Le futur traité européen, dont l’essentiel est connu depuis le sommet du 30 janvier, est un révolution à l’envers dont on n’a pas encore pris la mesure. La «discipline budgétaire» n’est pas une réforme technique : c’est la mise à mort de trois acquis majeurs de notre histoire, sur lesquels s’est construite notre identité.
La France n’a pas juste fait la révolution contre l’injustice fiscale qui pesait sur l’ensemble du tiers état. Ce que l’on devait désigner plus tard comme les deux caractéristiques majeures de l’impôt, la justice sociale et l’efficacité économique, étaient à la racine du puissant mouvement populaire qui a porté la Révolution. Mais derrière cet appel à la libération des carcans - pour la bourgeoisie, comme l’avait bien vu Marx - et à la fin de l’étouffement du peuple, plus tôt analysé par les Mathiez, Febvre, et Soboul, il y avait aussi la revendication profonde de la maîtrise de l’impôt par la souveraineté populaire.
Or, ce lien étroit entre la révolte du peuple contre l’injustice fiscale, celle de la bourgeoisie entravée par l’inefficacité économique de l’Ancien Régime et l’affirmation que l’impôt relève de la souveraineté populaire est un héritage toujours vivant. Il donne à lire la différence entre la Révolution française et la révolution américaine. Si le Tea Party peut être aussi puissant, c’est parce que le fond de la revendication des colonies britanniques en Amérique du Nord était le rejet de l’imposition comme contraire à la liberté individuelle. La France, elle, avait lié le consentement à l’impôt à la recherche de l’intérêt général citoyen. C’est ce qu’exprime la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 pour qui «une contribution commune est indispensable», elle «doit être également répartie», et «les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée». Comment mieux lier la «nécessité de l’impôt» avec l’exercice de la souveraineté nationale ?
Ainsi l’histoire ressurgit-elle sur les deux continents, non pas comme comédie, ainsi que le disaitGoethe, mais plutôt comme caricature dans le Nouveau Monde et négation dans la vieille Europe. Le Nouveau Monde renoue avec de vieux démons, négation du rôle de l’Etat, exaltation d’un
mythique individu libre dans une société en voie de paupérisation. L’Europe (et la France) préfère tourner le dos à son histoire. Au nom de quoi ? D’une modernité conçue comme la nouvelle donne imposée aux peuples par la volonté des marchés, autrement redoutable que l’arbitraire du pouvoir royal.
On nous prie ainsi d’aliéner notre souveraineté budgétaire et donc fiscale sans que ni la justerépartition des richesses ni le dynamisme économique n’y gagnent. Le corsetage qui nous serait imposé est socialement injuste en ce qu’il fait peser sur les classes moyennes et populaires la quasitotalité de l’effort. Quant à l’efficacité économique, on ne compte plus les économistes qui s’inquiètent de l’étiolement de l’activité, du risque de récession qui est le destin des plans d’austérité. La perte de notre base productive est-elle une idée neuve pour le XXIe siècle ? Et l’invocation à une productivité sans cesse accrue facteur de chômage, de désertification du territoire et de paupérisation est-elle l’avenir de l’Europe ? Deux cents ans et plus après la Révolution française, deux cent cinquante ans après la révolution industrielle britannique, soixante ans après la crise de 1929, tout cela est-il bien moderne ?
C’est le prix à payer, nous dit-on, pour une Europe qui aille de l’avant, plus intégrée, plus solidaire, plus moderne. Mais quelle est la clé de cette modernité ? Une Europe des projets, se donnant les moyens de réaliser des chantiers d’intérêt général et des innovations technologiques, bref une Europe dynamique créant de la richesse et par là des rentrées - fiscales ? Point du tout. Une Europe des maîtres censeurs auxquels les Etats mauvais élèves remettront leur copie, en tremblant à l’avance de sanctions qui pénaliseront un peu plus leur avenir. Une Europe qui conduit à une austérité à perte de vue et à une accélération du déclin de notre continent tout entier, qui semble plus inquiéter les décideurs économiques qu’elle ne suscite d’analyse dans la classe politique à l’exception de Jean-Pierre Chevènement.
Revenons à l’histoire. La modernité n’est pas dans le fédéralisme coercitif. Il n’est pas «moderne» d’aliéner le contrôle populaire sur les finances publiques en le remettant à un aréopage d’experts indépendants des Etats à défaut de l’être des marchés. C’est que les règles invoquées, que l’on veut rendre inviolables, ne sont autre chose que le retour régressif des vieilles recettes libérales plus proches de Molière - «la saignée, vous dis-je» - que de l’esprit d’innovation et de créativité dont notre époque et notre continent ont tant besoin. En regard, Il est frappant de constater combien les thèmes fondateurs de la Révolution française restent d’actualité. L’impôt moderne est un impôt justement réparti, facteur de dynamisme économique et instrument majeur de la volonté nationale. Le contraire de la fiscalité socialement et économiquement régressive, déconnectée du consentement du peuple, vers laquelle nous achemine l’accord de décembre 2011. Prenons garde au fait que l’impôt est le révélateur d’une société dans ses racines les plus profondes. L’injustice de l’impôt va de pair avec le retour à un capitalisme du XIXe siècle appuyé sur le déni de la souveraineté populaire. Qui saura le comprendre ?
