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Publié le Lundi 21 Novembre 2011

Le MRC, la Constitution et la VIe République



Par Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente du Mouvement Républicain et Citoyen


Certains partis ou mouvements notamment à gauche en appellent à une « VI° République ». Changer le régime, proclamer de multiples droits sont les axes principaux de la révision constitutionnelle que les uns ou les autres proposent.

On ne saurait toutefois perdre de vue que la Constitution est d’abord faite pour donner une traduction effective à la souveraineté populaire. Elle reflète, par sa pratique et par ses dérives l’état réel de cette souveraineté. Lorsque celle-ci est atteinte, il faut en priorité s’attaquer aux causes du mal. Le reste et même la question du régime vient après. Or, prônant le retour à un régime parlementaire, les projets de « VI° République » sont muets sur cette question fondamentale de l’exercice de la souveraineté. Ils cherchent à renforcer les pouvoirs du peuple par la proclamation de droits nombreux (participation, parité…) et un appel accru au referendum, en raisonnant comme si la souveraineté populaire était intacte. Ils ne voient pas que les pouvoirs qui en résulteraient ne seraient pas librement exercés, la plupart étant hypothéqués par la subordination de nos lois aux traités européens.

1/La priorité de toute réforme de la Constitution doit mettre l’accent sur le problème de l’abaissement du pouvoir souverain de faire la loi

Cet abaissement a une double source : externe avec les transferts de souveraineté vers l’UE mais aussi interne, avec la bien mal venue exception d’inconstitutionnalité qui n’a de démocratique que l’apparence. Déjà soumis à la censure parfois imprévisible du juge constitutionnel, le législateur voit remettre en question tout le stock des lois existantes, avec une procédure de « question prioritaire de constitutionnalité » qui fait les délices des avocats et ralentit encore les procédures judiciaires. En bref le Parlement et par là le peuple voit grignoter sa souveraineté de tous côtés. La force de la loi en souffre : elle est abondante, bavarde (transposition de directives lourdes et complexes), mal connue et mal respectée. Un peuple dont les représentants ne maîtrisent plus la confection de la loi vit une démocratie affaiblie.

2/Quant à la question du régime, il est clair que la « VI° République » d’A. Montebourg ou celle du Front de Gauche se solderait principalement par un retour à la IV° c’est-à-dire au régime d’assemblée. Le rééquilibrage des pouvoirs entre un Président de la République qui continuerait à tirer sa légitimité de l’élection au suffrage universel et un Premier ministre désigné par lui mais désignant son gouvernement et soumis à investiture par l’Assemblée, serait soit un trompe-l’œil de mauvais aloi(2) soit, plus probablement, un basculement vers le retour au régime d’assemblée avec le risque d’instabilité qui en résulte dans un monde en crise où la capacité de négociation de l’Etat français doit être préservée.

Attentif à l’intérêt que pourrait présenter une clarification de notre régime par l’instauration d’un régime présidentiel, avec double « menace » (dissolution du ¨Parlement par le Président de la République et démission automatique du Président), le MRC ne peut qu’en rester aujourd’hui à la question de savoir si les bénéfices attendus d’une telle réforme seraient réels. JP Chevènement s’était interrogé lors de son audition par le Comité Balladur (2008) sur la possibilité de reconstruire une cohérence en passant à un régime présidentiel c’est-à-dire, il convient de le rappeler, un régime qui se définit par la stricte séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. L’interrogation reste cependant ouverte car il est difficile de prévoir les inconvénients d’un système qui peut d’ailleurs se dégrader dans le temps, comme le montre le cas des Etats-Unis.

S’agissant de l’élection du Président de la République au suffrage universel
, il est en tout état de cause impossible de revenir sur la réforme de 1962, qui apparaîtrait comme une remise en cause du droit de suffrage direct pour le choix de la plus haute autorité de l’Etat. En outre cette réforme a en elle-même des vertus dès lors que, en dépit de l’entropie qui a affecté le système, elle est la seule traduction –aujourd’hui théorique, mais demain ?- de la nécessité de rassembler le peuple français autour d’objectifs d’intérêt général dépassant le cadre des partis.

