=> Commander "La France est-elle finie?" sur le blog de Jean-Pierre Chevènement
Voici le résumé de "La France est-elle finie?" de Jean-Pierre Chevènement. Par chapitre, au risque de répétitions, les idées maîtresses sont exposées de manière concise, souvent citées intégralement. Ce document a un double but : faire connaître succintement le contenu de cet ouvrage à un large public qui n’aurait ni l’intention ni la disponibilité de le lire, et, pour d’autres, rester bref pour inciter à la lecture. Analyse lucide du bilan de la gauche, regard aigu sur le monde actuel, vision d’un avenir à notre portée, c’est un livre d’Histoire et d’espoir.
________
Introduction:
« La France apparaît comme un pays sans ambition, sans grandeur ; l’essentiel se passe ailleurs. Serait-elle sortie de l’Histoire ? Il n’est pas possible de réinventer l’avenir sans avoir éclairci son histoire récente. Le peuple a besoin de pouvoir se projeter dans l’avenir, c’est cette vision qui lui fait défaut aujourd’hui. Or pour inventer l’avenir, il faut rendre le passé lisible. »
I 1971-1983 : la gauche perd la bataille qu’elle n’a pas livrée
F.Mitterrand : « je ne pense pas qu’aujourd’hui la France puisse faire autre chose que passer à travers les gouttes ». Au fond, F.Mitterrand pensait peut-être que la France était morte depuis 1940 et même avant. Pour lui, l’hégémonie des Etats-Unis bornait l’horizon pour longtemps.
La victoire de 1981 fut à contre-courant de l’évolution de la fin des années soixante-dix, au moment où l’épuisement idéologique de l’URSS et de la sociale-démocratie facilitaient la victoire du néo-libéralisme, dont le modèle n’est qu’un nouveau calcul des coûts de la paix intérieure : rétablir le niveau des profits financiers, baisser le coût du travail, s’en remettre à la loi du marché, supprimer l’intervention de l’Etat dans l’économie.
Au sein du PS et du gouvernement s’est développé un fort courant qui, à la suite de Reagan et Thatcher, en accepte les principes : désinflation, franc fort, déréglementation de la finance, autorégulation du marché, pouvoir aux actionnaires. L’alliance de Delors aux finances et de Mauroy premier ministre en furent les acteurs, auxquels tentèrent de s’y opposer J.P.Chevènement et J.Riboud, partisans d’une politique publique de développement industriel, de reconquête des marchés soutenue par une dévaluation, d’investissements dans la Recherche.
De 1981 à 1983, des décisions importantes conformes au programme socialiste sont prises : nationalisations, décentralisation, soutien à la recherche, mais le courant social-libéral partisan de l’économie de marché finit par l’emporter : refus de dévaluer, blocage des salaires et des prix en mars 1982, refus de créer une banque nationale d’investissements ; en mars 1983, décision de pérenniser l’arrimage du franc au mark instauré par Giscard d’Estaing en 1978. La gauche française cède devant les coups de boutoir du capitalisme anglo-saxon.
II 1983-1989 : Bruxelles-Paris, le chemin le plus court pour la normalisation libérale
La « rigueur » de Delors et Bérégovoy inaugure la nouvelle politique: désinflation compétitive, salaires déconnectés de la productivité dont les bénéfices profitent aux seuls actionnaires, libéralisation de la finance, déréglementation du marché des capitaux au sein de l’Europe mais également vis-à-vis des Etats tiers, copie française de la politique que mènent Reagan et Thatcher. L’Acte Unique qui l’officialise est voté en 1987 par la Droite revenue au pouvoir et par la gauche (sauf le PC) « dans l’inconscience générale… nul n’expliqua aux députés ses conséquences… L’habileté de F.Mitterrand fut de ne jamais admettre qu’il avait changé de cap. »
Indépendance de la Banque Centrale, omnipotence de la Commission européenne, effacement des politiques industrielles, déséquilibre entre le capital et le travail, délocalisations, le néo-libéralisme mondialisé triomphe, porté par la droite libérale et la gauche légitimiste.
L’Europe qui s’ébauche sous ces principes était présentée par ses promoteurs comme le remède aux risques inhérents à la mondialisation. Aujourd’hui les mêmes se plaisent à dénoncer les désordres du système dont ils ont soutenu la mise en place, sauf les Delors, Lamy, dont le dogmatisme « tout enrobé de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir… »
Quelques rappels : suppression de la clause d’harmonisation fiscale préalable au marché unique en 1989, minoration de la fiscalité des revenus du capital (Bérégovoy en 1990), régime fiscal très avantageux pour les stock-options (Strauss-Kahn en 1998), interdiction aux Etats de défendre leurs entreprises stratégiques contre les OPA (directive approuvée par les élus PS à Strasbourg).
« Une douce amnésie recouvre ce riche bilan… »
III 1989-1995 : le pari pascalien de F.Mitterrand
Il ne croyait plus que la France puisse jouer son propre jeu entre l’Allemagne, le Japon et les USA, ni inventer son propre modèle. En voulant « choisir l’Europe », il n’a pas vu qu’il ouvrait la voie à la mondialisation financière. L’Europe comme croyance métaphysique, pari grandiose sur un au-delà des nations.
L’Allemagne a reconstruit une industrie puissante, sa monnaie est forte. En politique étrangère Kohl s’appuie principalement sur les USA ; la Réunification est son projet essentiel ; ce but atteint, l’Allemagne sera l’homme fort de l’Europe.
