« S’il vous plaît, regardez avec vos yeux, et dites seulement la vérité. Il ne faut pas dramatiser. Les choses telles qu’elles sont, ça suffit pour comprendre. Dites seulement ce que vous avez vu. » L’homme nous ouvre la porte et nous remercie chaleureusement d’être venus.
Il conclue son message d’accueil par un avertissement : « Ici, il est juste question d’humanité. Il n’y a pas de héros. Nous accueillons des visiteurs, des voyageurs. Ce sont nos hôtes et notre devoir est de les recevoir dignement. »
Nous sommes au camp de Kara Tepe. Stavros Myrogiannis est le responsable du camp.
Installé sur les hauteurs de Mytilène, Kara Tepe compte 700 personnes en ce jour de printemps. Ce chiffre varie du simple au double dans une journée, au gré des arrivées. Au total, la capacité d’accueil dans les différents camps de l’île est de près de 10.000.
Giorgios Pallis, député de Syriza élu en septembre, précise : « en ce moment, c’est beaucoup plus calme« . Quelques centaines par jour. Au moment critique, l’île accueillait jusqu’à 4000 ou 5000 réfugiés quotidiennement, soit une centaine de bateaux.
« Bateaux », c’est beaucoup dire : rafiots, zodiacs de fortune, embarcations promises à la destruction rachetées par les passeurs pour leur offrir une dernière vie… Certaines n’ont pas tenu cette courte traversée d’une heure ou deux et ont achevé leur parcours au fond de la mer Égée, et les réfugiés avec. Le dernier drame remonte à octobre. Panagiotis est allé aux obsèques. « Une famille de sept personnes a été décimée. Il n’en restait qu’un : l’aîné des enfants. »
Il conclue son message d’accueil par un avertissement : « Ici, il est juste question d’humanité. Il n’y a pas de héros. Nous accueillons des visiteurs, des voyageurs. Ce sont nos hôtes et notre devoir est de les recevoir dignement. »
Nous sommes au camp de Kara Tepe. Stavros Myrogiannis est le responsable du camp.
Installé sur les hauteurs de Mytilène, Kara Tepe compte 700 personnes en ce jour de printemps. Ce chiffre varie du simple au double dans une journée, au gré des arrivées. Au total, la capacité d’accueil dans les différents camps de l’île est de près de 10.000.
Giorgios Pallis, député de Syriza élu en septembre, précise : « en ce moment, c’est beaucoup plus calme« . Quelques centaines par jour. Au moment critique, l’île accueillait jusqu’à 4000 ou 5000 réfugiés quotidiennement, soit une centaine de bateaux.
« Bateaux », c’est beaucoup dire : rafiots, zodiacs de fortune, embarcations promises à la destruction rachetées par les passeurs pour leur offrir une dernière vie… Certaines n’ont pas tenu cette courte traversée d’une heure ou deux et ont achevé leur parcours au fond de la mer Égée, et les réfugiés avec. Le dernier drame remonte à octobre. Panagiotis est allé aux obsèques. « Une famille de sept personnes a été décimée. Il n’en restait qu’un : l’aîné des enfants. »
Kara Tepe est un camp « municipal ». C’est le maire de la ville qui a pris l’initiative a la fin de l’été face à l’afflux de migrants qui arrivaient quotidiennement sur les côtes. Le maire de Mytilène est membre de l’ANEL, ce parti dit de la droite souverainiste qu’on nous présente souvent comme opposé à l’accueil des migrants. Le responsable local de Syriza insiste : « il s’est engagé totalement et sans aucune arrière-pensée. Son mot d’ordre, c’est la solidarité avec les réfugiés quoi qu’elle coûte à la ville et à la population. » Plus tard, il nous rappellera l’histoire de la région. En réalité, Mytilène est tournée vers l’est, vers l’Asie mineure « depuis la Grèce archaïque. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On laisse ces gens ? On laisse la Turquie gérer le problème toute seule ? Après avoir mis le bazar dans toute la région, nous, européens, on n’a pas le droit de les abandonner à leur propre sort. »
Kara Tepe peut accueillir environ 2500 personnes. La ville a mis un terrain à disposition, construit le bloc sanitaire. Le personnel municipal est mobilisé, mais ce sont surtout des bénévoles grecs ou des volontaires étrangers dans le cadre des ONG qui assurent l’organisation quotidienne au camp. Ils prennent le relais. Chaque jour, les familles grecques de l’île livrent des denrées, des vêtements, des produits sanitaires pour parer aux premiers besoins. MSF, Médecins du monde, des associations de médecins locaux s’occupent des familles. D’après eux, il n’y a pas d’épidémies ou de maladies liées aux mauvaises conditions sanitaires. Ce sont essentiellement les enfants et les personnes âgées qui doivent être suivis : ils ont souffert en particulier des conditions du voyage.
