Quels enseignements tirer de la candidature de Jean-Pierre Chevènement ? Avec la publication de sa brochure « Pourquoi je serai candidat », il cherche avant tout à mettre le débat public à la hauteur des réalités vécues par les Français et de la situation concrète de la France dans le monde. A l’approche de l’échéance de 2012, son propos est encore une fois singulier. Singulier par sa hauteur de vue : seul parmi tous les candidats déclarés, il dresse une véritable liste des priorités du prochain mandat présidentiel. Singulier aussi dans sa démarche intellectuelle, qui se nourrit du meilleur de l’analyse marxiste du système de production capitaliste, mais aussi du pragmatisme gaulliste, faisant sienne la formule « il n’y a pas de politique en dehors des réalités ».
Fort de cette double originalité, Chevènement entend avant tout desserrer l’étau qui enserre la France, et tout particulièrement les classes populaires. Cet étau, c’est celui du système de la monnaie unique et des contraintes insensées imposées par la majorité des élites européennes, droite conservatrice et sociaux-libéraux confondus. Dès le Traité de Maastricht, Chevènement a été un farouche opposant à la monnaie unique ; il anticipait que « construire l’Europe » contre les nations handicaperait lourdement le continent dans l’après Guerre froide. Alors que beaucoup moquaient de prétendus archaïsmes, la crise de la zone euro en cours depuis 2008 lui donne tragiquement raison : l’euro, monnaie surévaluée, ne convient en définitive pour l’essentiel qu’à l’Allemagne et, en accélérant les divergences au sein de la zone, détruit le tissu industriel des économies voisines.
Autre apport de cette brochure, elle aborde un impensé de la politique française actuelle, la relation de la France à l’Allemagne. Loin, d’une obsession, cette réflexion est davantage une démarche d’empathie radicale. Malgré les dénégations de part et d’autre du Rhin, les ambitions allemandes et les fuites françaises nous placent dans une situation de blocage ; le fameux « moteur franco-allemand est au point mort. Cette relation doit donc être repensée, afin que les deux pays puissent poursuivre l’Histoire ensemble.
La démarche intellectuelle à l’œuvre dans ce document est exigeante – cette exigence qui manque désormais à la quasi-totalité des élites politiques. Contre toutes les attentes de ses détracteurs et contre toutes les caricatures, Chevènement y refuse la facilité. Ainsi, plutôt que de « sauter par le hublot » en dehors de l’euro, mieux vaut reprendre les commandes de l’appareil en réformant la zone euro. Il s’agit là d’une démarche authentiquement politique, c’est-à-dire partant du monde tel qu’il est. Seul ce type de politique permettra d’éviter la déflagration annoncée de la Zone euro.
Une réforme radicale de la zone euro s’inscrit aussi dans un projet fondamentalement de gauche, puisqu’elle serait défavorable aux rentiers, en refusant de faire de la lutte contre l’inflation l’unique objectif de la politique monétaire. La dévaluation de l’Euro par rapport au dollar et au yuan ou le rachat de titres de dettes par la BCE bénéficieraient, eux, aux grands oubliés de la zone euro : les classes populaires (et industrieuses) et les pays considérés comme périphériques.
Malheureusement, l’Allemagne ne semble jusqu’ici pas disposée à considérer ce projet d’« Europe européenne », faute que la France ait cherché à la convaincre. Si cela n’était malgré tout pas possible, un plan B devrait alors être envisagé : préserver un « toit européen » à nos économies. Il s’agirait d’un nouveau Système Monétaire Européen ou d’un « nouvel Ecu », fonctionnant en interne avec des monnaies nationales rénovées et en externe avec une monnaie commune. Ce système a l’avantage du réalisme, puisqu’il tournerait le dos au mythe d’un marché des changes s’équilibrant harmonieusement. Par ailleurs, en évitant l’obligation d’élargissements incessants, il permettrait à l’Europe de mener une géopolitique économique ambitieuse au Sud de la Méditerranée et à l’Est jusqu’à la Russie.