F.Mitterrand est conscient que la réunification allemande bouleverse la donne européenne. Pour contrebalancer cette puissance, il lui faut parier sur l’Europe, exiger de l’Allemagne son intégration rapide et l’abandon du mark, sa force économique, au profit de la monnaie unique. Le marchandage Union européenne contre Réunification (1989-1990) aboutit immédiatement au traité de Maastricht de 1992.
L’Europe ainsi faite satisfait les exigences allemandes : Banque Centrale indépendante des Etats, interdiction de toute politique monétaire, limites strictes du déficit public, de l’inflation, de la dette, imposées aux Etats. En voulant « lui prendre son mark », F.Mitterrand ne s’était pas avisé qu’il imposait à l’Europe un « mark-bis ».
Pour la France, les conséquences de l’euro fort sont claires : des exportations en régression, une croissance ralentie, un fort chômage, un déficit budgétaire impossible à réduire, un endettement public qui passa de 32 % en 1992 à 58 % en 1998 ; la régression de notre industrie dont la part dans le PNB passe de 29 % en 1982 à 22 % en 1998 et à 13 % en 2009, tandis que le déficit de nos échanges avec l’Allemagne quadruple de 1982 à 2009.
« Ma réaction à Maastricht a été un rejet viscéral…Je ne crois pas à l’au-delà des nations…C’est la confusion de la nation avec le nationalisme que je récuse ; … s’il en est une maladie, il n’en est pas la fatalité… Le patriotisme est l’amour des siens, le nationalisme la haine des autres…Les nations, dans la conception républicaine qui est la nôtre, restent le socle de la démocratie et des valeurs que nous devons transmettre. »
IV 1916-1992 : Aux racines du « pari pascalien » de F.Mitterrand
Si F.Mitterrand se rallie au libéralisme au nom de l’Europe, ce n’est pas un artifice, mais son projet essentiel. Il fait le jeu du Capital parce que contrairement à de Gaulle, il a pris acte de l’effondrement de 1940, qui lui-même résulte de l’épuisement de la France au lendemain de 1918. Il a vécu la situation tragique des années trente marquées par le refus définitif de la guerre, un pacifisme diffus, une posture strictement défensive, un anticommunisme qui se substitue au patriotisme et, à l’extérieur, l’isolement de la France. Face à Hitler, la majorité des élites ont déjà capitulé dans leur têtes, d’où l’absence de réaction devant ses provocations.
La défaite de 1940, sans précédent dans notre histoire, la honte de Vichy, régime auquel il collabore un temps, son engagement dans la Résistance en 1943 qui n’efface pas son refus de l’action politique de de Gaulle et, au contraire, privilégie une alliance étroite avec les Etats-Unis, de telles expériences de jeunesse rendent compte de ses choix dans les années 1980-1990.
« Ainsi l’Europe est pour lui notre seul avenir…Il adhère au projet de J.Monnet pour qui la paix en Europe exige l’effacement des souverainetés nationales. Pour échapper à l’opprobre du nazisme et reconquérir un rang de grande puissance, l’Allemagne réunifiée n’a d’autre choix que de prendre sa place dans une Europe de la Paix. Pour ces deux Etats traumatisés, l’Europe est la voie idéale pour refouler un lourd passé. « Ce refoulement …altère la faculté de jugement de nos bons européens…ils communient dans cet amour rétrospectif de la paix qui les rends aveugles à l’avenir mortifère que le choix d’un libéralisme biaisé induit pour l’Europe. »
V 1990-2008 : Le triomphe de l’inégalité
Sur quel monde le grand ralliement au néo-libéralisme effectué au nom de l’ « Europe » a-t-il débouché ? Explosion des cours boursiers : les actifs financiers mondiaux sont passé de 110 % du PNB mondial en 1980 à 346 % en 2006 ; hyperpuissance politique et militaire des USA ; avènement d’un « système d’avidité » (J.Stiglitz) qui exige 15 % de rendement des capitaux et génère des fortunes colossales ; « la mondialisation heureuse » célébrée par A.Minc.
Mise en concurrence des territoires et des systèmes sociaux qui entraînent délocalisations, confiscation des gains de productivité par les actionnaires, stagnation salariale, endettement des ménages. Déclin des Services publics, échec scolaire qui masque l’échec social, perte de plus de deux millions d’emploi industriels en trente ans. «Un programme de destruction des collectifs… débouchant sur un monde darwinien fait de flexibilité, d’insécurité, de stress et de souffrances… » (P.Bourdieu). Un monde de la démesure.
Maastricht, qui prétendait protéger, traduit en directives européennes les exigences du système. La part de l’UE dans la production mondiale régresse constamment. Le ratio de rentabilité est le nouveau Veau d’Or. L’euro fort provoque la dégradation de la compétitivité des entreprises françaises et trois millions de chômeurs en 2010. « Pour la gauche et la droite associées depuis vingt-cinq ans dans la même politique, de l’Acte unique à Lisbonne, le bilan est lourd. » Si les pays émergents ont profité de la globalisation, ils en subissent les mêmes conséquences : explosion des inégalités, exploitation effrénée de travailleurs sans protection. Partout et seul le Capital est gagnant. Retour à la « Belle époque » du capitalisme d’avant 1914.