Kara Tepe est essentiellement habité par des familles. Dans les allées qui séparent les tentes rigides fournies par le Haut commissariat aux réfugiés, les enfants jouent pieds nus sur des chemins en galets. L’intérieur des tentes est propre, mais spartiate.
80 % des réfugiés de Kara Tepe viennent de Syrie. Ils cherchent un lieu pour s’établir le temps que la situation revienne à la normale dans leur pays. « Ils savent que ça peut être long » nous glisse le responsable de Samaritan’s Purse, une organisation humanitaire états-unienne. « Mais s’il y a une chose que les Syriens ont tous en tête, c’est de rentrer à la maison et de retrouver leur Syrie. »
On perçoit ce 20 mars que les choses changent. Avant de monter à Kara Tepe, nous sommes passés au port. Là, des centaines de personnes attendent, munies de leurs affaires compilées de façon souvent rudimentaire, enroulées dans des couvertures ou entassés dans des grands sacs poubelle. Un ferry est à quai. Ce sont les premiers à quitter l’île dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord. Un autre ferry est parti une demi-heure plus tôt en direction de Kavala. Celui-là part au Piree. Les policiers grecs essaient d’ordonner les files d’attente.
L’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie a pour premier effet de plonger tout le monde dans l’incertitude : grecs, migrants, autorités, élus. Giorgios résume : « Au fond, ce traité n’est pas vraiment satisfaisant. Je me demande encore comment il pourra être appliqué. Les Turcs sont censés ne plus nous envoyer de réfugiés le temps qu’on évacue l’île et qu’on organise l’enregistrement. 600 ou 800 sont encore arrivés ce matin. »
Nous nous rendons plus tard au hot-spot de Moria. Changement d’atmosphère : ici, le camp est entouré de trois hautes séries de barbelés. Vu du dehors, Moria ne ressemble pas à un « centre d’accueil ». C’est pourtant par la case Moria que passent tous les migrants de l’île. C’est ici qu’ils sont enregistrés, et jusqu’à ce que l’accord intervienne, ils étaient remis en liberté, dotés d’un statut spécifique selon les cas.
Désormais, Moria va servir de centre de tri : d’un côté les migrants qualifiés à devenir des réfugiés et à qui l’UE octroie l’asile, de l’autre les migrants jugés illégaux et qui deviendront dès lors clandestins. Ce sont eux qui seront reconduits vers la Turquie et échangés contre des « bons » migrants. De façon concrète, on ressent combien les Grecs rencontrés sont sceptiques sur la pertinence de l’accord, lorsqu’ils ne sont pas fondamentalement opposés à ses termes.
Adossé à Moria, un autre camp s’est constitué spontanément. Ici, ce sont 600 ou 700 personnes – presque exclusivement des Pakistanais, qui vivent au milieu des oliviers. Ce camp « sauvage » ne dispose pas des mêmes infrastructures que les autres. Au sol, de la boue séchée et de grands tipis pour d’arbitrer. Dans ce camp, c’est l’association « Better days for Moria » qui organise la vie quotidienne. Un jeune volontaire suisse originaire de Winthertur nous explique : « ce n’était plus supportable pour moi de regarder les choses se dérouler à la télévision. J’ai décidé de recueillir les témoignages des réfugiés pour sortir de l’abstraction. Ce ne sont pas des masses et des statistiques. Ce sont des personnes qui ont une histoire, des motivations, une existence. Il faut en rendre compte. »
L’accord entre l’Union européenne et la Turquie est critiquable sur bien des points mais il est nécessaire pour améliorer le contrôle effectif de notre frontière extérieure commune. Deux périls menacent l’efficacité de cet accord. À court terme, le soutien des Européens à la Grèce doit être rapide et à la hauteur. Trois nouveaux milliards sont accordés à la Turquie, une somme égale devrait être allouée la Grèce pour faire face à la situation. À moyen terme, les Européens devront s’assurer que la Turquie contrôle effectivement son côté de la frontière et démantèle les réseaux de passeurs.
La diplomatie européenne ne peut se réduire à un dialogue germano-turc. Après les attentats de 2015, la France exerce un leadership en Europe sur les questions sécuritaires liées aux migrants, elle doit faire entendre une voix plus forte sur les autres volets : coopération européenne pour le contrôle des frontières, mise en œuvre du dispositif de relocalisation adopté en 2015 et solidarité effective avec la Grèce. Le rôle européen de la France n’est pas de chercher à passer à travers les gouttes.
Kara Tepe peut accueillir environ 2500 personnes. La ville a mis un terrain à disposition, construit le bloc sanitaire. Le personnel municipal est mobilisé, mais ce sont surtout des bénévoles grecs ou des volontaires étrangers dans le cadre des ONG qui assurent l’organisation quotidienne au camp. Ils prennent le relais. Chaque jour, les familles grecques de l’île livrent des denrées, des vêtements, des produits sanitaires pour parer aux premiers besoins. MSF, Médecins du monde, des associations de médecins locaux s’occupent des familles. D’après eux, il n’y a pas d’épidémies ou de maladies liées aux mauvaises conditions sanitaires. Ce sont essentiellement les enfants et les personnes âgées qui doivent être suivis : ils ont souffert en particulier des conditions du voyage.
