de la faiblesse prolongée de la demande sur l’investissement et la croissance du capital, ainsi que sur le chômage » – l’économiste place ce phénomène en dernière position alors que, pour ma part, je le placerais volontiers en premier. De la même façon, le FMI indique que l’investissement fixe privé a décru à un tel point ces dernières années qu’il est à l’origine, pour l’essentiel, de la baisse de croissance dans la zone, et il ajoute que les politiques budgétaires et monétaires actuelles « ont peu de chances de ramener l’investissement à sa tendance d’avant-crise ». Ce n’est là, mes chers collègues, qu’une référence parmi d’autres, mais nous savons tous bien qu’il existe un accord des principaux économistes sur ce point.
Un écho de ces constatations concordantes a d’ailleurs été perçu par les autorités européennes, puisque le plan Juncker, présenté en ce premier semestre 2015 et qui doit être voté d’ici à la fin du mois de juin, aborde cette question cruciale de la nécessité des investissements dans l’Union européenne. Toutefois, nous savons bien qu’il ne faut pas se payer de mots et que les 21 milliards d’euros dont sera doté le Fonds européen pour les investissements stratégiques ne sont pas à la hauteur des besoins de l’ensemble des pays membres, même en tenant compte d’un effet de levier fort généreusement estimé – sans aucune garantie véritable et encore moins de preuve – à 315 milliards d’euros.
Dans sa communication du 13 janvier dernier, à laquelle nous reviendrons largement lors de l’examen de l’article unique de la proposition de résolution, la Commission européenne a proposé que soient prises en compte « trois dimensions politiques spécifiques » dans l’application des règles budgétaires afin d’intégrer les investissements prévus par le plan Juncker. Toutefois, les conditions fixées dans cette recommandation sont trop strictes et, de plus, elles ont pour effet d’en exclure la France. En effet, les États membres ne pourront s’écarter temporairement de leurs objectifs à moyen terme ou de leur trajectoire d’ajustement qu’en cas de croissance très faible de leur PIB et dès lors que l’écart lié aux dépenses d’investissements ne conduit pas à dépasser le seuil de déficit public de 3 % – d’où le fait que la France en soit écartée.
Enfin, les dépenses nationales engagées pour de tels investissements ne peuvent concerner que des projets cofinancés par l’Union européenne ou par le Fonds européen pour les investissements stratégiques. C’est pourquoi la présente proposition de résolution vous propose d’élargir de façon limitée et réaliste cette vision encore très marquée par une forme d’académisme d’un droit européen étroitement borné par les services de la Commission. Afin de tenir compte des recommandations déjà citées des organisations internationales elles-mêmes, il serait désormais utile pour des pays comme le nôtre de permettre la prise en compte des investissements nationaux entrant dans le champ de la recommandation de la Commission lorsque ces investissements sont directement productifs et qu’ils sont réalisés dans des domaines d’excellence, pour qu’ils cessent d’être bridés par une vision budgétaire extrêmement étroite et, en réalité, très peu économique.
Cette vision anticipatrice est aujourd’hui cruciale, à l’heure où une reprise encore trop faible se manifeste dans notre pays grâce – disons-le – aux efforts de compétitivité déployés par les politiques gouvernementales. Nous savons tous cependant que ni la baisse de l’euro, grâce à l’ouverture par la Banque centrale européenne du robinet à liquidités, ni la baisse du prix du pétrole ne constituent un socle suffisamment solide. Ces deux tendances, surtout la seconde, sont d’ailleurs réversibles. Tel est le message de l’OCDE qui, en mars, avait certes relevé ses prévisions de croissance pour la zone euro en raison de la baisse de l’euro et de celle du prix du pétrole, mais avait aussi souligné que c’est la faiblesse de l’investissement qui sape la force de l’économie de cette zone. Selon l’OCDE, le marché du travail est « peu performant » et se caractérise par « une stagnation des revenus et un accroissement des inégalités », à quoi s’ajoute « une dissémination plus faible des innovations technologiques au sein de l’économie », ce qui est en soi un signe atterrant.
Mes chers collègues, est-ce cela, l’Europe que nous voulons ? Devons-nous, au nom même des efforts que notre pays consent pour satisfaire aux règles européennes, abandonner tout bon sens en matière de conduite de l’économie au risque même de voir notre pays dépassé, affaibli et, nous le savons hélas, politiquement miné ? Je vous invite à retrouver le bon sens, celui dont Descartes disait qu’il est « la chose du monde la mieux partagée – ajoutant, il est vrai, un membre de phrase qui détruit le premier, plus souvent cité : « car chacun pense en être si bien pourvu » qu’il n’a pas coutume d’en souhaiter plus qu’il n’en possède.
Cette proposition de résolution vous invite à partager le bon sens, c’est-à-dire une vision claire des réalités mais aussi une direction qui serait la bonne et qui contiendrait plusieurs rectifications et avancées dont j’espère que notre gouvernement sera prêt à demander l’approbation par le Conseil européen qui doit prochainement se réunir.