« Face à ce monde d’iniquité à l’accouchement duquel ils ont contribué – sans doute pour beaucoup bien involontairement -, les sociaux-libéraux qui se voulaient, en France, en 1991, « à l’avant-garde du nouvel ordre international » proclamé par Bush père, restent sans voix, comme la poule qui croyant avoir pondu un œuf se retrouve en présence d’un couteau. »
VI 1990-2010 : le retour de l’Allemagne
Nation désormais dominante, l’Allemagne impose ses choix à l’Europe : reconnaissance unilatérale de l’indépendance de la Croatie, qui ouvre la voie à l’émiettement de la Fédération yougoslave et redonne une légitimité à la présence militaire américaine ; admission sans discussion dans l’UE des pays d’Europe centrale et orientale dont le niveau des salaires est huit fois inférieure à la moyenne des siens, créant ainsi pour l’Allemagne un vaste espace de sous-traitance de proximité tout en gardant pour elle les fonctions d’assemblage, de recherche, et de commercialisation ; refus d’une Union pour la Méditerranée qui échapperait à l’autorité de l’UE et permettrait à la France de jouer un rôle privilégié dans cette région.
Les choix fondamentaux de l’UE sont les siens : monnaie forte, priorité aux exportations, BCE indépendante, inflation quasi nulle ; modèle qui lui réussit, son excédent commercial passant de 59 mds € en 2000 à 177 en 2008, dont 60 % se fait sur les autres pays de l’UE. Une telle prospérité à l’export, en dépit de la monnaie forte, s’explique par la qualité, la technologie, l’importance de la recherche industrielle, un grand nombre d’entreprises innovantes de taille moyenne, mais également par la force d’un esprit collectif et la discipline syndicale, l’acceptation d’une stagnation du pouvoir d’achat (4,5 % d’augmentation en 10 ans contre 15 % en France, et 2 points de TVA en plus en 2008). Stratégie mercantiliste, « consciente, d’essence non coopérative avec les autres pays européens » (P.Artus) menée au détriment des partenaires de l’UE et qui fait obstacle à une politique économique cohérente au sein de l’Union; surenchère allemande, sans concertation, dans la sévérité des critères du pacte de stabilité ; menace d’exclusion de l’UE de pays trop endettés, ce qu’aucun traité ne prévoit !
« Redevenue normale », consciente de sa force, l’Allemagne « doit faire sienne l’idée de mesure ». Son unité retrouvée a pour conséquence le déclin continu de l’idéologie fédéraliste qui la dominait auparavant, et l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe et de son Tribunal affirmant que « les peuples de l’UE restent les détenteurs décisifs de la puissance publique », ne font que reprendre une argumentation développée depuis au moins deux décennies par les républicains français. Cette évolution positive va dans le sens d’une « République européenne des peuples » préconisée par J.P.Chevènement, instaurant des coopérations à géométrie variable.
VII 2008 et suivantes : la crise du néo-libéralisme
Déséquilibre fondamental du capitalisme financier : 3 % de croissance et 15 % de rendement sont une contradiction ; endettement abyssal des USA qui captent 8O % de l’épargne mondiale, la Chine qui détient plus de 2400 mds $ de titres américains et tient le sort du dollar ; déréglementation, titrisation, crise systémique engagée par la finance américaine et suivie comme des moutons par nombre de gouvernements et institutions.
Obligés de faire obstacle à la faillite des banques, les Etats reprennent du pouvoir mais substituent l’endettement public à l’endettement privé ; immédiatement les marchés financiers se retournent contre les Etats les plus endettés qui se sont mis en déficit pour les sauver… Logique d’un système qui veut faire payer aux contribuables, aux salariés, aux retraités, le coût de son sauvetage. « Les peuples se laisseront-ils faire ? »
Fable de la critique de l’immoralité du capitalisme, faite pour occulter les causes fondamentales de la crise et dévier la colère des victimes vers une poignée de spéculateurs. « Au-delà des banquiers et traders, il y a la responsabilité des politiques …qui ont déréglementé depuis bientôt trois décennies… et de tous les grands prêtres du marché.»
« Globalisation financière et hégémonie mondiale des USA sont l’avers et l’envers d’une même pièce ; le ralliement de la gauche européenne à un modèle si contraire à ses principes n’en apparaît que plus piteux. »
Pertinence de l’analyse marxiste : au cœur du système se trouve l’insuffisance de la demande du fait de la déflation salariale induite par la concurrence des pays à très bas coûts…Mais la contradiction principale vient de ce qu’appuyées sur l’hyperpuissance américaine, les multinationales ont délocalisés hors des USA un bonne part de leur production. L’épuisement du modèle est lié au déclin des Etats-Unis.
Désorganisation de l’Irak et de l’Afghanistan, montée de l’Iran, refus israélien de créer un Etat palestinien viable. « Le spectre de la guerre rôde à nouveau à l’horizon… Les mesures économiques prises par les USA ne corrigeront pas les déséquilibres de l’économie mondiale mais les accroîtront…L’hypothèse d’un reprise durable semble aujourd’hui exclue… L’euro étouffe la croissance et interdit aux pays d’Europe du Sud de dévaluer pour regagner leur compétitivité perdue… L’Europe de Maastricht révèle au grand jour les failles de sa conception. »
VIII 2010 et suivantes : la crise de la monnaie unique
Une zone euro construite sur des bases économiques hétérogènes, sans harmonisation des politiques, réduites à une discipline budgétaire dépourvue de gouvernement économique et de politique monétaire conformément à la volonté de l’Allemagne. Un seul objectif : empêcher les déficits et l’inflation. « L’union monétaire européenne est un canard sans tête. »
Surévalué, l’euro a entraîné une perte considérable de compétitivité pour la plupart des pays (la part de la France dans le marché mondial régresse de 6 % à 3,8 % de 1993 à 2010) ; la zone euro est la lanterne rouge de la croissance et détient le ruban bleu du chômage. En 2007, proposer d’introduire un objectif de croissance à la BCE provoqua un tollé chez les socialistes français et européens…
La crise grecque est une répétition générale des crises à venir. Les Etats endettés, qui sauvèrent les banques en 2008, sont contraints maintenant d’emprunter chèrement aux banques qui, elles, se refinancent à bas taux auprès de la BCE qui n’a pas le droit de prêter aux Etats.
