Comment expliquer que l'euro ne soit véritablement évoqué ni dans les trente principales propositions du Parti socialiste pour 2012 ("Priorités 2012"), ni dans son document principal de 50 pages ("Le changement") distribué à la presse ? Il faut se rendre sur son site Internet et se reporter au document intégral de 75 pages du projet pour trouver la trace d'une modeste réflexion sur la gestion de la zone euro. La crise n'y a rien fait : le projet du PS est plus timide que celui de sa candidate de 2007, qui proposait de revenir sur les statuts de la Banque centrale européenne (BCE).
La question de la réorientation de la zone euro (ou, plan B, de sa sortie) est pourtant la question politique cardinale qui se pose dès maintenant et se posera au prochain président de la République française.
La zone euro a en effet produit des performances économiques inférieures aux prévisions, mais aussi aux performances des autres blocs continentaux. Le taux de change de l'euro par rapport au dollar et au yuan est insoutenable pour la majorité des pays de la zone, à l'exception de l'Allemagne, des Pays-Bas et de l'Italie du Nord. Les économies, loin de converger, se sont spécialisées, comme il était prévisible. L'Allemagne a profité à plein de la monnaie unique pour devenir le cœur industriel et technologique de l'Europe. Au contraire, les pays périphérique de la zone euro, en particulier son versant sud (Espagne, Portugal, Grèce), loin de développer une solide économie nationale, ont été victimes de bulles spéculatives, notamment dans le secteur de l'immobilier. On peut désormais schématiser ainsi la géographie politique et économique de l'Europe : un centre de production industrielle (l'Allemagne pour l'essentiel) ; une périphérie faisant office de centre de consommation (le sud de la zone), tirée par le crédit, les subventions européennes et des salaires déconnectés de toute base industrielle. La France, dont la situation est intermédiaire, est prise en étau entre un euro cher, la concurrence des pays émergents et la politique non coopérative de l'Allemagne.
Cette dernière a en effet pu accumuler des excédents commerciaux considérables sur les autres pays de la zone (les deux tiers de son excédent total). Elle a délibérément mené à partir du début des années 2000 une politique économique de restriction de sa demande intérieure (réduction des droits sociaux des salariés et des chômeurs, précarité encouragée avec les "zwei euro jobs", augmentation de la TVA) qui est venue s'ajouter à son avantage technologique structurel.
Aujourd'hui, le "pacte de compétitivité" dicté sous la pression d'Angela Merkel, acté par Nicolas Sarkozy et peu critiqué par les sociaux-démocrates de part et d'autre du Rhin, renforce encore les orientations dépressionnistes de la zone euro, au moment même où un quart des Etats membres sont maintenus artificiellement sous tente à oxygène (Grèce, Irlande, Portugal, et bientôt sans doute l'Espagne).
Dans son fonctionnement actuel, la zone euro agit ainsi comme un accélérateur de la destruction de l'appareil industriel français et de la baisse des salaires pour les classes moyennes et populaires.
DEUX SCÉNARIOS
Voilà pourquoi, à l'heure actuelle, et étant donné le niveau de décomposition de la zone euro, un candidat de gauche digne de ce nom devrait prendre à bras le corps cette question et proposer deux scénarios articulant diplomatie et politique économique.
Dans le premier, le gouvernement français issu des urnes en 2012 engagerait une discussion capitale avec le gouvernement allemand autour de trois points prioritaires : une politique monétaire plus dynamique par l'inclusion des objectifs de croissance et d'emploi dans les statuts de la Banque centrale européenne ; un euro "faible" par une politique de change fixant l'objectif d'une parité stricte entre l'euro et le dollar ; enfin le rachat d'une partie de la dette publique des pays de la zone (au sud en particulier) par la BCE. Il faudrait également espérer une victoire de la gauche aux élections législatives allemandes en 2013. Un "intérêt général européen" bien compris devrait pouvoir faire admettre au SPD que l'avenir du salariat européen, allemand compris, ne peut pas se résumer à une dégradation continue des salaires et des conditions de travail. Ce pari suppose que l'Allemagne réalise enfin un aggiornamento de sa politique économique, car elle serait appelée à relancer sa demande salariale pour soulager le reste de la zone. Ce scénario permettrait d'amorcer une réindustrialisation de l'économie française, une réduction des divergences internes à la zone euro et de mettre un coup d'arrêt à la déflation salariale.
Si ce premier scénario s'avérait impossible à mener à bien, alors le plus probable serait un éclatement de la zone euro, les pays du Sud (Grèce, Portugal, Espagne, voire Italie) recouvrant leur liberté monétaire et usant de dévaluations compétitives. L'intérêt de la France serait alors de ne pas se retrouver asphyxiée entre un euro-mark surévalué pour son économie et une Europe du sud redevenue plus compétitive. Une telle configuration sonnerait la fin de l'industrie française et réduirait à néant nos capacités de développement technologique pour le futur. Il nous faudrait donc reprendre notre liberté monétaire, avec une Banque de France soumise au pouvoir politique, un franc dont le cours serait adapté aux besoins de notre économie et un système monétaire européen (re)formé.
