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Publié le Mercredi 11 Mars 2015

Laïcité et islam de France : que de gâchis et de temps perdu


Mots-clés : laïcité, république

Tribune de Claude Nicolet, Secrétaire national du MRC en charge de la Citoyenneté et de la Laïcité, parue sur Marianne.net, mercredi 11 mars 2015.


Laïcité et islam de France : que de gâchis et de temps perdu
Gouverner est un art difficile. Incontestablement la période actuelle en est la démonstration. A ce titre, suite aux attentats de janvier dernier, le ministre de l’Intérieur a fait, lors du conseil des ministres du 25 février dernier un certain nombre d’annonces, suivies d’un discours le même jour, à la mosquée de Cenon, près de Bordeaux. L’objet de ces interventions : la place de l’islam en France et dans la République.

Dans ces temps difficile, la démagogie n’est pas de mise. Un gouvernant ne peut et ne doit se désintéresser de la question religieuse, ce serait une erreur qui pourrait devenir une faute. Si les deux interventions de Bernard Cazeneuve sont de qualité, elles appellent néanmoins quelques commentaires. Tout d’abord le rappel salutaire par le ministre que « nous sommes un peuple, un seul et unique peuple, quelles que soient nos origines, quelles que soient nos convictions ou nos croyances. Nous sommes tous Français. La République ne fait pas de distinctions parmi ses enfants : généreuse et bienveillante, elle les accueille tous en son sein. Et en République, il n’y a qu’une seule communauté : la communauté nationale que nous formons tous ensemble. » Ce rappel, pour évident qu’il paraît à nos yeux, n’en vient pas moins heurter l’idéologie en vogue des différentialistes et communautaristes de tous poils qui ne cessent de vouloir séparer les Français et qui mettent à mal les fondamentaux de la nation républicaine. Il convient de rappeler que la voix en fut tracer par toutes celles et ceux qui se sont fait les chantres du « droit à la différence » plutôt que d’assumer la promesse républicaine et le combat de l’égalité politique et sociale. Du droit à la différence jusqu’à la différence des droits, il n’y a même pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Résultat, aujourd’hui, nombreux sont ceux, qui au nom de leur « communauté », revendiquent des droits spécifiques.

Benjamin Stora, dans l’Humanité du 12 février dernier, a donc totalement raison de rappeler « qu’il faut enseigner les luttes sociales et politiques des immigrés à leurs enfants », plutôt que de vouloir les réduire, donc les enfermer comme sujets religieux ou culturels. Pourquoi vouloir évacuer les combats sociaux dont beaucoup furent des acteurs de premier plan ? Luttes professionnelles, sociales, politiques qui furent et sont encore des combats au sein de la société pour la transformation de celle-ci, combat pour les droits, pour l’Egalité. Les partis politiques, les syndicats, ont une responsabilité majeure dans cette bataille puisqu’il leur revient théoriquement, d’être les outils de transformation et d’émancipation sociales et politiques.

Contrairement au Parti socialiste, je ne peux donc qu’être inquiet sur l’idée de renforcement et de développement de l’enseignement privé confessionnel musulman. Que celui-ci souhaite se développer, c’est dans la nature des choses, mais est-ce à la République de vouloir qu’un enseignement de ce type se développe ? Bien sûr que non. N’est-ce pas d’abord au sein de l’école de la République que doivent être forgées les armes contre tous les intégrismes et tous les communautarismes ? La loi de 1905 se voulait une loi d’apaisement mais également un moyen d’arracher la jeunesse française à l’influence catholique afin d’assoir la République dans les cœurs et les consciences. C’est d’abord à l’école de la République qu’il convient de « fabriquer » des républicains et des citoyens. Là est le cœur de la laïcité.