Poursuivant son objectif de défense de ses industries exportatrices, l’Allemagne, pour conjurer la crise de l’euro, s’est trouvée obligée d’accepter de soutenir les pays fortement endettés, mais exige des sanctions automatiques telles que la privation du droit de vote au Conseil européen, voire l’exclusion de l’UE.
Le FMI intervient désormais systématiquement pour un tiers dans les aides financières de l’UE et en est le maître d’œuvre ; les Etats-Unis détenant un droit de veto au sein de son Conseil, « la zone euro est entrée sous tutelle américaine. »
« Les conséquences des plans de rigueur (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie, France, Allemagne) ne peuvent être qu’une nouvelle récession dans la zone euro avec, en perspective, une probable cascade de crises sociales et politiques. »
Ne pas d’emblée prôner l’abandon de l’euro, qui apporte quelques avantages (évitement des dévaluations fréquentes, stabilité des exportations,) mais surtout symbole politique ; l’essentiel est de changer les règles du jeu, d’avoir une ambition et une vision politique : un vrai gouvernement économique de la zone, une initiative impliquant une initiative de croissance et d’emploi, une relance européenne, principalement salariale pour redynamiser la demande intérieure, un grand emprunt pour financer un programme d’infrastructures, de recherche et d’innovation, une politique de change redonnant à l’euro une parité correcte avec le dollar. Sans un accord avec la Chine sur le yuan, des mesures de protection seraient inévitables.
« Si l’UE continue dans la voie d’un plan coordonné d’austérité, elle court au désastre ; » (J.Stiglitz)
A défaut d’une relance de la croissance en Europe, on ne peut exclure la sortie d’un pays qui en entraînerait d’autres et aboutirait à la dislocation de la zone. Les USA doivent interrompre leur politique de dévaluation et conclure un accord avec l’Europe sur un système de change réaliste. Une « monnaie commune » (refusée par l’Allemagne en 1992) réservées aux transactions extérieures avec des parités ajustables entre les monnaies nationales serait une position de défense possible.
« Ou bien l’Allemagne acceptera de réviser les règles de l’euro, ou bien elle risque d’entraîner les autres européens vers une crise économique et politique majeure… A défaut, le bon sens commanderait à la France de préserver son tissu industriel… Nos élites financières ne sont sans doute pas prêtes à un tel choix. Seul le peuple pourra le leur imposer. »
IX 1983-2010 : la gauche piégée
« Double piège : par l’économie et par la géopolitique. Ses choix libéraux l’ont conduite dans le mur ; ses choix européistes lui ont mis la corde au cou… piège efficace grâce à la confusion entretenue entre la nécessaire union des peuples et les formes prises par la construction européenne. »
Le social-libéralisme accepte le capitalisme financier en croyant distraire quelques miettes de croissance pour financer le social. Il refuse la « vieille gauche » : Etat-providence, projet collectif, égalitarisme, rôle limité du marché, et s’approprie les nouvelles aspirations : consumérisme, développement personnel, modernité sociétale favorables aux revendications des minorités actives. « Rejet des nationalisations, inéluctabilité et nécessité de la mondialisation du commerce et des investissements, flexibilité du travail, réduction des filets de sécurité… les fruits de la croissance engendrés par le libre marché peuvent être largement partagés lors qu’on offre aux laissés pour compte de cette croissance la possibilité de s’adapter » (J.Delors)
Les intentions pieuses des sociaux-libéraux les ont empêchés de voir la vraie nature du capitalisme financier et le creusement des inégalités qu’il engendrait. En résulte la retentissante défaite de 1993, la « victoire » accidentelle en 1997, l’éloignement des couches populaires (11 % des ouvriers votent socialiste en 2002),l’ absence de toute autocritique de fond.
« On ne modifie que très difficilement le génome d’un grand parti … Nous avons cherché (Chevènement et le Ceres , ndlr) à infléchir de l’intérieur d’abord, de l’extérieur ensuite, la ligne du PS, à nos risques et périls… Nous avons cru naïvement … servir F.Mitterrand, peser sur sa ligne ; nous croyions en la capacité du PCF à renouer avec l’héritage de la Résistance… il était d’abord une machine de pouvoir. Nous avons cru pouvoir apporter à L.Jospin une vision républicaine qui lui aurait permis, s’il l’avait faite sienne, de rencontrer la France ; mais le génome socialiste – l’internationalisme d’avant 1914 et le pacifisme d’avant-guerre transmutés en européisme- ne se laisse pas facilement modifier… il y faudra une secousse beaucoup plus forte, un choc venu de l’extérieur. Peut-être se devine-t-il déjà à l’horizon. »
Perte ou quasi disparition de nos industries (machine-outil, industries de consommation, métallurgie mécanique), délocalisation de la moitié de l’automobile ; le nucléaire, Airbus, le TGV, Ariane sont des choix de de Gaulle et Pompidou. L’excédent commercial de l’agriculture allemande est quatre fois supérieur au nôtre. Seuls restent le luxe et la défense. Les services sont eux aussi exposés à la délocalisation, les banques en crise. On commence seulement à s’aviser qu’il y a contradiction fondamentale entre l’intérêt national et celui des multinationales.
