Depuis la mise en ligne d'un projet de carte sur le site internet de l'Elysée, le grand bingo des régions a commencé. Contrairement au Sénat, l'Assemblée Nationale devrait adopter cette semaine une nouvelle carte et un nouveau calendrier électoral. Quelle carte? Nul le sait encore après un nouveau (mais est-ce le dernier?) rebondissement lors de la réunion du groupe majoritaire mardi matin. Cette confusion n'est pas le fruit du hasard: le gouvernement a ouvert une boite de pandore en touchant à la carte et a aussitôt suscité 577 vocations de cartographe parmi les députés. Jouer à «marions-les» ou à «divorçons-les» est un exercice facile et un peu vain.
La taille n'est pas l'enjeu
Personne n'est capable d'évaluer les économies attendues de par les fusions qui sont proposées. Il est par contre facile de prévoir les difficultés liées à des fusions pas toujours désirées et la nécessité de devoir conserver malgré tout une certaine proximité… On peut même prévoir que ces régions XL ne favoriseront pas l'impact du conseil régional. Elargissement et approfondissement marche rarement ensemble. La région dilatée Rhône-Alpes-Auvergne n'aura aucun poids face aux métropoles concentrées comme Lyon ou Grenoble. Ce n'est pas un hasard si la Bretagne, région la plus régionaliste, veut se tenir à l'écart du mouvement!
La taille n'est pas l'enjeu
Personne n'est capable d'évaluer les économies attendues de par les fusions qui sont proposées. Il est par contre facile de prévoir les difficultés liées à des fusions pas toujours désirées et la nécessité de devoir conserver malgré tout une certaine proximité… On peut même prévoir que ces régions XL ne favoriseront pas l'impact du conseil régional. Elargissement et approfondissement marche rarement ensemble. La région dilatée Rhône-Alpes-Auvergne n'aura aucun poids face aux métropoles concentrées comme Lyon ou Grenoble. Ce n'est pas un hasard si la Bretagne, région la plus régionaliste, veut se tenir à l'écart du mouvement!
Il est assez infantile de penser que la taille serait un enjeu au niveau européen. La carte est un faux débat, le véritable enjeu ce sont les pouvoirs et les compétences. La France n'est pas un état fédéral comme l'Allemagne, la France n'est pas non plus une République régionalisée comme l'Italie. Ces deux modes d'organisation sont profondément étrangers à notre histoire et aux principes républicains qui sont constitutifs de notre pays. Chaque nation a son histoire et des principes politiques différents, il faut les respecter. Depuis l'affirmation de la monarchie, la France s'identifie à à un Etat central puissant. La décentralisation opérée à partir de 1982 n'est pas et n'a jamais été une fédéralisation du pays.
Une décentralisation jacobine: uniformité + unité = égalité
La décentralisation a respecté quelques solides principes. Le premier: il n'y a pas de pouvoir local. Divisées entre les trois collectivités (commune, département, région), sans toujours de cohérence, les compétences décentralisées sont partagées. Ce qu'on appelle aujourd'hui le mille-feuille n'est pas un accident mais une stratégie pour bloquer la constitution de pouvoirs locaux autonomes, pour empêcher les féodalités républicaines. La création des métropoles institutionnelles marque une rupture en aspirant l'ensemble des compétences locales sur un territoire et en soustrayant ces villes aux solidarités départementales. Ce risque de désagrégation territoriale est d'autant plus fort au moment où l'Etat se retire et où les préfets se muent malheureusement en animateurs territoriaux désargentés. L'uniformité n'a pas bonne presse alors que l'expérimentation et le particularisme sont à la mode. Là encore, on construit une organisation territoriale où risquent de se multiplier les statuts à la carte, et les organisations particulières qui rendent difficile l'action publique, qui complexifie au nom de la simplification…
Région XL: une «landerisation» plus confuse que crédible
Le pouvoir législatif n'a jamais été décentralisé et les collectivités locales disposent d'un pouvoir règlementaire limité et encadré. Ce pouvoir règlementaire limité est la garantie que la loi sur le territoire est la même pour tous. La dévolution du pouvoir législatif est une revendication ancienne et minoritaire à laquelle le gouvernement doit résister en ayant une vision claire du rôle de l'Etat et de son organisation territoriale. Commencer par le tripatouillage de la carte n'est guère rassurant de ce point de vue. Avec ses régions dilatées, centrées sur une improbable compétence économique largement partagée avec les métropoles, un pouvoir règlementaire totémique…le gouvernement conduit une «landerisation» molle, beaucoup plus confuse que crédible. C'est-à-dire avec les risques et sans les avantages attendus par ses promoteurs.
Trente ans après les grandes lois de décentralisation, il est nécessaire de mettre l'ordre dans la décentralisation. Mais ce n'est pas ni en jouant avec la carte ni en faisant de grosses régions ni en supprimant les départements qu'on y parviendra. La priorité devrait être de mettre de l'ordre dans les politiques locales pour les rendre plus efficaces, plus spécialisées mais aussi plus compréhensibles pour les citoyens.
