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Publié le Vendredi 23 Mai 2014 par Mouvement Républicain et Citoyen

Europe : la volonté de faire bouger les choses existe-t-elle ?


Mots-clés : allemagne, barroso, bce, euro, europe

Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, dans le cadre du débat sur les perspectives de la construction européenne, mardi 20 mai 2014.


Monsieur le Ministre,

Alors que vous venez de prendre vos fonctions, permettez-moi d’effectuer ce bref rappel :

Quand le gouvernement, le 19 octobre 2012, a demandé au Parlement de ratifier le traité dit TSCG, « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », il nous a incités, je cite votre prédécesseur, M. Cazeneuve, à « dépasser le traité pour le contextualiser ».

Ce traité pose le principe d’un retour à l’équilibre budgétaire, sous le contrôle de la Commission européenne et selon un calendrier fixé par elle. Il était facile de prévoir, comme je l’ai fait à cette tribune le 20 octobre 2012, en défendant avec mon collègue Pierre-Yves Colombat, une exception d’irrecevabilité, que ce traité « nous [entrainerait] dans une spirale récessionniste dont nous ne [sortirions] que par une crise politique et sociale de grande ampleur ».

Nous y sommes : la mise en œuvre de plans d’austérité budgétaire simultanés dans la plupart des pays d’Europe, si elle a permis de contenir leur déficit global à 3 % du PNB, les a plongés dans une stagnation économique de longue durée. Au premier trimestre 2014 la croissance est nulle en France, négative en Italie (- 0,1 %), à Chypre (- 0,7 %), en Grèce (- 1,1 %), au Portugal (- 0,7 %), mais aussi aux Pays-Bas (- 1,4 %) et en Finlande (-0,4 %). Seule l’Allemagne, avec une croissance de 0,8 %, permet à la zone euro d’afficher une croissance globale de 0,2 %. Sur l’ensemble de l’année, la croissance ne dépassera pas 1 %. Cette stagnation plombe l’économie mondiale car partout ailleurs les taux de croissance prévus sont de deux et demi à sept fois supérieurs. En terme de PNB, les pays de la zone euro, en dehors de l’Allemagne, n’ont pas, en 2013, ou ont à peine retrouvé, en ce qui concerne la France, le niveau de 2008. Là est l’origine d’un déclassement que l’opinion perçoit de plus en plus.

La chute de l’investissement est générale. Le chômage atteint, dans le pays de l’Europe du Sud, des niveaux sans précédent en Grèce et en Espagne (26 %), mais aussi au Portugal (18 %), en Italie (13 %) et en France (11 %).

Le seul point positif pour la zone euro est l’excédent global de la balance commerciale, mais il est essentiellement dû à l’excédent allemand (200 milliards d’euros en 2013). L’amélioration constatée en Espagne et au Portugal tient pour beaucoup à la contraction des importations. Pour des raisons qui résultent de la spécialisation haut de gamme de son économie, l’Allemagne bénéficie du cours de l’euro qui, à l’inverse, pénalise les autres pays moins bien placés dans la division internationale du travail et qui ne peuvent s’ajuster qu’en comprimant leurs salaires et leurs investissements. Cet écart de compétitivité structurel au sein de la zone euro révèle le défaut de conception de la monnaie unique, évidemment inadaptée à une zone économique hétérogène. La seule issue économique à long terme est la « Mezzogiornisation », c’est-à-dire la régression, de l’ensemble des pays de l’Europe du Sud.

Le seul moyen d’éviter cette issue serait la transformation négociée de l’euro en monnaie commune, chaque monnaie nationale devenant une subdivision de celle-ci, exactement comme entre 1999 et 2002 où n’existait qu’une monnaie scripturale, c’est-à-dire bancaire, à une différence près toutefois : les parités fixes entre ces subdivisions seraient ajustables en fonction de critères objectifs (écarts de productivité ou soldes de la balance extérieure). On ferait ainsi l’économie des dévaluations internes si douloureuses qu’elles ne manqueront pas de se traduire dimanche prochain dans les résultats des prochaines élections européennes. On peut prévoir sans risque de se tromper une abstention massive. Celle-ci sera la réponse une nouvelle fois apportée au déni de démocratie qu’a constitué le traité de Lisbonne de décembre 2007 après le non massif – 55 % - des Français au projet de Constitution européenne, le 29 mai 2005.

Cette solution politique du problème posé par l’euro est une idée qui commence déjà à faire son chemin dans un pays comme l’Allemagne. Celle-ci a fort bien su s’accommoder, dans le passé, d’une révolution lente mais continue du cours de sa monnaie.