« Ces conséquences ne sont pas dissociables de la mise en congé de la Nation… le marché déguisé aux couleurs de l’Europe a conduit à l’effacement de la France et à l’oubli de ses intérêts. »
« L’Europe s’en est remise aux Etats-Unis du soin de sa défense … elle n’en a pas la volonté…, alors que l’effondrement de l’URSS offrait une occasion unique de se libérer de la tutelle de l’OTAN. »
Au second septennat, « l’objectif de la victoire avait remplacé celui de la réussite… nous allions gagner mais ne savions pas quoi faire » (F.Hollande)
Les socialistes ont rompu avec « la tradition de l’Etat producteur au début des années quatre-vingt…quel autre événement, à la portée historique, idéologique, économique, sociale, culturelle, stratégique, aussi considérable, fait-il l’objet d’un si grand oubli et même d’un si puissant et si constant déni ? » (A.Bergougnoux et G.Grünberg)
X 1940-2040 Finis Franciae ?
« Comment cette conversion libérale et européiste a-t-elle été possible ? une seule réponse convaincante : l’empreinte laissée dans les consciences par l’effondrement de la France en 1940. » J.Monnet en fut la méthode : empêcher la reconstitution des souverainetés nationales, les fusionner dans une Fédération bâtie sur des solidarités de fait, réduire les gouvernements à des agents d’exécution. Elle s’imposa à la faveur de la profonde dépression des nations européennes, et est à l’origine de la Commission européenne, de la BCE, de la Cour de Justice, institutions sans finalité, déconnectées du suffrage universel. L’Europe sans les peuples et inféodée aux Etats-Unis !
Des historiens, sociologues, politiciens s’acharnent à faire voir notre histoire sous son plus sombre jour, à confondre Vichy avec la France pour dénoncer « l’idéologie française. » Quelle histoire est enseignée aujourd’hui ? L’art aratoire à travers les civilisations plutôt que le baptême de Clovis ou l’œuvre de la Convention. Vision pessimiste, appuyée sur des faits historiques,mais qui méconnaît la grandeur de la Révolution.
La France est tiraillée entre trois tropismes antagonistes : l’océan et le rêve du grand large, le continent et la tentation hégémonique en Europe, la Méditerranée et la séduction de l’Afrique et de l’Orient. Elle perdit le combat pour l’hégémonie maritime face à l’Angleterre, puis sur le continent avec la « surextension impériale » de Napoléon, enfin elle subit le destin du colonialisme en Afrique et en Indochine. Mais la Révolution n’eut jamais pour but de dominer l’Europe. Robespierre : « Paris n’est pas la capitale du monde, ni un point de départ pour sa conquête… La manie de rendre une nation libre et heureuse malgré elle n’a pas de sens. »
« L’effondrement de 1815 n’a pas empêché que les idées de la Révolution se propagent d’abord en Amérique latine, puis à toute l’Europe. Cela nos élites ne le voient pas. Les Traités de Versailles consacreront la liberté des nations… Aucune des nations de l’Europe centrale et orientale n’aurait accédé à une existence indépendante sans ces traités… C’est le principe des nationalités qui a triomphé sur les décombres des empires. »
La France s’est faite la championne de la nation « citoyenne », et devrait se sentir directement concernée par les défis républicains que doivent relever tant de nations anciennes et nouvelles. Encore faudrait-il que nos élites fatiguées se sentent investies du devoir de porter le message républicain : respecter l’authenticité des peuples et parier sur leurs propres motivations pour leur permettre d’accéder aux valeurs universelles. » Nos élites sont-elles capables de penser une entente continentale allant de l’Espagne à la Russie ? Il faut rendre à la France l’estime de soi.
« La vraie victoire appartiendra à celui ou à celle qui, en 2012 ou après, saura mettre un terme à cette crise nationale de longue durée. A cela deux conditions : l’appropriation par la gauche des valeurs républicaines à transmettre, et un accord de peuple à peuple entre la France et l’Allemagne sur un projet d’Europe européenne. »
XI 2010-2040 France-Allemagne : sortir de l’Histoire ou la continuer ensemble ?
Que veut l’Allemagne ? Que faire ensemble ? Une thèse affirme un désintérêt mutuel, une indifférence ; normalisée, l’Allemagne aurait assimilé « la culture des vainqueurs » (celle des américains ?) ; est-ce un aplatissement, le refus d’un rôle historique au-delà de la prospérité économique ? Ce serait un obstacle majeur pour le destin de l’Europe.
Seul point hors norme, l’Allemagne fait l’impasse sur sa capacité de défense autonome, persiste à se mettre à la remorque des USA ; son atlantisme empêche une vraie Europe de la défense. Les pays d’Europe centrale et orientale, de l’arc atlantique, de l’Europe méditerranéenne ne souhaitent pas autre chose que la protection américaine, qui évolue vers l’installation d’un « bouclier anti-missiles ». S’en remettre à cette protection signifierait pour l’Europe la perte de toute autonomie stratégique et technologique.
Les Etats-Unis défendent leurs intérêts, l’Europe doit donc exister par elle-même. La France doit donc conserver sa capacité autonome de défense. L’Allemagne, un jour, y verra peut-être son intérêt.
Le choix est entre une « Union occidentale Europe-Etats-Unis » (projet Balladur) et une « Europe européenne », seul enjeu qui, aux yeux de la France, vaille dans le long terme. L’Allemagne en détient la clé. Sur les problèmes du Proche et Moyen Orient, les futurs rapports des USA avec la Russie, avec la Chine, l’Europe est politiquement aux abonnés absents alors que ses intérêts sont engagés.
