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Publié le Vendredi 27 Octobre 2006 par MRC

La carte scolaire


Mots-clés : éducation

Texte élaboré par Michel Vignal, à partir de contributions de Patrick Quinqueton et d’ Eric Ferrand et d’un débat au sein de la commission éducation du M.R.C. en présence de Francis Dapse, Gérard Debeaumarché, Gisèle Dessieux, Eric Guyot, François Hervet, Marie-Pierre Logelin, Emmanuel Protin, Michel Ruchmann, Frédéric Seitz.


L’avant campagne présidentielle s’est emparée de la question de la carte scolaire. Nicolas Sarkozy a tout bonnement proposé sa suppression pure et simple. Ségolène Royal a évoqué son aménagement ou son assouplissement. Les débats qui s’organisent autour de ces prises de position mêlent souvent la pure tactique, le double langage et la mauvaise foi. Il est utile d’y voir clair, d’autant qu’à des éléments objectifs se mêlent préjugés et éléments irrationnels.

La carte scolaire date de 1963 : elle a été mise en place en même temps que la création des collèges d’enseignement secondaire (les CES). Il s’agit de la fixation d’un périmètre à l’intérieur duquel toutes les familles qui résident doivent envoyer leurs enfants dans un établissement scolaire donné. Cette sectorisation des élèves s’applique aussi aux écoles primaires et aux lycées.

Si la question est aujourd’hui posée, c’est pour au moins deux raisons, l’une liée aux pratiques personnelles et familiales des couches moyennes supérieures, l’autre résultant d’une analyse lucide de la réalité.

Pour la première, il s’agit des stratégies d’évitement de la carte scolaire. Il est clair que les couches moyennes supérieures (cadres supérieurs, professions libérales) ont engagé depuis longtemps la course au contournement de la carte scolaire. Aujourd’hui, ces stratégies d’évitement concernent aussi une partie importante des couches moyennes dans leur globalité (des cadres supérieurs aux professions intermédiaires), mais également une fraction minoritaire mais croissante des couches populaires (surtout parmi les employés et ouvriers qualifiés).Trois stratégies sont pratiquées : - l’obtention de dérogations à la carte scolaire auprès des commission spécialisées, - le choix d’établissements privés qui,eux,ne sont pas soumis à la carte scolaire,- le changement de domicile des familles en fonction de la géographie de la réputation scolaire. La prise de position contre la carte scolaire est donc pour ces familles une forme d’autojustification.
Ces stratégies ont des facteurs variés selon le cycle d’enseignement. A l’école primaire, à la recherche de la proximité, s’ajoutent le choix de l’homogénéité sociale et linguistique (d’où aussi des considérations ethniques de la part de certaines familles) ainsi que la qualité supposée des enseignants. Au collège, ces mêmes facteurs sont complétés par la prise en compte de la sécurité, des options et des pratiques habituelles d’orientation à la fin de la troisième. Au lycée, parmi les facteurs précédents joueront particulièrement les filières et options, ainsi que les résultats au baccalauréat et la présence de classes post baccalauréat (B.T.S. et classes préparatoires).

Quant à la seconde raison, il est clair que, dans sa forme actuelle, la carte scolaire a sans doute épuisé une partie de sa capacité de lutte contre les inégalités. En effet, la constitution de ghettos urbains conduit à concentrer dans certains établissements, les enfants des couches populaires, notamment issues de l’immigration, qui deviennent des établissements « déclassés ». Bien que la sectorisation soit souvent plus efficace dans les villes petites et moyennes, elle est impuissante dans les grandes agglomérations à endiguer la montée des inégalités sociales et culturelles.

Les « zones d’éducation prioritaire » mises en place en 1982 visaient à tenir compte de cette réalité en affectant des moyens supplémentaires dans les établissements qui y sont situés. Mais force est de constater que, si certains établissements ont pu ainsi se redresser, ce n’est pas le cas partout. Et, en tout état de cause, les ZEP tenaient compte des inégalités entre établissements plus qu’elles ne les combattaient malgré plusieurs tentatives de réorientation. Même si cette ambition volontariste doit être maintenue, il faut bien constater que le bilan des Z.E.P. reste mitigé.

La suppression pure et simple de la carte est une mesure d’inspiration « ultra-libérale », qui vise, au nom des limites de cette politique, à redonner bonne conscience à chacun et à laisser les parents, en fonction de leurs moyens et de leurs relations, trouver les « bons établissements » pour leurs enfants. Elle doit être combattue.