Cette réflexion approfondie sur le double sujet fondamental de la relation à l’Allemagne et de la réorientation de l’euro devrait être centrale pour la prochaine élection présidentielle. En la matière, Nicolas Sarkozy a échoué faute d’avoir agi ; ses concurrents de droite ou sociaux démocrates n’abordent qu’à peine le sujet (et les derniers discours de Mmes Aubry et Royal ne démentiront pas ce constat). Cette stratégie d’évitement – ou d’aveuglement – révèle l’un des effets paradoxaux de la mondialisation : les soit disant lois d’airain du capitalisme globalisé sont parfaitement intégrées, et le débat public se réduit à des affrontements entre tigres de papiers, sur des sujets de moindre importance.
La brochure de Jean-Pierre Chevènement nous rappelle que le maintien de l’Etat social suppose d’abord le re-développement d’un appareil productif capable de distribuer des salaires comme des cotisations sociales et des recettes fiscales. Autrement dit, pas de « main gauche » de l’Etat sans une économie nationale robuste. Cette évidence semble désormais hors de portée de grands responsables politiques. Toutes les promesses esquissées par l’UMP ou le PS relèvent davantage des soins palliatifs que de la politique, et le sur-développement de l’assistanat par l’Etat ne fait que refléter la mauvaise conscience du social-libéralisme. Mais tous refusent de ne glisser ne serait-ce qu’un doigt dans la grande machine économique…
Ceux-là mêmes qui depuis 30 ans ont fait profession d’arracher une à une à l’Etat ses prérogatives économiques, réclament aujourd’hui une nouvelle politique industrielle - tout en faisant mine d’ignorer que les fameuses lois de la concurrence libre et non faussée qu’ils ont eux-mêmes imposées au niveau européen la rendent impossible. Pour se déployer dans toute sa cohérence, la politique industrielle nécessite en effet la fameuse « innovation » dont tous se gargarisent aujourd’hui, mais surtout un cadre protecteur, passant par un taux de change compétitif et des protections commerciales, notamment sous la forme de normes sociales et environnementales. Toutes choses qui, s’accordent bien mal avec le cadre mental de l’« Europe » telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.
Cette réflexion pose une question plus angoissante encore : la France et l’Europe n’ont-elle pas déjà disparu des écrans radar de la mondialisation – pour reprendre le titre du dernier essai de Chevènement, « la France est-elle finie ? ». Cette brochure, comme la démarche intellectuelle de Chevènement sont une réponse éclatante : malgré les renoncements des uns et des autres depuis 1983, la France conserve toute sa force propulsive. Fille des Lumières et du Progrès en même temps que fruit d’une Histoire et d’un territoire, la République reste un formidable moteur politique.
Proposer à la France un dépassement d’elle-même pour continuer son Histoire, c’est justement toute la charge subversive de la démarche de Jean-Pierre Chevènement.
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Source : Marianne2.fr
Fort de cette double originalité, Chevènement entend avant tout desserrer l’étau qui enserre la France, et tout particulièrement les classes populaires. Cet étau, c’est celui du système de la monnaie unique et des contraintes insensées imposées par la majorité des élites européennes, droite conservatrice et sociaux-libéraux confondus. Dès le Traité de Maastricht, Chevènement a été un farouche opposant à la monnaie unique ; il anticipait que « construire l’Europe » contre les nations handicaperait lourdement le continent dans l’après Guerre froide. Alors que beaucoup moquaient de prétendus archaïsmes, la crise de la zone euro en cours depuis 2008 lui donne tragiquement raison : l’euro, monnaie surévaluée, ne convient en définitive pour l’essentiel qu’à l’Allemagne et, en accélérant les divergences au sein de la zone, détruit le tissu industriel des économies voisines.
Autre apport de cette brochure, elle aborde un impensé de la politique française actuelle, la relation de la France à l’Allemagne. Loin, d’une obsession, cette réflexion est davantage une démarche d’empathie radicale. Malgré les dénégations de part et d’autre du Rhin, les ambitions allemandes et les fuites françaises nous placent dans une situation de blocage ; le fameux « moteur franco-allemand est au point mort. Cette relation doit donc être repensée, afin que les deux pays puissent poursuivre l’Histoire ensemble.
La démarche intellectuelle à l’œuvre dans ce document est exigeante – cette exigence qui manque désormais à la quasi-totalité des élites politiques. Contre toutes les attentes de ses détracteurs et contre toutes les caricatures, Chevènement y refuse la facilité. Ainsi, plutôt que de « sauter par le hublot » en dehors de l’euro, mieux vaut reprendre les commandes de l’appareil en réformant la zone euro. Il s’agit là d’une démarche authentiquement politique, c’est-à-dire partant du monde tel qu’il est. Seul ce type de politique permettra d’éviter la déflagration annoncée de la Zone euro.
