Il aura fallu attendre les analyse stimulantes de Christopher Caldwell parues sur Rue89 et dans le Weekly Standard et celle d'Emmanuel Todd sur Marianne2.fr pour sortir du débat convenu qui entoure la montée du Front national.
Le journaliste américain et l'intellectuel français se rejoignent pour décrire la percée de Marine Le Pen comme une réponse populaire à la décomposition des élites (« la dérive du pouvoir » pour Caldwell, une « classe dirigeante incompétente » pour Todd). Celles-ci se révèlent incapables d'assurer un niveau de protection suffisant à un monde du travail broyé par la globalisation financière et le libre-échange.
Pire, elles semblent s'enfoncer dans un déni surréaliste : sur l'euro (qui nous « protégerait »), le libre-échange (qui nous spécialiserait sur l'« innovation »), l'immigration (aux effets nécessairement bons). Les souffrances des classes populaires et des classes moyennes sont euphémisées : on parle de « sentiment » de déclassement ou d'insécurité pour ne pas avoir à leur apporter une réponse politique.
La zone euro, machine à accélérer les divergences
Commençons par l'euro. Depuis son instauration, non seulement la désindustrialisation de l'économie française s'est poursuivie, mais elle s'est accélérée. La zone euro, loin de faire converger ses économies, fonctionne en réalité comme une machine à accélérer les divergences. Le seul mécanisme d'ajustement qui demeure est celui de la baisse des salaires et des niveaux de vie (salariat allemand, et désormais grec, portugais, espagnols, etc.).
Le « pacte de compétitivité » conclu entre Mme Merkel et M. Sarkozy est de ce point de vue la dernière erreur en date des élites politiques françaises : mentalité de rentier, privilégiant les possédants sur le salariat et les entrepreneurs. Est-il besoin de le préciser ? Ce « pacte » n'améliorera en rien la compétitivité de l'économie française qui souffre avant tout d'un taux de change de l'euro trop élevé au regard de sa spécialisation.
Soit la France discute fermement avec le gouvernement allemand (peut-être plus accommodant après 2013) pour réorienter l'euro (euro faible, statuts de la Banque centrale européenne réformés dans le sens de l'emploi, restructuration d'une partie des dettes publiques). Soit, si le dialogue s'avérait impossible et les différences de projection entre les deux voisins trop grandes (on pense en particulier à la démographie), il faudrait que la France reprenne sa liberté monétaire et pour tout dire, reprenne ses affaires en main, avec les responsabilités que cela implique (en particulier quant à la compétitivité de son économie et aux niveaux de ses déficits).
Le monde du travail sent bien que sans base industrielle solide, le financement de la protection sociale et des retraites fait défaut. Et ce n'est pas l'incantation à une « Europe sociale » ou à un « smic européen », propositions surréalistes dans le contexte politique européen actuel, qui peuvent ramener les couches populaires vers un vote plus raisonnable. L'« irreal politik » européenne (pour reprendre l'expression d'Hubert Védrine) n'est pas une politique.
Face au libre-échange, reconquérir un appareil industriel
Le libre-échange, ensuite. L'idée que, dans le libre-échange actuel, l'Amérique du Nord et l'Europe se spécialiseraient sur l'innovation tandis que l'Asie serait l'atelier du monde, ne résiste pas à l'analyse. L'Asie sera demain la plus grande concentration de chercheurs et de techniciens de l'histoire : elle sera à la fois le premier centre de production et le premier centre de recherche. Il est donc aberrant de continuer à fonctionner en système parfaitement ouvert avec des économies, elles, ouvertement protectionnistes (le cas de la Chine est bien entendu emblématique).
La gauche doit donc comprendre que la défense du monde du travail passe d'abord par une stratégie de défense du tissu industriel (en particulier des PME sacrifiées par les grands groupes), puis par une reconquête d'un appareil industriel digne de ce nom.
A cet égard, toutes les mesures favorisant l'industrie nationale sur la compétition étrangère doivent être mobilisées, sans à priori : on pense à la TVA sociale, mais aussi à des mesures permettant au capitalisme familial (qui fait la force de l'Allemagne) de prospérer. Mais rappelons-le, aucune issue n'existe sans un taux de change moins élevé pour nos produits (euro réformé ou plan B, comme évoqué précédemment).
Pour faire face au Front national, qui n'a évidemment pas les moyens de répondre à la crise du capitalisme mondialisé, les élites françaises, et singulièrement les élites de gauche, doivent abandonner certaines vieilles lunes (Todd parle de « concepts-zombies ») et accepter de protéger à nouveau les gens ordinaires. Telle est la véritable stratégie qui permettra non de se donner bonne conscience, mais de renouer avec un peuple, qui demeure, en dernière analyse, le souverain en démocratie.