Question simple posée à nos deux pays : voulons-nous ensemble donner un sens à l’Europe ? Question jamais publiquement posée. Le SPD et Die Linke perpétuent la profonde division de la gauche allemande née du conflit sanglant de 1919 ; leur réunion parachèverait la réunification au plan politique et culturel, et rapprocherait l’Allemagne de la France. Ou l’Allemagne fait cavalier seul, ou bien nos deux pays définissent un intérêt européen ensemble : l’héritage des Lumières, un modèle social, une défense autonome, une main tendue à la Russie, une alliance sans subordination avec les Etats-Unis, un co-développement avec la Méditerranée et l’Afrique, une régulation économique mondiale. Nous n’en sommes hélas pas là aujourd’hui.
XII La gauche, la droite et la République du XXIe siècle
« Le retour de la France comme une nation capable de fournir des repères en Europe et dans le monde n’est pas un projet moins raisonnable que celui de la France libre en 1940 … Elle doit inventer la République du XXI e siècle par-delà une gauche et une droite également dissoutes dans le bain du néo-libéralisme, remettre le peuple debout et en faire l’acteur de son destin… » Pour cela redéfinissons nos concepts.
« La gauche » naît avec la Révolution française (refus du veto royal) et fait corps avec l’idée de souveraineté populaire. « Socialisme » signifie avant tout critique du capitalisme, et ne retenons de Marx que la méthode d’analyse : la valeur travail, le rapport entre l’évolution des classes sociales et celle des forces productives, la critique de l’idéologie dominante.Mais la pensée socialiste n’a pas suffisamment réfléchi à la Nation, à l’Etat, à la Révolution, d’où ses échecs historiques : incapacité d’empêcher le conflit de 1914, dérive dictatoriale du bolchevisme, pacifisme paralysant face au fascisme. Incapacité à penser les sociétés non européennes : légitimation de la colonisation, européocentrisme face aux mouvements de libération nationale, incompréhension des nationalismes du tiers-monde. Aujourd’hui incapacité à s’opposer au capitalisme mondial dans les institutions européennes, à l’OMC, au FMI… « Les transfuges socialistes récupérées par la droite (Rocard Kouchner) ont été logiques avec eux-mêmes, car depuis longtemps ils pensaient comme elle. »
De même quitter le mythe de la refondation à zéro ; « ce fut la force des fondateurs de la IIIe République que de vouloir assumer toute l’histoire de France en même temps qu’ils promulguaient d’audacieuses réformes. »
Gauche et droite sont en désuétude, « la première pour avoir tourné le dos aux couches populaires, la seconde pour s’être détournée de la nation, et cela pour rallier toutes deux le néo-libéralisme…
Il y a une chose qui est au-dessus de la gauche et de la droite telles qu’elles sont devenues, c’est la République. »
Le fédéralisme européen des socialistes est une impasse, à contre-courant des réalités politiques et économiques. Dans tous les pays les peuples s’en détournent (60 % d’abstentions). « Il faut compter sur le bon sens et le courage des futurs dirigeants de la France pour écarter la perspective de créer, à partir de l’euro, une Fédération européenne qui serait à la fois anti-démocratique et ruineuse. »
La gauche doit se mettre à la hauteur du défi, critiquer N.Sarkozy sur son projet libéral, européiste, occidentaliste, et non sur sa personne. Il faudrait pour cela que les socialistes fassent leur le concept de « nation républicaine »…mais s’approprient aussi la France comme une totalité venue du fond de l’Histoir. Le caractère universaliste de la culture française, qualité majeure, expose toutefois au risque de rendre aveugle aux autres cultures, et même à la sienne, à tel point que l’appartenance politique du citoyen remplace l’appartenance culturelle ; cela conduit à sous-estimer les rapports difficiles avec les autre cultures holistes et surtout à abandonner à la droite des valeurs nécessaires au « vivre ensemble ».
« Un gauche de gouvernement doit se réapproprier les valeurs de transmission : l’Ecole du savoir et de la citoyenneté, une égale sécurité pour tous, le patriotisme républicain exigeant qui a su battre le nationalisme identitaire antirépublicain (l’affaire Dreyfus), l’amour du travail bien fait et de la connaissance. » Un tel héritage permet de maîtriser les questions de sécurité et d’immigration, alors qu’un affrontement droite/gauche conduit à défendre des postures identitaires (sans-papiérisme sans rivage, culture de l’excuse face à la délinquance) qui deviennent de lourds handicaps une fois parvenu au gouvernement.
Dispersées, émiettées, les couches populaires existent toujours et ressentent plus que d’autres le poids de la précarité. Les couches moyennes et supérieures se divisent en d’une part les oligarchies financières et les privilégiés qu’elles entraînent, d’autre part les petits et moyens entrepreneurs et l’essentiel des classes moyennes dont la mondialisation lamine les revenus.
« Il faut donc rassembler à partir d’une conception élevée de l’intérêt national, inséparable d’une vue mondiale des choses, sur une base républicaine. »
XIII Le grand pari sur la France au XXIe siècle : faire vivre le modèle républicain
Hégémonie montante de la Chine, hégémonie déclinante des Etats-Unis, dans les décennies dangereuses qui s’annoncent, la capacité de l’Europe à surmonter le choc psychologique autant que matériel que constitue la fin de l’hégémonie qu’elle exerça depuis le XVIe siècle, est une condition nécessaire pour gérer pacifiquement cette pluralité. Or l’Europe de Maastricht rétrécit en tous domaines (démographie, économie, industrie, commerce, diplomatie) et a accéléré le déclin des nations, enfermée dans une « irrealpolitik, mélange brumeux d’abstraction et d’ingénuité bien intentionnée. » (H.Védrines)
Nos contraintes sont d’abord « intellectuelles » ; réapprenons à penser librement, à partir de la France, seul point d’appui solide pour exercer une influence. La France a fourni le modèle de la nation républicaine qui l’a emporté presque partout sur la conception ethnique, celle-ci encore pratiquée mais rarement revendiquée. Il y a une façon niaise de promouvoir l’idée républicaine : invoquer les Droits de l’Homme en oubliant les droits du citoyen, invocation qui bien souvent n’est que la marque de l’ingérence qu’autrefois on appelait « impérialisme », car ce sont les pays forts qui les agitent devant les pays faibles. La manière intelligente est d’affirmer la liberté des peuples, et de leur offrir la capacité d’organisation qui leur font souvent défaut pour s’affranchir des dominations anciennes et nouvelles.
