Chers amis,
Que nous arrive-t-il ?
Commençons par le commencement : il faut caractériser ce que nous avons devant nous.
En orchestrant la fusion des libéraux, E. Macron n’a pas seulement gagné l’élection présidentielle, il a perturbé l’ensemble du champ politique tel qu’il était organisé depuis des décennies.
Nous lui devons en réalité une fière chandelle, car il a débarrassé la gauche de la plupart de ses faussaires. En attirant à lui toutes celles et tous ceux qui, à droite ou à gauche, étaient de fait sur la même ligne depuis longtemps, il a permis de clarifier, de rendre lisible ce qui ne l’était plus. J’ai une pensée ici pour l’analyse de Rawi Abdellal, professeur à l’université de Harvard : sa thèse, c’est que la social-démocratie française a été l’acteur décisif de la dérégulation et de la libéralisation généralisée du commerce mondial. Il donne des noms : P. Lamy, Camdessus, Chavransky, qui étaient tous issus de la social-démocratie, qui étaient tous français et qui ont tous dirigé les grandes institutions de la mondialisation.
Donc, merci à Emmanuel Macron.
Aujourd’hui, le paysage politique est divisé en trois grands segments :
- La droite réactionnaire, identitaire et conservatrice : de la famille Le Pen au patron des Républicains. En choisissant de durcir la ligne de la droite, Wauquiez n’innove pas : cette pente existe depuis longtemps dans la droite française qui, si elle n’est évidemment pas fasciste par nature, est capable, dans des circonstances particulières, de déléguer à l’extrême droite le soin de prendre en charge notre destin : plutôt Hitler que le front populaire disait le camp conservateur en 36. Ce phénomène de glissement réapparait aujourd’hui à travers l’ensemble de notre continent.
- Le bloc central - à peine centriste. Je veux parler bien sûr du pôle libéral du président de la République. Il y a là aussi contrefaçon : le locataire de l’Elysée essaie de nous faire passer pour moderne des politiques qui ont plus de 40 ans d’âge. Il a prétendu incarner une rupture alors qu’il en est l’accomplissement. Il ne manquera pas d’être un jour confronté à cette contradiction.
- Enfin, il y a la « gauche ». Mais c’est une force singulièrement éparpillée. « Façon puzzle » disait Audiard. Entre, deux pôles :
o d’un côté, un parti socialiste sorti K.O. du combat de 2017 comme un boxeur qui n’entend pas la sonnette de la fin du 1er round. La tentation qui existe, on la connaît : c’est de concentrer les critiques sur les carences du mandat de François Hollande. C’est une erreur, et même une faute : le problème vient de plus loin et il n’est d’ailleurs pas franco-français : toute la social-démocratie européenne est aujourd’hui menacée de disparition. Il n’y a plus de force motrice au plan électoral parce que les causes du compromis historique de la social-démocratie n’existent pour ainsi dire plus.
o De l’autre côté, il y a les Insoumis qui assument une fonction tribunitienne de front du refus. La campagne de leur candidat a eu deux effets bénéfiques pour toute la gauche :
D’abord il a réussi à faire turbuler le système là ou d’autres ont échoué. Il a fait bouger le curseur.
Le deuxième effet, c’est d’avoir maintenu, avec une style parfois tonitruant, la résistance sans ambiguïté face à Macron.
o Entre ces deux pôles, il existe des familles en recomposition, ou en décomposition.
o Dans ce paysage, nous avons une mission, et c’est le sens politique de notre initiative : promouvoir l’impérieuse nécessité de l’union. Je veux le dire ici, sans subtilité aucune : ceux qui font la fine bouche, ceux qui jouent a pureté du combat, ceux qui entretiennent le sectarisme, ceux qui trient, qui filtrent, qui font des bûchers, qui excommunient, tous ceux là ne font qu’une seule chose : ils condamnent le peuple à une purge libérale de plusieurs décennies. Que restera-t-il ensuite de notre contrat social ? Que restera-t-il ? Une République sous-traitante des GAFFA ?
o Oui, l’idée est d’imposer la stratégie d’union de la gauche, parce que sinon, il n’y aura plus rien. Partout en Europe, partout dans le monde, les idées progressistes ou humanistes, sont en voie de dislocation. Nous ne voulons pas d’un champ politique réduit à la polarité entre libéraux et identitaires ! Car en réalité, le monde des premiers nourrit les seconds en son sein.