La France n’a pas juste fait la révolution contre l’injustice fiscale qui pesait sur l’ensemble du tiers état. Ce que l’on devait désigner plus tard comme les deux caractéristiques majeures de l’impôt, la justice sociale et l’efficacité économique, étaient à la racine du puissant mouvement populaire qui a porté la Révolution. Mais derrière cet appel à la libération des carcans - pour la bourgeoisie, comme l’avait bien vu Marx - et à la fin de l’étouffement du peuple, plus tôt analysé par les Mathiez, Febvre, et Soboul, il y avait aussi la revendication profonde de la maîtrise de l’impôt par la souveraineté populaire.
Or, ce lien étroit entre la révolte du peuple contre l’injustice fiscale, celle de la bourgeoisie entravée par l’inefficacité économique de l’Ancien Régime et l’affirmation que l’impôt relève de la souveraineté populaire est un héritage toujours vivant. Il donne à lire la différence entre la Révolution française et la révolution américaine. Si le Tea Party peut être aussi puissant, c’est parce que le fond de la revendication des colonies britanniques en Amérique du Nord était le rejet de l’imposition comme contraire à la liberté individuelle. La France, elle, avait lié le consentement à l’impôt à la recherche de l’intérêt général citoyen. C’est ce qu’exprime la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 pour qui «une contribution commune est indispensable», elle «doit être également répartie», et «les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée». Comment mieux lier la «nécessité de l’impôt» avec l’exercice de la souveraineté nationale ?
Ainsi l’histoire ressurgit-elle sur les deux continents, non pas comme comédie, ainsi que le disaitGoethe, mais plutôt comme caricature dans le Nouveau Monde et négation dans la vieille Europe. Le Nouveau Monde renoue avec de vieux démons, négation du rôle de l’Etat, exaltation d’un
mythique individu libre dans une société en voie de paupérisation. L’Europe (et la France) préfère tourner le dos à son histoire. Au nom de quoi ? D’une modernité conçue comme la nouvelle donne imposée aux peuples par la volonté des marchés, autrement redoutable que l’arbitraire du pouvoir royal.
On nous prie ainsi d’aliéner notre souveraineté budgétaire et donc fiscale sans que ni la justerépartition des richesses ni le dynamisme économique n’y gagnent. Le corsetage qui nous serait imposé est socialement injuste en ce qu’il fait peser sur les classes moyennes et populaires la quasitotalité de l’effort. Quant à l’efficacité économique, on ne compte plus les économistes qui s’inquiètent de l’étiolement de l’activité, du risque de récession qui est le destin des plans d’austérité. La perte de notre base productive est-elle une idée neuve pour le XXIe siècle ? Et l’invocation à une productivité sans cesse accrue facteur de chômage, de désertification du territoire et de paupérisation est-elle l’avenir de l’Europe ? Deux cents ans et plus après la Révolution française, deux cent cinquante ans après la révolution industrielle britannique, soixante ans après la crise de 1929, tout cela est-il bien moderne ?
C’est le prix à payer, nous dit-on, pour une Europe qui aille de l’avant, plus intégrée, plus solidaire, plus moderne. Mais quelle est la clé de cette modernité ? Une Europe des projets, se donnant les moyens de réaliser des chantiers d’intérêt général et des innovations technologiques, bref une Europe dynamique créant de la richesse et par là des rentrées - fiscales ? Point du tout. Une Europe des maîtres censeurs auxquels les Etats mauvais élèves remettront leur copie, en tremblant à l’avance de sanctions qui pénaliseront un peu plus leur avenir. Une Europe qui conduit à une austérité à perte de vue et à une accélération du déclin de notre continent tout entier, qui semble plus inquiéter les décideurs économiques qu’elle ne suscite d’analyse dans la classe politique à l’exception de Jean-Pierre Chevènement.
Revenons à l’histoire. La modernité n’est pas dans le fédéralisme coercitif. Il n’est pas «moderne» d’aliéner le contrôle populaire sur les finances publiques en le remettant à un aréopage d’experts indépendants des Etats à défaut de l’être des marchés. C’est que les règles invoquées, que l’on veut rendre inviolables, ne sont autre chose que le retour régressif des vieilles recettes libérales plus proches de Molière - «la saignée, vous dis-je» - que de l’esprit d’innovation et de créativité dont notre époque et notre continent ont tant besoin. En regard, Il est frappant de constater combien les thèmes fondateurs de la Révolution française restent d’actualité. L’impôt moderne est un impôt justement réparti, facteur de dynamisme économique et instrument majeur de la volonté nationale. Le contraire de la fiscalité socialement et économiquement régressive, déconnectée du consentement du peuple, vers laquelle nous achemine l’accord de décembre 2011. Prenons garde au fait que l’impôt est le révélateur d’une société dans ses racines les plus profondes. L’injustice de l’impôt va de pair avec le retour à un capitalisme du XIXe siècle appuyé sur le déni de la souveraineté populaire. Qui saura le comprendre ?