Le nécessaire aménagement de la carte scolaire doit éviter deux écueils :
- renforcer la concurrence, déjà présente, entre établissements, concurrence qui accroît l’attitude consumériste des parents,
- mettre en œuvre, sans le dire, des dispositifs de discrimination positive qui ruineraient tout autant le principe républicain d’égalité.

Le M.R.C. propose d’agir dans quatre directions principales :
- la politique de l’urbanisme et du logement en lien avec celle de l’emploi,
- la qualité et l’attractivité des établissements scolaires,
- le changement des règles du jeu de la carte scolaire,
- la refondation de l’Ecole sur des bases républicaines.

1-Les politiques de l’urbanisme et de logement, et aussi la question de l’emploi sont déterminants.

L’Ecole ne peut pas tout, toute seule. Les graves difficultés de l’Ecole dans certains quartiers ou banlieue vont de paire avec la crise des banlieues et quartiers périphériques. Si l’on veut remédier aux difficultés liées à l’absence de mixité sociale et à la misère sociale et culturelle, il faut s’attaquer au déterminisme de quartier. La carte de la ségrégation scolaire recoupe largement celle de la ségrégation urbaine et de la division sociale de l’espace.
Il faut supprimer les ghettos urbains, restructurer de nombreux quartiers en reconstituant la mixité des formes de logement afin de mêler les habitants de différentes origines sociales et ethniques dans tous les espaces urbains. Il faut aussi y renforcer les services publics, les commerces, les équipements sociaux et culturels et les activités économiques.
Politique certes difficile qui demandera un grand volontarisme et d’importants moyens financiers. Elle ne réussira d’ailleurs que si ces quartiers restructurés sont pourvus en emplois suffisamment diversifiés et durables, suite à une nouvelle politique de croissance économique qu’engagerait notre pays.

2-La qualité et l’attractivité des établissements scolaires doivent être rehaussées dans de nombreux quartiers par une série de mesures.

a) Tout en maintenant et renforçant l’aide aux élèves en difficulté (soutien scolaire, études dirigées ou surveillées, ZEP et réseaux d’éducation prioritaire…), il faut une politique volontariste de création d’options et de filières d’excellence (qui sont majoritairement concentrées dans les « beaux quartiers ») dans les établissements des quartiers périphériques dégradés, ainsi que dans les communes banales des grandes agglomérations comme dans des villes de plus faible importance où cohabitent encore les couches moyennes et les couches populaires.
Il s’agit d’utiliser l’outil de la carte des enseignements et des options pour ouvrir dans ces collèges et lycées des options de langues rares, des classes européennes, des classes à horaire aménagé et des classes préparatoires aux grandes écoles.

b) Il est aussi nécessaire de renforcer et de soutenir les équipes enseignantes de ces établissements en leur attribuant des bonifications indiciaires, en formant davantage et mieux les jeunes professeurs, et en envisageant un système de double affectation pour des professeurs expérimentés, volontaires, d’établissements de centre-ville qui effectueraient une partie de leur service dans ces établissements.

c) Le soutien scolaire en dehors de l’horaire obligatoire doit, alors qu’explose un marché des cours particuliers organisés par de nombreuses officines privées, être mieux pris en charge par la puissance publique (Etat et collectivités territoriales) sous forme d’aide aux devoirs, d’études surveillées ou dirigées qui doivent être gratuites ou à tarifs très modestes.

d) Le développement d’internats modernes, adaptés et fonctionnels pour les élèves de collèges et de lycées, est le moyen d’offrir des conditions d’accueil, d’hébergement et d’étude pour permettre à des élèves défavorisés ou difficiles, d’accomplir une scolarité encadrée et de qualité.

e) La prise en compte des efforts et du mérite doit permettre à des élèves des quartiers en difficulté, d’avoir aussi accès aux filières d’excellence, en particulier après le baccalauréat. Cet accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur s’appuiera sur l’analyse critique des démarches volontaires des établissements réputés, afin d’en tirer le meilleur,tout en évitant de mettre en place des mesures de discrémination positive. Son développement nécessite l’amélioration des possibilités d’accueil dans des internats modernes et dans des résidences universitaires.
Mais, cette politique de mobilité scolaire, ne saurait se substituer à une politique d’ouverture de voies d’excellence dans les quartiers difficiles ou banals, là où elles font défaut. Si la République veut recréer de la mixité sociale et la confiance dans l’Ecole publique, elle devra élever le niveau de qualité et d’excellence sur tout le territoire.