Tout comme l’idée de soutenir le dialogue inter-religieux. S’il est incontestablement préférable que les religions dialoguent entre elles plutôt qu’elles se fassent la guerre et que l’Etat y trouve son compte, je le comprends aisément, mais il s’agit là d’une question qui ne regarde que les cultes en question, l’Etat n’a pas à s’en mêler. Dans cette affaire, la fermeté doit être le revers de la volonté de voir l’islam se réformer. De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer cet « aggiornamento » spirituel, y compris et surtout des intellectuels de culture ou de croyance musulmane. L’idée d’une fondation de l’islam de France peut donc être une bonne idée mais à une seule condition : celle de participer à la création d’un islam « gallican » ayant la volonté de rompre avec les influences ultramontaines. La structuration, l’organisation, le financement de cette fondation seront donc des enjeux déterminants pour en vérifier la finalité. Autrement dit, si les financements continuent de provenir des réseaux les plus sectaires, mieux vaut ne rien faire.

De même pour le renforcement du fait religieux à l’école. Les religions, si elles doivent être approchées dans le cadre scolaire, ne doivent l'être qu'en ce qu'elles sont un objet social, culturel, historique et anthropologique comme tous les autres. Elles ne peuvent donc être abordées qu'au titre d'objet scientifique, de connaissance et en aucun cas comme des croyances et encore moins des révélations. Sinon il y aura automatiquement l’introduction d'une dimension qui renverrait de fait la liberté de conscience, l'agnosticisme, l'athéisme ou le matérialisme à des croyances comme une autre. Voire même une discrimination vis-à-vis de ceux qui n'adhèrent pas à une religion.

Par ailleurs, je ne peux me départir d’un sentiment de gâchis et de temps perdu. C’est également ce qui transparaît dans le discours de Bernard Cazeneuve. En particulier quand il évoque l’abandon de la grande tradition islamologique au sein de l’université française en citant de grands noms comme Louis Massignon, Maxime Rodinson et Jacques Berque. Grande misère de notre enseignement supérieur mais qu’on ne peut séparer de notre politique étrangère et du déclin de notre « politique arabe. » Nous avons violemment redécouvert que le monde arabe, le Proche et le Moyen Orient sont nos voisins immédiats. Il faut donc faire revivre cette grande tradition universitaire et Bernard Cazeneuve a raison de vouloir le faire. Mais là, comme ailleurs, cela sous-entend d’y mettre les moyens, notamment financiers. Ces derniers seront-ils au rendez-vous ? Souhaitons que oui.

Dans cette affaire, les réalités géopolitiques nous ont rattrapées et à force d’avoir sous-traité la paix sociale à certaines mosquées, leurs financements à certains Etats étrangers, peut-être pour une impression de confort à courte vue, nous avons laissé partir l’essentiel ; sans républicains la République n’existe pas. Dans ces conditions, comment demander au « commun » de croire dans un modèle auquel n’adhère plus que de loin, celles et ceux qui sont sensés le mettre en œuvre ? De même, que de retards accumulés sur la formation des imams, des aumôniers et sur la théologie islamique dans l’université française. Nous avons perdu quasiment une vingtaine d’années. Années perdues pour la tranquillité publique, mais aussi pour l’islam dont la France et sa société représentent une formidable opportunité de réforme profonde. Sur ce point il y a une véritable urgence. Réformes nécessaires, car les attentats de janvier ne sauraient être réduits à une question de violence sociale ou de chômage.

Pour le reste, le ministre a raison, et il est dans son rôle en assurant la sécurité des lieux de cultes. Nos concitoyens doivent pouvoir pratiquer leur foi, dans la sécurité et la tranquillité. Tout comme il a raison de vouloir un renforcement du dialogue entre les institutions (il ne faut jamais oublier que le ministre de l’Intérieur est également le ministre des Cultes) et les représentants de l’islam. Représentation dont il convient de redéfinir le contour, ce sur quoi il a également raison. Le CFCM dans son fonctionnement actuel n’est que le résultat d’une côte mal taillée.

Encore une fois, la laïcité ne se résume pas à la « neutralité » de l’Etat, elle est une méthode, une organisation et une volonté politique. Elle ne cherche pas à soumettre qui que ce soit ou quoi que ce soit. Elle affirme et elle construit un espace dégagé de l’emprise des dogmes, offrant à chacun la capacité d’exercer et de vivre la liberté de conscience et de faire cette expérience de la construction de l’altérité et de l’Egalité.

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Source : Marianne.net

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