Jacques Nikonoff et Marie-Françoise Bechtel
Ce que nous avons entendu ce matin peut laisser le sentiment qu’il y aurait à choisir entre une approche crépusculaire, fondée sur l’ampleur de la crise et du désarroi des forces de gauche bien décrits par A le Pors et une approche lénifiante ( qui n’était pas celle de Patrick Quinqueton) qui minimiserait au contraire les problèmes. Mais l’on peut penser aussi que le pari n’est pas perdu d’avance de marier radicalité et principe de réalité –je ne dis pas réalisme, posture qui ouvre la porte à toutes les démissions.
Pour faire une transition utile entre la première table ronde qui a traité de l’état des idées et des forces et la troisième, qui essaiera d’envisager les remèdes et les perspectives, tentons de partir d’un postulat qui pourrait être commun à tous . Nous pourrions sans doute être d’accord sur un point : c’est qu’il faut maintenant sortir de ce que Jean-Luc Laurent a appelé justement notre servitude intellectuelle. Enjeu redoutable si l’on se remémore cette phrase de Spinoza : « comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut » ?
Alors les défis, les valeurs ?
Sur les défis : plus que d’avoir un projet, la gauche a besoin de le vouloir. Encore cela ne suffit-il pas : il lui faut s’appuyer sur des forces ou sur un mouvement, un élan, qui porte ce projet. L’obstacle est considérable , non pas seulement parce que les forces et organisations sont dans un état qui s’est beaucoup délabré, comme l’a bien montré Patrick Quinqueton ce matin, mais parce qu’il faut regarder les choses en face : la majorité du parti dominant de la gauche a bien un projet, c’est le projet que nous avons qualifié de social-libéral ; c’est le blairisme français mais qui ne dit pas son nom, qui ne peut pas le dire, tout simplement parce que nous sommes dans un pays où l’on ne s’affiche pas libéral du moins à gauche. Contrer ce projet , faire en sorte qu’il ne soit plus porté comme aujourd’hui par une majorité voilà un défi premier. Mais ne nous berçons pas d’illusion : la tâche est considérable.
Sur les valeurs : l’enjeu est-il nécessairement leur rénovation ? S’agit-il d’en « trouver » ou d’en retrouver ? Est-ce parce qu’il y aurait une décomposition de la société tout entière que les idéaux mêmes sur lesquels se fonde l’horizon du progrès doivent être entièrement revus ? On peut s’interroger sur la portée réelle d’une rénovation des valeurs de la gauche. N’y-a-t-il pas plutôt lieu, en de nombreux domaines, à retrouver des valeurs perdues qui gardent toute leur pertinence ? J’en prendrai deux exemples :
L’émancipation, elle-même liée à la promotion sociale. Dans une société hantée par la mobilité descendante comme disent les sociologues, ces mots ont disparu du vocabulaire des partis et mouvements progressistes . Or ils ont une charge considérable parce qu’ils sont en lien étroit avec les Lumières, notre héritage. Ne faut-il pas revenir vers un vocabulaire qui ouvre l’avenir de l’individu au lieu de la concevoir comme fermé ? Acte de foi, peut-être, mais qui aurait au moins le mérite de refuser la résignation qui est à l’action ce que la « servitude intellectuelle » est à la pensée.
L’indépendance nationale : là aussi le mot est oublié. Nous ne sommes certes plus dans la situation mondiale qui a vu fleurir le non alignement. Mais qui sait si, le multilatéralisme aidant, cette voie ne retrouvera pas une pertinence ? Cette voie ou une autre également fondée sur la juste revendication par les nations de la maîtrise de leur destin. Là encore, ce n’est pas le concept qui a perdu sa pertinence, c’est la domination impériale et surtout l’acceptation de cette domination dans ce qui est –ou devrait être- le camp du progrès qui a contribué à son effacement. Encore est-ce le peuple lui-même (et pas seulement le peuple français, qui, sur la question européenne nous remet sur le bon chemin. Signe encourageant, ou qui devrait l’être pour ceux qui ne veulent pas s’aveugler.
J’en finirai avec cette simple introduction en relevant que la crise de la mondialisation financière est une occasion historique aussi bien de combler le déficit de pensée qui affecte cruellement la gauche que de favoriser un changement de posture. Même sans avoir approfondi l’analyse de cette crise, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’elle bouleverse la donne. A quel terme ? Nous l’ignorons, certes. Mais ce que l’on peut espérer est qu’elle permettra de rebattre les cartes au sein d’ une gauche qui aura retrouvé le chemin de l’analyse et de la connaissance du réel et aussi le chemin de la volonté.