3-Maintenir la carte scolaire a du sens si les règles de sa définition sont modifiées, afin de limiter les stratégies d’évitement.

a) Le secteur privé n’est que partiellement privé puisqu’avec les contrats d’association signés selon les dispositions de la loi Debré, il est très largement financé par l’Etat et constitue, de fait, un secteur parapublic qui bénéficie d’un avantage concurrentiel : la liberté de choisir ses personnels et ses élèves.
Puisque l’Etat finance les établissements privés sous contrat qui, d’après la loi Debré, doivent correspondre à «un besoin scolaire reconnu », il pourrait en contrepartie les insérer dans la sectorisation, même si cette sectorisation doit être propre à l’enseignement privé afin de tenir compte du nombre plus restreint d’établissements concernés.
Pour appliquer une telle mesure, il faudrait aller contre les intérêts de nombreuses familles des couches sociales les plus privilégiées, dont les enfants sont les plus utilisateurs de ce secteur privé.

b) La carte scolaire doit par ailleurs être recomposée sur le plan géographique. Les frontières des secteurs scolaires doivent être redessinées, là où c’est nécessaire, soit à l’échelon communal, soit à l’échelon intercommunal selon la composition sociale de l’espace et les types d’établissements.
En découpant des secteurs géographiques plus larges et donc plus diversifiés socialement, on pourrait exiger que chaque établissement soit tenu de viser, lors de l’inscription des élèves, à respecter un éventail socio-professionnel diversifié des familles des élèves se rapprochant de la structure socio-professionnelle moyenne de ce territoire large. Ainsi, il serait plus difficile de trouver des collèges qui concentrent tous les élèves des familles en difficulté ou des populations les plus pauvres.
Ce nouveau découpage devrait se faire en tenant compte de la politique des transports publics et du ramassage scolaire. Dans les villes, en particulier moyennes, un tel découpage devrait souvent rassembler des parties du centre-ville avec des quartiers périphériques. De telles cartes ont déjà été réalisées, avec un certain succès, dans plusieurs villes. Ces découpages plus équilibrés socialement seront plus faciles à réaliser pour les collèges ou les lycées que pour les écoles primaires où la demande de proximité entre les établissements et la résidence des parents sera un frein.

4- la question de la carte scolaire ne peut être séparée de celle de la refondation de l’école sur des bases républicaines.

Donner de la qualité, tout en assurant la démocratisation de l’Ecole, c’est d’abord recentrer sa mission sur la transmission du savoir et de la culture. Pour cela, un enseignement de qualité doit être dispensé sur tout le territoire, avec des niveaux d’exigence relevés et mieux contrôlés, des savoirs respectés avec des horaires suffisants dans les différentes disciplines, l’effort encouragé et le mérite valorisé. Des maîtres mieux formés, davantage considérés, à l’autorité respectée, seront les meilleurs agents d’une telle refondation.

Les établissements scolaires doivent être valorisés comme éléments de l’institution majeure de la République. Outre l’attention portée à la qualité des bâtiments qui contribue à leur considération et attractivité, ils doivent être préservés des difficultés de leur environnement et de « l’ouverture » à toute les fatalités sociales, à toutes les formes d’incivilité et de violence. La question de la sécurité dans et aux abords des établissements, en particulier pour les collèges et les lycées professionnels, est, en effet, très importante. Les familles y sont très sensibles dans leur choix d’établissements. La fermeté et la discipline s’imposent comme facteurs primordiaux de la liberté d’enseigner et d’apprendre. C’est ce qu’attendent aussi bien les élèves et les professeurs que les parents
L’action cohérente et résolue des équipes enseignantes et des chefs d’établissements, ainsi que la collaboration de l‘Ecole avec les services municipaux, les organismes sociaux et la police ou la justice, sont des conditions indispensables pour faire connaître, comprendre et partager les valeurs morales et civiques, qui prennent tout leur sens dans une application exemplaire des règles. C’est un des éléments essentiels de l’éducation à la citoyenneté.

Les quatre grandes orientations proposées précédemment constituent un ensemble ; elles sont complémentaires et leur application les renforcerait mutuellement.


La nation se doit ainsi de donner tout son sens et sa force à l’institution scolaire, dans un souci retrouvé d’égalité. Les enfants des familles les moins cultivées sont dignes d’un enseignement exigeant et de qualité. C’est pourquoi, il faut tout à la fois renforcer les moyens humains et matériels là où les élèves ont besoin de soutien, mais aussi diversifier les possibilités offertes par les établissements, afin que partout, sur le territoire de la République, existent des voies de l’excellence et de la réussite.

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Thierry Cotelle
Président du MRC
Conseiller régional d'Occitanie