3/S’agissant des moyens de fortifier la démocratie, il faut observer que la participation des citoyens n’a pas été accrue par la décentralisation et que le referendum d’initiative populaire proprement dit serait une voie glissante ouvrant la porte aux propositions démagogiques telle la remise en cause de la peine de mort. Quant à la dernière réforme constitutionnelle, elle n’a institué qu’un impossible referendum mixant initiative parlementaire et initiative populaire dans un dispositif illisible qui d’ailleurs n’a pu encore trouver sa traduction dans des textes d’application. Il convient de se prononcer plutôt pour un referendum élargi aux grands choix économiques et budgétaires mais ceci est en relation avec le renforcement des pouvoirs nationaux en matière de droit européen (v ci-après). Enfin le « lit de justice » permettant au Parlement de revenir par un vote à la majorité qualifiée sur une censure du Conseil constitutionnel serait de nature à mieux assurer l’équilibre normal des pouvoirs dans une démocratie qui ne peut être pilotée par des juges.

Le risque d’une Constitution trop bavarde qui dévaloriserait les principes proclamés par le Préambule au profit d’un véritable flot de principes soit vagues soit marqués par le souci de coller à la société (charte de l’environnement, principe de précaution) doit être évité. Certains d’entre eux d’ailleurs sont très inopportuns, mettant en conflit une certaine conception de la démocratie avec les principes fondateurs de la République : ainsi le droit de vote des étrangers aux élections locales, que nous rejetons pour notre part au profit d’un droit élargi à la naturalisation qui ouvrirait à l’étranger l’ensemble des droits du citoyen..


4/ La principale réforme à envisager est donc celle de l’articulation des pouvoirs souverains de la France avec l’Union européenne. A cet égard, deux questions sont pour nous une préoccupation majeure :

  • la dépossession du Parlement, déjà évoquée ci-dessus des pouvoirs normaux qu’il tient du vote de la loi. La subordination de plus en plus grande de celle-ci aux règlements et directives (2) qui en outre devraient dans le futur être adoptées à la majorité qualifiée , c’est-à-dire sans droit de veto, finira inéluctablement par faire que les « délégations de compétences », comme dit le Conseil constitutionnel, aboutissent inéluctablement par grignotage successifs à des « transferts de souveraineté » qui n’auront jamais été autorisés comme tels. Mieux : alors qu’en de nombreux domaines, les pouvoirs de l’Union de prendre telle ou telle directive sont tout sauf clairs (3) , le texte de la directive, lorsqu’il est « transposé » dans la loi est de plus en plus souvent recopié dans tous ses détails alors que le Traité (4) ne l’exige même pas.
  • «la Charte européenne des droits fondamentaux» incluse dans le traité de Lisbonne est un autre instrument majeur de cette dépossession. On n’y prend pas assez garde en raison de la magie des mots « droits fondamentaux » qui semblent une annonce de démocratie accrue. Or c’est l’inverse qui est vrai car un peuple dépossédé du droit de dire quelle interprétation il a de l’égalité, de la laïcité, et de certaines libertés profondément liées à sa culture (la délation envers le voisinage, normale au Royaume-Uni, ne « passe » pas en France, le droit à adoption des couple homosexuels par exemple n’est pas perçu de la même façon dans 27 pays) est voué à se ranger à une culture aplatissant, faussement universaliste . Pour porter un message universel et donc démocratique, les droits doivent être enracinés dans une histoire. On voit bien ce que donne le plaquage de la démocratie dans des pays qui n’ont aucune tradition sur laquelle la fonder. Une démocratie prédigérée et formatée n’est pas une démocratie vivante.

    Comment tenter d’inverser ces dérives ?