Décentralisation: ne jouons pas aux apprentis-sorciers
Il ne faut jamais oublier que la décentralisation est une décentralisation de l'Etat. Parler de l'Etat (central) d'un côté et des collectivités locales de l'autre est une facilité de langage courante et un non-sens dans une République unitaire. La réforme territoriale est toujours une réforme de l'Etat. En France plus qu'ailleurs, l'Etat compte et structure fortement les représentations symboliques des citoyens. L'organisation territoriale du pays n'est donc pas un petit sujet avec lequel on pourrait jouer pour donner des gages de réformisme à la Commission européenne ou à Berlin.
Les résultats des élections locales (y compris pour les municipales de cette année) montre que nos concitoyens sont indécrottablement jacobins. Il est dangereux de nier cette donnée lourde: les citoyens sont beaucoup plus jacobins que les élus qui revendiquent toujours plus du pouvoir. Au fil des années, la gauche a abandonné beaucoup de sujets au Front National: le contrôle des flux migratoires, le patriotisme, le protectionnisme, la critique de la monnaie unique…en bâclant la décentralisation et en cédant à l'air du temps, le gouvernement prend le risque d'offrir un nouveau cheval de bataille au Front National: la recentralisation. Demain, il sera trop tard pour reprocher aux citoyens d'être attentifs à ce discours qui saura prendre des accents jacobins pour séduire.
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Source : FigaroVox
Une décentralisation jacobine: uniformité + unité = égalité
La décentralisation a respecté quelques solides principes. Le premier: il n'y a pas de pouvoir local. Divisées entre les trois collectivités (commune, département, région), sans toujours de cohérence, les compétences décentralisées sont partagées. Ce qu'on appelle aujourd'hui le mille-feuille n'est pas un accident mais une stratégie pour bloquer la constitution de pouvoirs locaux autonomes, pour empêcher les féodalités républicaines. La création des métropoles institutionnelles marque une rupture en aspirant l'ensemble des compétences locales sur un territoire et en soustrayant ces villes aux solidarités départementales. Ce risque de désagrégation territoriale est d'autant plus fort au moment où l'Etat se retire et où les préfets se muent malheureusement en animateurs territoriaux désargentés. L'uniformité n'a pas bonne presse alors que l'expérimentation et le particularisme sont à la mode. Là encore, on construit une organisation territoriale où risquent de se multiplier les statuts à la carte, et les organisations particulières qui rendent difficile l'action publique, qui complexifie au nom de la simplification…
Région XL: une «landerisation» plus confuse que crédible
Le pouvoir législatif n'a jamais été décentralisé et les collectivités locales disposent d'un pouvoir règlementaire limité et encadré. Ce pouvoir règlementaire limité est la garantie que la loi sur le territoire est la même pour tous. La dévolution du pouvoir législatif est une revendication ancienne et minoritaire à laquelle le gouvernement doit résister en ayant une vision claire du rôle de l'Etat et de son organisation territoriale. Commencer par le tripatouillage de la carte n'est guère rassurant de ce point de vue. Avec ses régions dilatées, centrées sur une improbable compétence économique largement partagée avec les métropoles, un pouvoir règlementaire totémique…le gouvernement conduit une «landerisation» molle, beaucoup plus confuse que crédible. C'est-à-dire avec les risques et sans les avantages attendus par ses promoteurs.
Trente ans après les grandes lois de décentralisation, il est nécessaire de mettre l'ordre dans la décentralisation. Mais ce n'est pas ni en jouant avec la carte ni en faisant de grosses régions ni en supprimant les départements qu'on y parviendra. La priorité devrait être de mettre de l'ordre dans les politiques locales pour les rendre plus efficaces, plus spécialisées mais aussi plus compréhensibles pour les citoyens.
Décentralisation: ne jouons pas aux apprentis-sorciers
Il ne faut jamais oublier que la décentralisation est une décentralisation de l'Etat. Parler de l'Etat (central) d'un côté et des collectivités locales de l'autre est une facilité de langage courante et un non-sens dans une République unitaire. La réforme territoriale est toujours une réforme de l'Etat. En France plus qu'ailleurs, l'Etat compte et structure fortement les représentations symboliques des citoyens. L'organisation territoriale du pays n'est donc pas un petit sujet avec lequel on pourrait jouer pour donner des gages de réformisme à la Commission européenne ou à Berlin.
Les résultats des élections locales (y compris pour les municipales de cette année) montre que nos concitoyens sont indécrottablement jacobins. Il est dangereux de nier cette donnée lourde: les citoyens sont beaucoup plus jacobins que les élus qui revendiquent toujours plus du pouvoir. Au fil des années, la gauche a abandonné beaucoup de sujets au Front National: le contrôle des flux migratoires, le patriotisme, le protectionnisme, la critique de la monnaie unique…en bâclant la décentralisation et en cédant à l'air du temps, le gouvernement prend le risque d'offrir un nouveau cheval de bataille au Front National: la recentralisation. Demain, il sera trop tard pour reprocher aux citoyens d'être attentifs à ce discours qui saura prendre des accents jacobins pour séduire.
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Source : FigaroVox