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Publié le Mercredi 22 Février 2017 par

Le temps d'un monde fracturé



Tribune de Bruno Moschetto, Secrétaire national aux questions économiques, parue sur LaTribune.fr, mardi 21 février 2017.


Le temps d'un monde fracturé
Depuis 1945, date du constat prémonitoire de Paul Valéry sur la finitude du monde, celui-ci s'est terriblement unifié jusqu'à devenir monolithique. Mais en observant l'écorce terrestre de haut, l'on peut constater que celle-ci présente aujourd'hui des signes de fractures que l'on peut localiser de la périphérie au centre.


A la périphérie tout d'abord. Certes,la libéralisation générale des échanges a accéléré l'unification de la surface du globe. Mais à la réflexion, cette libéralisation ne porte que sur trois composantes des échanges : les biens, les services et les capitaux et en aucune manière sur les hommes, en dépit de flux migratoires sévèrement contenus et de montants extraordinairement modestes. Donc la plénitude des trois premières composantes est annihilée par la quatrième qui neutralise l'ensemble. Cet état de fait pénalise un certain nombre de pays avancés, dont le nôtre, d'où l'apparition de déséquilibres, à la longue, insupportables.

Un pacte colonial à l'envers

Comme les capitaux sortent librement des pays avancés excédentaires en épargne, à destination des pays émergents déficitaires en investissements, qui utilisent une main d'œuvre à bas coûts salariaux et à protection sociale quasi nulle, l'équilibre des échanges résulte des importations des produits de consommation issus des entreprises ainsi délocalisées. De tels échanges déséquilibrés correspondent à une sorte de pacte colonial à l'envers, au titre duquel ce sont les pays colonisés qui vampirisent les pays colonisateurs du fait de la compétitivité insurmontable de leur prix de production à l'exportation. Le rééquilibre de ces échanges inégaux ne pourrait résulter que d'une immigration totalement libérée en provenance des pays émergents, dont l'Afrique. Ainsi, la population de l'Europe de 500 millions d'habitants devrait théoriquement passer à 2 500 000 et les prix s'y'uniformiseraient vers le bas . Autrement dit, la délocalisation à terme tuerait la délocalisation .

Une première fracture entre le nord et le sud

D'où en attendant cet « eldorado » les ripostes successives des pays pénalisés, à commencer par les Etats-Unis, où Donald Trump vient de décider de stopper la création au sud du Rio Grande de « maquiladoras », mot dérivé de maquila c'est-à-dire le droit de farinage payé par le laboureur au meunier afin que celui-ci transforme le blé ( matière première) en farine (produit semi-fini). De telles usines bénéficient de l'exonération des droits de douane sur les capitaux de production importés et sur les exportations de leurs produits. L'implantation des maquiladoras résulte de l'écart considérable des taux de rémunération horaire entre le travailleur mexicain - 1 dollar- et le travailleur américain - 8 dollars- . Par cette décision, Donald Trump ambitionne de créer des emplois au Michigan au détriment du Mexique en vertu de son slogan : America First. Il donne ainsi le « la » et d'autres pays suivront un tel mouvement de rationalisation de leur production intérieure. Ainsi apparaît une première fracture de tracé horizontal entre les pays du Nord et les pays du Sud.

Nouvelles fractures en Europe

De nouvelles fractures vont apparaître notamment en Europe. Une première résulte d'un vote référendaire , le Brexit , au terme duquel le peuple britannique a exprimé sa volonté de voir le Royaume-Uni sortir de l'Union européenne. Pourquoi ? Parce que les électeurs étaient opposés à la libre circulation intra européenne des personnes et non pas à l'existence du marché unique pour les marchandises et les capitaux. Pourquoi cette hostilité à l'immigration intra européenne ? Parce que les travailleurs de l'Europe de l'Est et surtout ceux de la Pologne étaient totalement compétitifs par rapport aux salariés britanniques non protégés par des minima sociaux. D'où la volonté de mettre un terme à cette concurrence inégale dans les échanges.

Aussi, le rejet de la libre circulation intra européenne des travailleurs ne devrait concerner que les pays à main d' œuvre très compétitive . Les autres pays de l'Union européenne vont -ils se battre, pour sauver la libre circulation du soldat polonais ? D'autant plus que ce dernier leur tire dessus lorsqu'il se camoufle en travailleur détaché. En fait la fracture qui se dessine à l'issue du Brexit n'a pas un tracé horizontal entre le Royaume-Uni et l'Union européenne situés en deçà et au-delà de la Manche, mais un tracé vertical entre les pays de l'Europe occidentale et ceux de l'Europe orientale et contribuera à séparer l'Europe en deux moitiés .

