Le Traité de Lisbonne est mort, juridiquement et politiquement mort. Les Irlandais, consultés démocratiquement, l’ont rejeté massivement. Les initiateurs de ce mauvais texte le comprendront-ils ? Ou bien plutôt, comme tout semble l’indiquer, chercheront-ils malgré les obstacles apparus en République tchèque et en Pologne à contourner le vote du peuple irlandais, comme ils l’ont fait avec celui du peuple français ?
Pourquoi les Irlandais ont-ils dit non ? Ce n’est pas difficile à comprendre. Il y a une très profonde crise de légitimité du processus de construction européenne. Les peuples ont décroché, ils n’y croient plus. Plus : ils considèrent qu’il est devenu négatif, que les élites politiques, financières et médiatiques qui en sont les zélateurs intéressés et autoritaires, les ont trahis, abandonnés aux conséquences désastreuses de la politique ultralibérale et tracassière à la fois de la Commission européenne.
Car enfin, quelle est la situation dans laquelle les gens se débattent au quotidien ? La montée de l’inflation, alors que la Banque centrale prétend la contrôler en maintenant un euro fort, dévastateur pour l’activité économique, et dont seule l’Allemagne parvient à conjurer les effets négatifs ; la privatisation des services publics partout, la précarisation des statuts professionnels, la mise en concurrence des modèles sociaux, l’absence de protection face à la mondialisation sauvage et à la concurrence impitoyable des pays à bas salaires, l’absence de tarif extérieur commun, un pacte de stabilité qui agit comme un véritable couperet sur les politiques budgétaires nationales et qui paralyse toutes les politiques sociales, publiques et de solidarité ; enfin une incapacité stratégique de l’Europe, réduite au rôle de supplétif de l’empire d’Outre atlantique...
De fait, tout ceci se résume en deux formules : dépossession de la souveraineté des nations, détournement de la volonté des peuples au seul profit du capital financier européen et international. C’est cela que les peuples ont compris. Et qu’ils refusent.
Que faire ? Il faut réorienter la construction européenne en s’appuyant sur la volonté populaire, revoir les statuts de la Banque centrale en y introduisant des objectifs d’emploi et de croissance ; confier explicitement à l’Eurogroupe la responsabilité de la politique de change ; refuser toute nouvelle privatisation, déclarer les services publics biens de souveraineté nationale et, comme la recherche et l’innovation, les faire sortir des champs de compétence, c’est-à-dire de privatisation ,de la Commission ; réduire le droit absolutiste d’initiative de celle-ci ; assouplir la pacte de stabilité pour relancer la zone euro et jeter les bases d’une coopération intergouvernementale des pays de l’euro ; refuser le libéralisme effréné de la Commission, qui livre, à l’OMC, les peuples européens pieds et points liés à la mondialisation libérale ; introduire une taxe sur les délocalisations.
Il faut organiser un débat européen pour lancer de grands projets d’infrastructure et de développement, imposer à la Commission de mettre en œuvre une véritable politique de l’énergie, relancer des politiques d’industrialisation concertées, rétablir, enfin, pour un meilleur équilibre stratégique au sein du Conseil européen, la parité des votes entre la France et l’Allemagne. Il faut de l’imagination, le souci des peuples, le respect de la démocratie. Et remettre sur le métier tout le processus de construction en éclairant sa finalité et ses moyens. Il faut arrêter la course folle à l’intégration, réintroduire fortement la coopération intergouvernementale, et aller vers une Europe à géométrie variable fondée sur la démocratie des peuples. Permettre aux pays qui veulent plus d’intégration de le faire ; aider les autres à se mettre à niveau, donner enfin à l’Europe ce qui lui manque le plus : une identité sociale, un projet humain. Et pour cela, il faut rendre l’Europe aux peuples européens, respecter le verdict des urnes.