Kara Tepe est essentiellement habité par des familles. Dans les allées qui séparent les tentes rigides fournies par le Haut commissariat aux réfugiés, les enfants jouent pieds nus sur des chemins en galets. L’intérieur des tentes est propre, mais spartiate.
80 % des réfugiés de Kara Tepe viennent de Syrie. Ils cherchent un lieu pour s’établir le temps que la situation revienne à la normale dans leur pays. « Ils savent que ça peut être long » nous glisse le responsable de Samaritan’s Purse, une organisation humanitaire états-unienne. « Mais s’il y a une chose que les Syriens ont tous en tête, c’est de rentrer à la maison et de retrouver leur Syrie. »
On perçoit ce 20 mars que les choses changent. Avant de monter à Kara Tepe, nous sommes passés au port. Là, des centaines de personnes attendent, munies de leurs affaires compilées de façon souvent rudimentaire, enroulées dans des couvertures ou entassés dans des grands sacs poubelle. Un ferry est à quai. Ce sont les premiers à quitter l’île dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord. Un autre ferry est parti une demi-heure plus tôt en direction de Kavala. Celui-là part au Piree. Les policiers grecs essaient d’ordonner les files d’attente.
L’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie a pour premier effet de plonger tout le monde dans l’incertitude : grecs, migrants, autorités, élus. Giorgios résume : « Au fond, ce traité n’est pas vraiment satisfaisant. Je me demande encore comment il pourra être appliqué. Les Turcs sont censés ne plus nous envoyer de réfugiés le temps qu’on évacue l’île et qu’on organise l’enregistrement. 600 ou 800 sont encore arrivés ce matin. »
Nous nous rendons plus tard au hot-spot de Moria. Changement d’atmosphère : ici, le camp est entouré de trois hautes séries de barbelés. Vu du dehors, Moria ne ressemble pas à un « centre d’accueil ». C’est pourtant par la case Moria que passent tous les migrants de l’île. C’est ici qu’ils sont enregistrés, et jusqu’à ce que l’accord intervienne, ils étaient remis en liberté, dotés d’un statut spécifique selon les cas.
Désormais, Moria va servir de centre de tri : d’un côté les migrants qualifiés à devenir des réfugiés et à qui l’UE octroie l’asile, de l’autre les migrants jugés illégaux et qui deviendront dès lors clandestins. Ce sont eux qui seront reconduits vers la Turquie et échangés contre des « bons » migrants. De façon concrète, on ressent combien les Grecs rencontrés sont sceptiques sur la pertinence de l’accord, lorsqu’ils ne sont pas fondamentalement opposés à ses termes.
Adossé à Moria, un autre camp s’est constitué spontanément. Ici, ce sont 600 ou 700 personnes – presque exclusivement des Pakistanais, qui vivent au milieu des oliviers. Ce camp « sauvage » ne dispose pas des mêmes infrastructures que les autres. Au sol, de la boue séchée et de grands tipis pour d’arbitrer. Dans ce camp, c’est l’association « Better days for Moria » qui organise la vie quotidienne. Un jeune volontaire suisse originaire de Winthertur nous explique : « ce n’était plus supportable pour moi de regarder les choses se dérouler à la télévision. J’ai décidé de recueillir les témoignages des réfugiés pour sortir de l’abstraction. Ce ne sont pas des masses et des statistiques. Ce sont des personnes qui ont une histoire, des motivations, une existence. Il faut en rendre compte. »
L’accord entre l’Union européenne et la Turquie est critiquable sur bien des points mais il est nécessaire pour améliorer le contrôle effectif de notre frontière extérieure commune. Deux périls menacent l’efficacité de cet accord. À court terme, le soutien des Européens à la Grèce doit être rapide et à la hauteur. Trois nouveaux milliards sont accordés à la Turquie, une somme égale devrait être allouée la Grèce pour faire face à la situation. À moyen terme, les Européens devront s’assurer que la Turquie contrôle effectivement son côté de la frontière et démantèle les réseaux de passeurs.
La diplomatie européenne ne peut se réduire à un dialogue germano-turc. Après les attentats de 2015, la France exerce un leadership en Europe sur les questions sécuritaires liées aux migrants, elle doit faire entendre une voix plus forte sur les autres volets : coopération européenne pour le contrôle des frontières, mise en œuvre du dispositif de relocalisation adopté en 2015 et solidarité effective avec la Grèce. Le rôle européen de la France n’est pas de chercher à passer à travers les gouttes.