Hyper compétitivité allemande...

Une deuxième fracture se dessine aussi en Europe, découlant de l'hyper compétitivité des prix des produits allemands notamment par rapport à ceux de l'économie française. Cette fracture se traduit par le déficit important et récurrent de notre balance commerciale et par l'excédent symétrique et insolent de celui de l'Allemagne. Aussi la France est dite à la traîne de celle-là parce que ses prix ne sont pas compétitifs à l'exportation. À la réflexion, ainsi que nous le rappelle l'Organisation internationale du travail (OIT) qui est dans la mouvance de l'ONU - ceci est totalement faux selon les conclusions de son rapport pour 2011 puisque l'Allemagne tire l'ensemble de l'activité économique de ses partenaires vers le bas et tout particulièrement celle de la France, et ce par l'artifice d'un avantage comparatif.

... en raison d'une dévaluation interne

Celui-ci résulte de ce que l'on appelle pudiquement l'effet des dévaluations internes au titre desquelles la baisse généralisée des salaires et des retraites imposée par les gouvernants est acceptée par l'ensemble des populations. Une telle dévaluation interne a été adoptée par l'Allemagne sous la gouvernance du Chancelier Shroëder au début des années deux mille. Ainsi, pour fixer les idées, chacun sait que la coupe de cheveux pour homme coûte 18 euros en Allemagne contre 24 euros en France soit 30% de plus.

Mais quel est le lien entre les prix du secteur tertiaire et la compétitivité des prix industriels à l'exportation ? Un simple calcul permet de l'identifier : dans des pays à structure comparable tels que la France et l'Allemagne, la production du secteur primaire (agriculture) est équivalente à 10% ; celle du secteur secondaire (industrie) est équivalente à 20% et celle du secteur tertiaire (les services) est équivalente à 70% de l'ensemble de la production. En effet, si les prix du secteur tertiaire sont du fait des dévaluations internes inférieurs de 25% aux nôtres, le tour est joué ! C'est parce que l'ouvrier de la construction automobile allemande paie l'ensemble des services à moins de 25% que les produits à l'exportation sont inéluctablement compétitifs. Donc cette composante de la demande pour accroitre nos parts de marché nous est strictement fermée puisque nous ne pouvons pas, dans le cadre de la zone euro, procéder à une dévaluation externe de notre monnaie devenue unique.

Quelle solution pour relancer l'économie française?

Alors, comment augmenter notre taux d'activité ? En relançant la demande de consommation qui pourrait bénéficier de crédits bancaires à bas taux . Mais force est de constater que les consommateurs ne sont pas enclins, par prudence, dans un cadre général quasi déflationniste, à accroitre leurs demandes de crédits. En effet, l'on peut selon le sophisme de Keynes « conduire l'âne à la rivière, mais on ne peut le contraindre à y boire ». Reste donc la possibilité de relancer notre demande d'investissement et plus particulièrement celle des investissements publics affectés à des grands travaux d'infrastructure. Mais une telle relance se heurterait à un plafond de verre : celui du taux d'endettement par rapport à la production intérieure brute devenue une espèce de loi d'airain budgétaire depuis Maastricht. Mais si nous crevions ce plafond de verre en portant le taux d'endettement à plus de 100% nous serions conduits à sortir de l'Union économique et monétaire (UEM) sans nécessairement sortir de l'euro, demeurant toujours la monnaie de la France, mais devenant l'euro-franc à parités flexibles avec ses pareils de la zone. En fait cela correspond à une nationalisation de l'euro et une telle hypothèse est reprise partiellement par Joseph Stiglitz dans son tout récent ouvrage sur l'euro.

Ainsi une autre fracture à profil vertical viendrait disloquer le couple franco-allemand. Autrement dit, soit nous restons dans le statu quo avec la poursuite de l'austérité et le ralentissement de l'activité économique, soit nous voulons en sortir et cela se concrétisera par une fracture franco-allemande. Le temps du monde fracturé a bien commencé !

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Bruno Moschetto
Secrétaire National aux questions économiques. En savoir plus sur cet auteur



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