Ce sont là au fond les trois questions que posait Emmanuel Kant et qui sont aussi pertinentes pour l’action politique que pour la philosophie : que puis-je savoir ? Que m’est-il permis d’espérer ? Que dois-je faire ?
Je me tourne vers nos intervenants pour aborder les réponses.
Pour faire une transition utile entre la première table ronde qui a traité de l’état des idées et des forces et la troisième, qui essaiera d’envisager les remèdes et les perspectives, tentons de partir d’un postulat qui pourrait être commun à tous . Nous pourrions sans doute être d’accord sur un point : c’est qu’il faut maintenant sortir de ce que Jean-Luc Laurent a appelé justement notre servitude intellectuelle. Enjeu redoutable si l’on se remémore cette phrase de Spinoza : « comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut » ?
Alors les défis, les valeurs ?
Sur les défis : plus que d’avoir un projet, la gauche a besoin de le vouloir. Encore cela ne suffit-il pas : il lui faut s’appuyer sur des forces ou sur un mouvement, un élan, qui porte ce projet. L’obstacle est considérable , non pas seulement parce que les forces et organisations sont dans un état qui s’est beaucoup délabré, comme l’a bien montré Patrick Quinqueton ce matin, mais parce qu’il faut regarder les choses en face : la majorité du parti dominant de la gauche a bien un projet, c’est le projet que nous avons qualifié de social-libéral ; c’est le blairisme français mais qui ne dit pas son nom, qui ne peut pas le dire, tout simplement parce que nous sommes dans un pays où l’on ne s’affiche pas libéral du moins à gauche. Contrer ce projet , faire en sorte qu’il ne soit plus porté comme aujourd’hui par une majorité voilà un défi premier. Mais ne nous berçons pas d’illusion : la tâche est considérable.
Sur les valeurs : l’enjeu est-il nécessairement leur rénovation ? S’agit-il d’en « trouver » ou d’en retrouver ? Est-ce parce qu’il y aurait une décomposition de la société tout entière que les idéaux mêmes sur lesquels se fonde l’horizon du progrès doivent être entièrement revus ? On peut s’interroger sur la portée réelle d’une rénovation des valeurs de la gauche. N’y-a-t-il pas plutôt lieu, en de nombreux domaines, à retrouver des valeurs perdues qui gardent toute leur pertinence ? J’en prendrai deux exemples :
L’émancipation, elle-même liée à la promotion sociale. Dans une société hantée par la mobilité descendante comme disent les sociologues, ces mots ont disparu du vocabulaire des partis et mouvements progressistes . Or ils ont une charge considérable parce qu’ils sont en lien étroit avec les Lumières, notre héritage. Ne faut-il pas revenir vers un vocabulaire qui ouvre l’avenir de l’individu au lieu de la concevoir comme fermé ? Acte de foi, peut-être, mais qui aurait au moins le mérite de refuser la résignation qui est à l’action ce que la « servitude intellectuelle » est à la pensée.
L’indépendance nationale : là aussi le mot est oublié. Nous ne sommes certes plus dans la situation mondiale qui a vu fleurir le non alignement. Mais qui sait si, le multilatéralisme aidant, cette voie ne retrouvera pas une pertinence ? Cette voie ou une autre également fondée sur la juste revendication par les nations de la maîtrise de leur destin. Là encore, ce n’est pas le concept qui a perdu sa pertinence, c’est la domination impériale et surtout l’acceptation de cette domination dans ce qui est –ou devrait être- le camp du progrès qui a contribué à son effacement. Encore est-ce le peuple lui-même (et pas seulement le peuple français, qui, sur la question européenne nous remet sur le bon chemin. Signe encourageant, ou qui devrait l’être pour ceux qui ne veulent pas s’aveugler.
J’en finirai avec cette simple introduction en relevant que la crise de la mondialisation financière est une occasion historique aussi bien de combler le déficit de pensée qui affecte cruellement la gauche que de favoriser un changement de posture. Même sans avoir approfondi l’analyse de cette crise, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’elle bouleverse la donne. A quel terme ? Nous l’ignorons, certes. Mais ce que l’on peut espérer est qu’elle permettra de rebattre les cartes au sein d’ une gauche qui aura retrouvé le chemin de l’analyse et de la connaissance du réel et aussi le chemin de la volonté.
Ce sont là au fond les trois questions que posait Emmanuel Kant et qui sont aussi pertinentes pour l’action politique que pour la philosophie : que puis-je savoir ? Que m’est-il permis d’espérer ? Que dois-je faire ?
Je me tourne vers nos intervenants pour aborder les réponses.