    Un premier objectif devrait être d’endiguer le flot des textes européens qui ne laissent plus de marge à la loi nationale en s’assurant que ces règles doivent effectivement s’imposer, c’est-à-dire sont établies dans le cadre de compétences claires et strictement interprétées de l’Union européenne. Pour cela, une révision de la Constitution pourrait d’abord renforcer les pouvoirs de contrôle du Conseil constitutionnel : à l’instar des pouvoirs de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, il vérifierait que la « loi européenne » ne porte pas atteinte à des prérogatives qui devraient rester nationales (5) . De plus lui serait donné un pouvoir de contrôle –qu’il n’a pas jusqu’ici osé s’octroyer – sur la compatibilité des règlements et directives avec l’ensemble de nos principes constitutionnels dès lors que, en vertu de l’article 55 lui-même, la Constitution a une valeur supérieure au traité. Ainsi, au lieu de mettre à cœur joie le législateur national sous tutelle, le juge constitutionnel serait mieux utilisé pour préserver ces mêmes pouvoirs face au déluge des textes européens de toute nature.

    Cette révision constitutionnelle devrait préciser, dans le même esprit, quelle est la nature de nos engagements telle qu’elle figure aux art 88-1 et suivants de la Constitution qui sont aujourd’hui très flous (exercice en commun de compétences par les Etats membres de l’Union européenne) et ouvrent la porte à toutes les dérives. Il serait également prévu que le Parlement national exerce un contrôle effectif et en amont, c’est-à-dire avant de se prononcer comme prévu ci-dessus, sur les « projets d'actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne » qui lui sont aujourd’hui transmis par le gouvernement dès qu’il en a connaissance mais pour sa seule information (art 88-4). Il vérifierait notamment s’ils entrent bien dans le champ de compétences clairement définies de l’UE et, s’agissant des directives, si elles se bornent bien comme le dit le traité à fixer des objectifs. Le gouvernement ne pourrait transmettre son accord aux instances européennes (Commission, Parlement européen) s’il n’en était pas ainsi.

    Un autre objectif serait de renforcer dans le texte constitutionnel la définition de certains principes « durs » (6) : principe d’égalité pour en exclure les options différentialistes ou communautaristes, mais aussi certains principes sociaux (droit à la santé, droit à des services publics fondés sur l’égalité et la continuité) de manière à les soustraire par le contrôle décrit ci-dessus à l’application de règles européennes en contradiction avec eux…ou de velléités nationales d’y porter atteinte. En bref renforcer ce que le Conseil constitutionnel nomme l’ « identité constitutionnelle de la France », belle formule mais à laquelle il serait bon de donner une portée réelle.


    Conforter en priorité les droits du Parlement représentant le peuple français, contre les dérives externes et internes de l’exercice de la souveraineté nationale sans revenir à un régime parlementaire qui nous a été funeste dans l’histoire, tel devrait donc être pour des républicains conséquents le chantier prioritaire.

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    1/Le Premier ministre serait ainsi curieusement doté des pouvoirs de « chef des armées » qui ne correspond à aucune tradition dans notre pays
    2/ Depuis 2005 le Conseil constitutionnel fait de la transposition des directives une obligation constitutionnelle et a décidé de ne s’y opposer qu’en cas d’atteinte aux principes faisant notre « identité constitutionnelle » mais ceux-ci se réduisent, si l’on en croit les commentaires autorisés, à peu près la seule laïcité
    3/Ainsi les compétences en matière de « cohésion sociale » ou d’ « environnement »
    4/Depuis le traité de Rome et jusqu’au traité de Lisbonne, les directives contrairement aux règlements qui sont d’effet direct, « lient les Etats membres quant aux objectifs à atteindre ».
    5/D’autant que, comme dit ci-dessus l’UE a acquis au fil des traités des compétences transversales qui rendent opaques l’étendue exacte de ses compétences
    6/ Par opposition aux principes bavards dont les auteurs de projets de révision croient utile d’émailler leurs textes, sans prendre garde qu’à trop multiplier les principes, on porte atteinte à la densité de ceux qu’il est le plus important de préserver.

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Thierry Cotelle
Président du MRC
Conseiller régional d'Occitanie