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source : Rue89
Le journaliste américain et l'intellectuel français se rejoignent pour décrire la percée de Marine Le Pen comme une réponse populaire à la décomposition des élites (« la dérive du pouvoir » pour Caldwell, une « classe dirigeante incompétente » pour Todd). Celles-ci se révèlent incapables d'assurer un niveau de protection suffisant à un monde du travail broyé par la globalisation financière et le libre-échange.
Pire, elles semblent s'enfoncer dans un déni surréaliste : sur l'euro (qui nous « protégerait »), le libre-échange (qui nous spécialiserait sur l'« innovation »), l'immigration (aux effets nécessairement bons). Les souffrances des classes populaires et des classes moyennes sont euphémisées : on parle de « sentiment » de déclassement ou d'insécurité pour ne pas avoir à leur apporter une réponse politique.
La zone euro, machine à accélérer les divergences
Commençons par l'euro. Depuis son instauration, non seulement la désindustrialisation de l'économie française s'est poursuivie, mais elle s'est accélérée. La zone euro, loin de faire converger ses économies, fonctionne en réalité comme une machine à accélérer les divergences. Le seul mécanisme d'ajustement qui demeure est celui de la baisse des salaires et des niveaux de vie (salariat allemand, et désormais grec, portugais, espagnols, etc.).
Le « pacte de compétitivité » conclu entre Mme Merkel et M. Sarkozy est de ce point de vue la dernière erreur en date des élites politiques françaises : mentalité de rentier, privilégiant les possédants sur le salariat et les entrepreneurs. Est-il besoin de le préciser ? Ce « pacte » n'améliorera en rien la compétitivité de l'économie française qui souffre avant tout d'un taux de change de l'euro trop élevé au regard de sa spécialisation.
Soit la France discute fermement avec le gouvernement allemand (peut-être plus accommodant après 2013) pour réorienter l'euro (euro faible, statuts de la Banque centrale européenne réformés dans le sens de l'emploi, restructuration d'une partie des dettes publiques). Soit, si le dialogue s'avérait impossible et les différences de projection entre les deux voisins trop grandes (on pense en particulier à la démographie), il faudrait que la France reprenne sa liberté monétaire et pour tout dire, reprenne ses affaires en main, avec les responsabilités que cela implique (en particulier quant à la compétitivité de son économie et aux niveaux de ses déficits).
Le monde du travail sent bien que sans base industrielle solide, le financement de la protection sociale et des retraites fait défaut. Et ce n'est pas l'incantation à une « Europe sociale » ou à un « smic européen », propositions surréalistes dans le contexte politique européen actuel, qui peuvent ramener les couches populaires vers un vote plus raisonnable. L'« irreal politik » européenne (pour reprendre l'expression d'Hubert Védrine) n'est pas une politique.
Face au libre-échange, reconquérir un appareil industriel
Le libre-échange, ensuite. L'idée que, dans le libre-échange actuel, l'Amérique du Nord et l'Europe se spécialiseraient sur l'innovation tandis que l'Asie serait l'atelier du monde, ne résiste pas à l'analyse. L'Asie sera demain la plus grande concentration de chercheurs et de techniciens de l'histoire : elle sera à la fois le premier centre de production et le premier centre de recherche. Il est donc aberrant de continuer à fonctionner en système parfaitement ouvert avec des économies, elles, ouvertement protectionnistes (le cas de la Chine est bien entendu emblématique).
La gauche doit donc comprendre que la défense du monde du travail passe d'abord par une stratégie de défense du tissu industriel (en particulier des PME sacrifiées par les grands groupes), puis par une reconquête d'un appareil industriel digne de ce nom.
A cet égard, toutes les mesures favorisant l'industrie nationale sur la compétition étrangère doivent être mobilisées, sans à priori : on pense à la TVA sociale, mais aussi à des mesures permettant au capitalisme familial (qui fait la force de l'Allemagne) de prospérer. Mais rappelons-le, aucune issue n'existe sans un taux de change moins élevé pour nos produits (euro réformé ou plan B, comme évoqué précédemment).
Pour faire face au Front national, qui n'a évidemment pas les moyens de répondre à la crise du capitalisme mondialisé, les élites françaises, et singulièrement les élites de gauche, doivent abandonner certaines vieilles lunes (Todd parle de « concepts-zombies ») et accepter de protéger à nouveau les gens ordinaires. Telle est la véritable stratégie qui permettra non de se donner bonne conscience, mais de renouer avec un peuple, qui demeure, en dernière analyse, le souverain en démocratie.
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source : Rue89