Une réforme radicale de la zone euro s’inscrit aussi dans un projet fondamentalement de gauche, puisqu’elle serait défavorable aux rentiers, en refusant de faire de la lutte contre l’inflation l’unique objectif de la politique monétaire. La dévaluation de l’Euro par rapport au dollar et au yuan ou le rachat de titres de dettes par la BCE bénéficieraient, eux, aux grands oubliés de la zone euro : les classes populaires (et industrieuses) et les pays considérés comme périphériques.
Malheureusement, l’Allemagne ne semble jusqu’ici pas disposée à considérer ce projet d’« Europe européenne », faute que la France ait cherché à la convaincre. Si cela n’était malgré tout pas possible, un plan B devrait alors être envisagé : préserver un « toit européen » à nos économies. Il s’agirait d’un nouveau Système Monétaire Européen ou d’un « nouvel Ecu », fonctionnant en interne avec des monnaies nationales rénovées et en externe avec une monnaie commune. Ce système a l’avantage du réalisme, puisqu’il tournerait le dos au mythe d’un marché des changes s’équilibrant harmonieusement. Par ailleurs, en évitant l’obligation d’élargissements incessants, il permettrait à l’Europe de mener une géopolitique économique ambitieuse au Sud de la Méditerranée et à l’Est jusqu’à la Russie.
Cette réflexion approfondie sur le double sujet fondamental de la relation à l’Allemagne et de la réorientation de l’euro devrait être centrale pour la prochaine élection présidentielle. En la matière, Nicolas Sarkozy a échoué faute d’avoir agi ; ses concurrents de droite ou sociaux démocrates n’abordent qu’à peine le sujet (et les derniers discours de Mmes Aubry et Royal ne démentiront pas ce constat). Cette stratégie d’évitement – ou d’aveuglement – révèle l’un des effets paradoxaux de la mondialisation : les soit disant lois d’airain du capitalisme globalisé sont parfaitement intégrées, et le débat public se réduit à des affrontements entre tigres de papiers, sur des sujets de moindre importance.
La brochure de Jean-Pierre Chevènement nous rappelle que le maintien de l’Etat social suppose d’abord le re-développement d’un appareil productif capable de distribuer des salaires comme des cotisations sociales et des recettes fiscales. Autrement dit, pas de « main gauche » de l’Etat sans une économie nationale robuste. Cette évidence semble désormais hors de portée de grands responsables politiques. Toutes les promesses esquissées par l’UMP ou le PS relèvent davantage des soins palliatifs que de la politique, et le sur-développement de l’assistanat par l’Etat ne fait que refléter la mauvaise conscience du social-libéralisme. Mais tous refusent de ne glisser ne serait-ce qu’un doigt dans la grande machine économique…
Ceux-là mêmes qui depuis 30 ans ont fait profession d’arracher une à une à l’Etat ses prérogatives économiques, réclament aujourd’hui une nouvelle politique industrielle - tout en faisant mine d’ignorer que les fameuses lois de la concurrence libre et non faussée qu’ils ont eux-mêmes imposées au niveau européen la rendent impossible. Pour se déployer dans toute sa cohérence, la politique industrielle nécessite en effet la fameuse « innovation » dont tous se gargarisent aujourd’hui, mais surtout un cadre protecteur, passant par un taux de change compétitif et des protections commerciales, notamment sous la forme de normes sociales et environnementales. Toutes choses qui, s’accordent bien mal avec le cadre mental de l’« Europe » telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.
Cette réflexion pose une question plus angoissante encore : la France et l’Europe n’ont-elle pas déjà disparu des écrans radar de la mondialisation – pour reprendre le titre du dernier essai de Chevènement, « la France est-elle finie ? ». Cette brochure, comme la démarche intellectuelle de Chevènement sont une réponse éclatante : malgré les renoncements des uns et des autres depuis 1983, la France conserve toute sa force propulsive. Fille des Lumières et du Progrès en même temps que fruit d’une Histoire et d’un territoire, la République reste un formidable moteur politique.
Proposer à la France un dépassement d’elle-même pour continuer son Histoire, c’est justement toute la charge subversive de la démarche de Jean-Pierre Chevènement.
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Source : Marianne2.fr