o A l’évidence, il ne s’agit pas non plus de célébrer la messe du rassemblement pour le rassemblement. Nous devrons trouver ensemble la recette d’un alliage solide, et non des alliances de circonstance. Mais à cet égard, je veux rappeler ici, notamment à Jean-Luc Mélenchon, que tous les conquis sociaux ont été le produit de majorités larges et de stratégies de rassemblement qu’il lui arrive de qualifier de « tambouille ». Alors je dirais ici simplement que si le Front Populaire, si le CNR, si le programme commun de 72, c’est de la tambouille, alors je dis : vive la tambouille ! Il ne faut pas que ce mot discrédite l’esprit de rassemblement. La tambouille, c’est un accord électoral dépourvu d’accord de fond et de convergence des analyses.
Nous sommes la gauche républicaine, antilibérale et écologique. Cela signifie avant tout que nous sommes de réformistes, oui, sans doute. Mais des réformistes conséquents. Je dis réformiste, parce que nous ne nous inscrivons pas dans une logique de grand soir. Je dis conséquent, parce qu’il ne s’agit pas, par accumulation de micro renoncements, qui finissent par constituer un immense reniement.
Ce réformisme conséquent, réformisme lucide, réformisme conscient et déterminé que j’appelle de mes vœux doit se donner pour ambition d’être, dans un premier temps le point de rencontre de la gauche qui vient. Le lieu du débat, d’un débat exigeant et ouvert. Le lieu où l’on pourra construire une matrice idéologique qui pourra se mettre au service de la synthèse politique qui viendra avec l’union.
Mais il ne s’agit pas d’être un club de pensée, une société d’émulation comme on disait au 19è. Nous devons affirmer. Affirmer nos thèses et aller vers les citoyens.
Aller vers quels citoyens ?
Vers tous les citoyens bien sûr. Mais avec toutefois une priorité : la reconquête des classes populaires. Mais je souhaite qu’on s’entende : qu’appelle-t-on au juste les classes populaires ? Les citoyens modestes, ce n’est pas seulement une définition économique. Ce sont ceux qui n’ont pas le luxe de regarder au-delà du lendemain et qui n’ont pas ou peu d’espace pour eux – c’est le problème du logement, notamment. Ces classes populaires ont se sont détournées de la gauche depuis longtemps.
J’insiste sur ce point : la condition de survie politique des libéraux et de la droite réactionnaire, c’est une organisation sociale qui divise la communauté nationale, qui organise l’affrontement social entre ceux qui ont pourtant les mêmes itérêts.
Je vois notamment 2 lignes de fracture organisées par le système :
- La première fracture est économique, elle est essentiellement entretenue par le discours libéral: c’est l’affrontement entre les assistés et les assistants, entre ceux qui travaillent, produisent, cotisent et ceux qui vivent de la solidarité nationale, entre les deuxièmes de cordées et les derniers de cordées. On vit dans un monde où ceux qui gagnent 100.000 euros par mois, expliquent à ceux qui gagnent 3.000 euros par mois que le système échoue à cause de ceux qui perçoivent le RSA !
- La seconde fracture est géographique et sociale : l’affrontement organisé par la mécanique des identitaires entre les deux France périphériques : la périphérie lointaine des métropoles – le monde rural, la province, les petites villes, et la périphérie immédiate des métropoles – je veux parler des banlieues. Cet affrontement est un deuxième piège, fatal, pour la gauche puisqu’elle conduit à opposer les milieux populaires entre eux.
Notre mission consiste à rassembler toutes celles et ceux qui sont les victimes objectives de la mondialisation financière et à combattre sans relâche ceux qui dressent des victimes contre d’autres victimes pour maintenir leur domination.
C’est à cette France-là que nous devons parler. Elle est orpheline, aujourd’hui dépourvue de perspective politique sérieuse, abandonnée au FN d’un côté ou aux intégristes de l’autre, abandonnée au dogme des libéraux qui consiste pour l’essentiel à culpabiliser ceux qui se lèvent pour gagner peu et ceux qui n’ont pas la chance de se lever.
La stratégie de l’union et l’objectif de reconquête des classes populaires supposent la définition d’un projet politique solide et sérieux, qui réponde aux grands défis du temps. Là est notre tâche.