Face à l’islamisme radical qui prône la reconstitution d’une communauté transnationale par-delà des Etats considérés comme impies, le monde arabo-musulman s’est lui aussi organisé en nations, évolution positive qui ne nie pas l’unité culturelle de ce monde mais évite le durcissement des oppositions religieuses.
La France doit réactiver le modèle républicain comme elle l’a fait à la Libération avec le programme du Conseil National de la Résistance : retrouver le sens de la durée et du projet collectif, ce qui est le rôle de l’Ecole ; rompre avec la dictature de l’instant, provoquée par le choix politique de la déréglementation financière, et qui substitue les bulles médiatiques au vrai débat politique ; revaloriser le citoyen contre l’individu consommateur désaffilié de ses liens et de la réalité (« le prolétaire est celui qui sert un système dont il n’a pas le savoir » B.Stiegler) ; dépasser l’horizon des marchés, car le système encore intact n’évitera pas de nouvelles crises ; changer les règles de la compétition mondiale par l’instauration d’une concurrence équitable entre pays à très bas salaires et pays anciennement industrialisés, un système monétaire européen, l’amarrage de la monnaie européenne au dollar, la réorganisation du système monétaire international autour des quatre grandes monnaies.
Deux projets républicains : la politique industrielle, l’éducation et la recherche.
Politique industrielle :
« Seul un travail correctement rémunéré et autant que possible valorisant confère la dignité requise dans une république civique. » Un grand ministère de l’Industrie, de grands projets (mobilité, énergie, robotique, biotechnologies et santé, numérique, nanotechnologies, aéronautique et espace, océans), soutien massif aux PMI, réformer la politique de concurrence de l’UE, créer un livret d’épargne industrie, promouvoir la culture scientifique et technique.
Education et Recherche :
Entre 20 et 25 % des élèves se retrouve en difficulté à tous les niveaux, du CP à la sortie du collège, presque toujours issus de milieux pauvres, faute de vocabulaire et d’un minimum de syntaxe, donc s’attaquer en priorité à l’apprentissage de la lecture. « L’effet maître » : des pédagogies structurées, combinaison directe de pratiques guidées et d’apprentissages autonomes…sont plus efficaces que les stratégies amenant les élèves à s’approprier les concepts de manière autonome » (D.Bloch). C’est le savoir qui doit être « au centre de dispositif » en non pas l’élève. Réallocation des moyens au bénéfice de l’école élémentaire. Cette réforme implique une révolution culturelle au sein du ministère.
Augmenter le nombre de jeunes ayant accès à l’enseignement supérieur (25 % en France contre 40 % au Japon et au Royaume-Uni), accroître la dépense consacrée à l’enseignement supérieur (1,3 % du PIB en France contre 2,9 aux USA, 2,7 au Canada,). Articuler le lycée et l’enseignement supérieur notamment dans les filières professionnelles. Résorber les fractures entre universités, grandes écoles et recherche par la création de laboratoires mixtes.
A une société mortifère droguée à la consommation, au consensus et à la communication, il faut opposer « L’homme libre, capable d’aller au bout de toutes ses capacités », voilà l’idéal républicain.
« L’Ecole au cœur du modèle républicain, c’est le renouveau du civisme, donc du patriotisme… c’est en faisant aimer la France que nous pourrons résoudre le problème de l’intégration des jeunes issus de l’immigration… Enseigner la bonne et simple morale, car une société laïque ne peut se passer de règles élémentaires de vie civilisée…L’éducation civique et morale est un ciment pour une société qui ne peut plus compter pour cela sur l’Eglise ni sur le Parti communiste. »
XIV Le Grand pari sur la France au XXIe siècle : organiser la « résilience » de l’Europe
L’enjeu pour l’Europe est de se définir par rapport G2, ce partenariat de rivaux entre les Etats-Unis et la Chine qui sont comme le Yin et le Yang de ce début du XXIe siècle, et par rapport au néo-libéralisme qui s’est retourné contre elle. En tous domaines la capacité de réaction de l’Europe est faible sinon nulle. Il faut organiser sa capacité de survie en tant qu’ensemble de nations libres et démocratiques, la mettre en situation de se défendre : protection sociale, politique de change, politique industrielle, doctrine de défense.
Une « République européenne des peuples » articulant les volontés nationales n’est possible que sur la base d’une géométrie variable et pour un projet ou des projets partagés. Les institutions européennes, quels que soient leurs défauts, fournissent un cadre à la confrontation des politiques nationales, et le Conseil européen devient aujourd’hui le lieu essentiel du pouvoir. Il faut laisser les nations libres de s’organiser comme elles l’entendent, et interpréter, compléter les traités et même leur faire dire autre chose que ce qu’on leur a fait dire dans un autre contexte.