Seules une vision lucide et une solide préparation permettront à la gauche de faire face au problème économique central que constitue l'euro cher. L'histoire, et peut-être d'abord l'histoire électorale, sera cruelle pour ceux qui préfèreront la politique de l'autruche à la politique tout court. Il est encore temps pour les socialistes de s'en aviser et de mettre la gauche à la hauteur de ses responsabilités.
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source : LeMonde.fr
La question de la réorientation de la zone euro (ou, plan B, de sa sortie) est pourtant la question politique cardinale qui se pose dès maintenant et se posera au prochain président de la République française.
La zone euro a en effet produit des performances économiques inférieures aux prévisions, mais aussi aux performances des autres blocs continentaux. Le taux de change de l'euro par rapport au dollar et au yuan est insoutenable pour la majorité des pays de la zone, à l'exception de l'Allemagne, des Pays-Bas et de l'Italie du Nord. Les économies, loin de converger, se sont spécialisées, comme il était prévisible. L'Allemagne a profité à plein de la monnaie unique pour devenir le cœur industriel et technologique de l'Europe. Au contraire, les pays périphérique de la zone euro, en particulier son versant sud (Espagne, Portugal, Grèce), loin de développer une solide économie nationale, ont été victimes de bulles spéculatives, notamment dans le secteur de l'immobilier. On peut désormais schématiser ainsi la géographie politique et économique de l'Europe : un centre de production industrielle (l'Allemagne pour l'essentiel) ; une périphérie faisant office de centre de consommation (le sud de la zone), tirée par le crédit, les subventions européennes et des salaires déconnectés de toute base industrielle. La France, dont la situation est intermédiaire, est prise en étau entre un euro cher, la concurrence des pays émergents et la politique non coopérative de l'Allemagne.
Cette dernière a en effet pu accumuler des excédents commerciaux considérables sur les autres pays de la zone (les deux tiers de son excédent total). Elle a délibérément mené à partir du début des années 2000 une politique économique de restriction de sa demande intérieure (réduction des droits sociaux des salariés et des chômeurs, précarité encouragée avec les "zwei euro jobs", augmentation de la TVA) qui est venue s'ajouter à son avantage technologique structurel.
Aujourd'hui, le "pacte de compétitivité" dicté sous la pression d'Angela Merkel, acté par Nicolas Sarkozy et peu critiqué par les sociaux-démocrates de part et d'autre du Rhin, renforce encore les orientations dépressionnistes de la zone euro, au moment même où un quart des Etats membres sont maintenus artificiellement sous tente à oxygène (Grèce, Irlande, Portugal, et bientôt sans doute l'Espagne).
Dans son fonctionnement actuel, la zone euro agit ainsi comme un accélérateur de la destruction de l'appareil industriel français et de la baisse des salaires pour les classes moyennes et populaires.
DEUX SCÉNARIOS
Voilà pourquoi, à l'heure actuelle, et étant donné le niveau de décomposition de la zone euro, un candidat de gauche digne de ce nom devrait prendre à bras le corps cette question et proposer deux scénarios articulant diplomatie et politique économique.
Dans le premier, le gouvernement français issu des urnes en 2012 engagerait une discussion capitale avec le gouvernement allemand autour de trois points prioritaires : une politique monétaire plus dynamique par l'inclusion des objectifs de croissance et d'emploi dans les statuts de la Banque centrale européenne ; un euro "faible" par une politique de change fixant l'objectif d'une parité stricte entre l'euro et le dollar ; enfin le rachat d'une partie de la dette publique des pays de la zone (au sud en particulier) par la BCE. Il faudrait également espérer une victoire de la gauche aux élections législatives allemandes en 2013. Un "intérêt général européen" bien compris devrait pouvoir faire admettre au SPD que l'avenir du salariat européen, allemand compris, ne peut pas se résumer à une dégradation continue des salaires et des conditions de travail. Ce pari suppose que l'Allemagne réalise enfin un aggiornamento de sa politique économique, car elle serait appelée à relancer sa demande salariale pour soulager le reste de la zone. Ce scénario permettrait d'amorcer une réindustrialisation de l'économie française, une réduction des divergences internes à la zone euro et de mettre un coup d'arrêt à la déflation salariale.
Si ce premier scénario s'avérait impossible à mener à bien, alors le plus probable serait un éclatement de la zone euro, les pays du Sud (Grèce, Portugal, Espagne, voire Italie) recouvrant leur liberté monétaire et usant de dévaluations compétitives. L'intérêt de la France serait alors de ne pas se retrouver asphyxiée entre un euro-mark surévalué pour son économie et une Europe du sud redevenue plus compétitive. Une telle configuration sonnerait la fin de l'industrie française et réduirait à néant nos capacités de développement technologique pour le futur. Il nous faudrait donc reprendre notre liberté monétaire, avec une Banque de France soumise au pouvoir politique, un franc dont le cours serait adapté aux besoins de notre économie et un système monétaire européen (re)formé.
Seules une vision lucide et une solide préparation permettront à la gauche de faire face au problème économique central que constitue l'euro cher. L'histoire, et peut-être d'abord l'histoire électorale, sera cruelle pour ceux qui préfèreront la politique de l'autruche à la politique tout court. Il est encore temps pour les socialistes de s'en aviser et de mettre la gauche à la hauteur de ses responsabilités.
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source : LeMonde.fr