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Publié le Mercredi 17 Février 2016 par

"Ni les citoyens, ni les responsables politiques ne doivent s’habituer à vivre dans un état d’exception"



Intervention de Jean-Luc Laurent, président du MRC et député du Val-de-Marne, à la tribune de l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de prorogation de l'état d'urgence, mardi 16 février 2016.


Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne pensais pas m’exprimer devant vous aujourd’hui, car j’ai une interprétation stricte la loi de 1955 et de son article 3, selon lequel la loi fixe la durée définitive de l’état d’urgence. Pour moi, l’affaire était pliée : il n’y aurait pas de seconde prorogation législative.

En novembre, j’ai voté sans hésitation la prorogation de l’état d’urgence et je ne le regrette pas. Je n’étais sous le coup, ni de l’émotion, ni de la peur et, dans mon vote, j’indiquais clairement une borne : un vote et un seul. Ce n’est pas l’esprit de la loi de 1955, c’est sa lettre.

Or, voilà que vous nous demandez, monsieur le ministre, une nouvelle prorogation, pour trois mois et sans doute, au bout du compte, pour six, avec l’approche de l’Euro 2016.

Personne ici ne sous-estime le risque d’attentats en France. L’année 2015 a en effet été une année terrible. Député du Val-de-Marne, j’ai eu la tristesse d’accompagner trois familles meurtries par les attentats du 13 novembre, qui vivaient ou travaillaient dans les villes de ma circonscription. Nous savons tous que la menace reste très élevée.

Pourquoi, alors, ne pas proroger l’état d’urgence ? Pourquoi ne pas se donner tous les moyens ? Eh bien, parce que c’est précisément la grandeur de la démocratie, que nous défendons contre le djihadisme, que d’être un régime de limite. Pourquoi ne pas le prolonger face à un risque et une menace élevés ? Parce qu’en pratique, au-delà de la question des principes, il ne sert pas cette fin. La procédure d’état d’urgence est en effet une procédure d’exception, un outil de gestion de crise face à un péril imminent, un outil de maintien de l’ordre, et non pas un outil de prévention. Cette dernière repose sur le droit commun et sur le travail résolu de nos forces de police et de nos magistrats, qui accomplissent, il faut le rappeler, un travail remarquable pour assurer la sécurité de tous.

Le Conseil d’État a, de ce point de vue, rendu un avis d’une grande subtilité, que je qualifierais même de paradoxal, en validant le projet de loi tout en rappelant longuement que l’état d’urgence n’est pas et ne doit pas être une procédure permanente : « Lorsque, comme cela semble être le cas, le « péril imminent » ayant motivé la déclaration de l’état d’urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c’est à des instruments pérennes qu’il convient de recourir. Il convient donc que le Gouvernement prépare dès maintenant la fin de l’état d’urgence ».

Il n’est pas raisonnable de fixer pour terme à l’état d’urgence, comme nous l’avons entendu de la bouche du Premier ministre, l’éradication de Daech. Il n’est pas correct non plus de le justifier par l’attente de l’adoption du projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme car, contrairement à ce qu’on lit souvent, ce projet de loi, auquel je suis très favorable, n’opère pas un basculement de la procédure d’état d’urgence dans le droit commun.

Pourquoi voter contre la prorogation ? Parce que la procédure est essoufflée. Même le contrôle parlementaire, grand acquis du mois de novembre, s’est essoufflé, comme l’a souligné la commission des lois, chargée du contrôle à l’Assemblée nationale.

J’étais très favorable au contrôle parlementaire, pour des raisons de fond, mais aussi par opportunité, parce que je comptais sur ce contrôle et sur l’objectivation de l’activité des services de l’État pour aider le Gouvernement à trouver la force de sortir de l’état d’urgence. J’ai été optimiste !

Au mois de janvier, j’ai suggéré, sur la base du travail de contrôle de la commission des lois, une sortie anticipée, comme le prévoit l’article 3 de la loi du 20 novembre, avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui mais aussi parce que je pressentais la situation à laquelle nous sommes parvenus : au bout du compte, il est difficile, voire impossible de sortir de l’état d’urgence. De la même manière, il semble impossible de sortir de Vigipirate, alors même que tout le monde s’interroge sur l’utilité de ce dispositif tel qu’il est mis en œuvre actuellement.

Je voterai contre la prorogation de l’état d’urgence, non parce que cette procédure serait intrinsèquement dangereuse ou inutile – je la sais nécessaire pour faire face aux périodes de crise –, mais parce qu’il est essentiel de ne pas la banaliser. Ni les citoyens, ni les responsables politiques ne doivent s’habituer à vivre dans un état d’exception. Il me semble donc important d’y mettre fin.

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Jean-Luc Laurent
Président du Mouvement Républicain et Citoyen. En savoir plus sur cet auteur



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