Nous sommes aujourd’hui, Monsieur le Ministre, dans un cercle vicieux. La stagnation économique pèse sur les rentrées fiscales et rend plus difficile la réduction du déficit budgétaire. La stagnation du PNB, voire sa baisse ou même son effondrement en Grèce, au Portugal, ou en Espagne, ont fait s’envoler l’endettement. Nous sommes « au rouet », comme disait Montaigne. En juin 2013 – je n’ai pas mis à jour mes statistiques mais la tendance s’est encore aggravée – le niveau de l’endettement atteignait 94 % pour l’Espagne, 133 % pour l’Italie, 126 % pour l’Irlande, 131 % pour le Portugal et 170% pour la Grèce. Pour celle-ci et pour l’Irlande, et peut-être pour Chypre, une restructuration de la dette est inévitable.

On s’ébaubit volontiers de ce que les pays fortement endettés de la zone euro peuvent désormais se refinancer à long terme à des taux moins élevés, de l’ordre de 3 ou 4 % par an. Mais c’est oublier que la Banque Centrale européenne a ouvert, aux banques italiennes et espagnoles notamment, des prêts colossaux qui leur permettent des placements très avantageux dans la dette souveraine de leurs pays. Cette injection de liquidités n’est d’ailleurs pas suffisante pour ranimer le crédit aux entreprises et sortir la zone euro du marasme. Notre gouvernement demande à la Banque Centrale européenne d’agir pour faire baisser le cours de l’euro surévalué pour l’économie française notamment, mais il ne l’est pas pour l’Allemagne qui a beau jeu d’invoquer, à l’appui d’une interprétation excessivement stricte du traité de Maastricht, l’article 88 de sa loi fondamentale qui prohibe tout prêt de la Banque Centrale à l’Etat empêchant ainsi ce que les Anglo-Saxons appellent le « quantitative easing ».

Ce que font les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, nous ne pouvons plus nous le permettre depuis que nous avons signé le traité de Maastricht. Les pratiques que la loi fondamentale allemande prohibe - et la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe veille au respect de la règle – nous sont par là même interdites. Qui, en 1992, en avait informé les citoyens français et autres européens ? Une patiente recherche entreprise pour la Fondation Res Publica, a fait cependant apparaître que le premier Président de la BCE, M. Duisenberg, retenait la possibilité évoquée par les ministres des Finances réunis en décembre 1997 de « formuler des orientations générales en matière de change, uniquement dans des circonstances exceptionnelles, par exemple – je le cite – lorsque le taux de change de l’euro subit des divergences manifestes et persistantes ».

N’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Le cours de l’euro est supérieur de 15 à 20 % à son cours de lancement. Il faudrait proposer d’introduire des montants compensatoires monétaires, au-delà de certains déséquilibres externes (trois années d’excédent au-delà de 6 % comme prévu par l’Union ou quatre points du PNB d’excédent et deux points de déficit, comme proposé par les Etats-Unis au G20 de Séoul).

Sans doute faudrait-il tester la possibilité de réunir une majorité au Conseil des gouverneurs de la BCE pour introduire des mesures correctrices à l’intérieur de l’Union européenne en matière de taux d’intérêt ou de taux de change. Si une telle perspective s’avérait définitivement impossible, du fait de l’obstruction de l’Allemagne, il faudrait mettre à l’étude un nouveau traité introduisant la monnaie commune, après une plage de transition à laquelle peut nous conduire rapidement l’instabilité non corrigée du système financier international.

Cessons de nous raconter des histoires sur la crise de l’euro enfin surmontée ou sur l’Union bancaire ou encore sur la taxe sur les transactions financières internationales à la base si étroite qu’elle ne rapportera que 5 milliards d’euros par an. Réforme cosmétique ! Pour l’union bancaire c’est le modèle chypriote qui a été retenu par M. Dijsselbloem, c’est-à-dire la mise à contribution en cas de faillite bancaire des créanciers et des déposants au-delà du montant garanti, c’est-à-dire 100 000 euros, le meilleur moyen de déclencher des réactions systémiques, en cas de crise, bref le contraire de l’objectif poursuivi !


Or une crise n’est nullement à exclure, Monsieur le Ministre, quand on connaît l’importance de la finance de l’ombre, le montant astronomique des crédits dérivés – dix fois le PNB mondial – ou plus prosaïquement le chiffre des engagements des banques européennes sur la Russie.

Ce monde est dangereux. Gardons-nous, Monsieur le Ministre, de l’aborder avec des idées trop simples. Donnons leur place à la raison – je pense à la crise ukrainienne qui requiert une solution politique dégagée des préjugés russophobes - mais donnons aussi sa place à la créativité – je pense là à la politique monétaire européenne, excessivement rigide.

Un nouveau mandat va être défini pour la Commission européenne qui succédera à celle présidée par M. Barroso. C’est, Monsieur le Ministre, la dernière occasion de faire bouger les choses par la voie d’une politique concertée au niveau européen. Mais la volonté existe-t-elle de dépasser les idées toutes faites pour faire réellement bouger les choses ? J’aimerais, là-dessus, Monsieur le Ministre, vous entendre, avec des propositions précises qui pourraient être acceptées par l’Allemagne avec laquelle nous savons que vous travaillez sans relâche pour ouvrir à l’Europe un meilleur horizon.

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Thierry Cotelle
Président du MRC
Conseiller régional d'Occitanie