L’Europe doit prendre conscience d’une solidarité de destin, ce qui implique la consolidation des liens avec la Russie et avec la Méditerranée, mais aussi rester pleinement présente en Afrique et au Moyen-Orient en concluant de véritables partenariats stratégiques.
La Russie a besoin des capitaux et de technologies en échange de ses réserves énergétiques ; l’actuel rapprochement germano-russe est positif, mais les autres nations européennes doivent s’y impliquer. La Méditerranée, mer ancestrale pour le meilleur-le dialogue des cultures- et contre le pire- le choc des civilisations, doit être une priorité de notre politique étrangère.
Présente sur tous les continents, la langue française est déjà plus parlée en Afrique qu’elle ne l’est en Europe. L’Afrique subsaharienne comptera près de deux milliards d’hommes en 2050 dont six cents millions en pays francophones ; a-t-on mesuré le défi pour la France et l’Europe ?
Ne pas se laisser réduire à « l’Occident » qui provoquerait une solidarité de revanche par tous les pays qui n’en font pas partie.
Toutes les initiatives européennes furent prises sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne. Réunifiée, l’Allemagne ne fait plus de l’Union sa priorité et joue sa partition ; la France ne peut se mettre à la merci du bon vouloir allemand en matière économique et monétaire. Si l’Allemagne ne veut pas d’une telle Europe, la France attendra et peut resserrer ses liens avec la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne ; mais notre intérêt est dans la convergence franco-allemande pour défendre les intérêts de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. La patience est nécessaire…
Il faut défendre la zone euro à seize en changeant ses règles, refuser de la réduire à un noyau dur mortifère, changer les statuts de la BCE, lancer une grande politique industrielle… A défaut, « mieux vaut sortir de l’euro que mourir à petit feu » (A.Cotta), alternative qui serait nécessaire à notre survie.
Conclusion : l’avenir de la jeunesse ne s’écrit pas à Wall Street ni à la City de Londres
« Bâtie à l’aune du néo-libéralisme, l’Europe actuelle est une camisole de force pour l’initiative ; la guerre des monnaies nous piège. Nos enfants et petits-enfants avaient reçu un héritage fabuleux, on les en a dépossédés sans qu’ils s’en soient même aperçus. Notre jeunesse ne pourra pas ne pas s’aviser bientôt que la nation est une communauté de destin infiniment plus forte que toute autre. L’Europe qu’on lui a léguée ne la protège pas ; elle voudra la reconstruire et lui donner un sens.
« Ce n’est pas seulement la France qui a été vaincue, ce sont les idées de 1789 » a déclaré un idéologue du nazisme ; le coup n’a pas été fatal… La France et les idées de 1789 ont l’avenir devant elles. »
La France sera dans trente ans l’un des peuples les plus nombreux d’Europe ; elle peut prolonger la longue période de paix que lui assure la dissuasion nucléaire. Elle a surtout besoin de retrouver confiance en elle. Ses atouts sont solides : modèle républicain, tradition d’Etat et de services publics, position géopolitique favorable, puissance nucléaire membre permanent du Conseil de Sécurité, une diplomatie à vocation mondiale, une industrie qui compte encore de beaux fleurons, une recherche dynamique, une langue et une culture présentes dans le monde entier.
Partout les nations s’affirment, ce modèle ne s’est jamais imposé avec tant de force. Ce sont l’imagination et la volonté qui manquent le plus dans notre pays.
La jeunesse sait d’instinct que son avenir ne s’écrit ni à Wall Street ni à la City, mais va se jouer ici, et que la vraie aventure sera de parier sur la France. Ce sera difficile ? Mais il faut compter sur les secousses d’une histoire qui s’est remise en route.
Soit la France sort de l’Histoire et se fond dans un magma sans tête à la remorque d’une Allemagne incertaine, soit elle redevient une nation libre et consciente d’elle-même et continue son histoire. Il n’y aura pas d’ « Europe européenne sans la France».
=> Commander "La France est-elle finie?" sur le blog de Jean-Pierre Chevènement
Voici le résumé de "La France est-elle finie?" de Jean-Pierre Chevènement. Par chapitre, au risque de répétitions, les idées maîtresses sont exposées de manière concise, souvent citées intégralement. Ce document a un double but : faire connaître succintement le contenu de cet ouvrage à un large public qui n’aurait ni l’intention ni la disponibilité de le lire, et, pour d’autres, rester bref pour inciter à la lecture. Analyse lucide du bilan de la gauche, regard aigu sur le monde actuel, vision d’un avenir à notre portée, c’est un livre d’Histoire et d’espoir.
________
Introduction:
« La France apparaît comme un pays sans ambition, sans grandeur ; l’essentiel se passe ailleurs. Serait-elle sortie de l’Histoire ? Il n’est pas possible de réinventer l’avenir sans avoir éclairci son histoire récente. Le peuple a besoin de pouvoir se projeter dans l’avenir, c’est cette vision qui lui fait défaut aujourd’hui. Or pour inventer l’avenir, il faut rendre le passé lisible. »
I 1971-1983 : la gauche perd la bataille qu’elle n’a pas livrée
F.Mitterrand : « je ne pense pas qu’aujourd’hui la France puisse faire autre chose que passer à travers les gouttes ». Au fond, F.Mitterrand pensait peut-être que la France était morte depuis 1940 et même avant. Pour lui, l’hégémonie des Etats-Unis bornait l’horizon pour longtemps.
La victoire de 1981 fut à contre-courant de l’évolution de la fin des années soixante-dix, au moment où l’épuisement idéologique de l’URSS et de la sociale-démocratie facilitaient la victoire du néo-libéralisme, dont le modèle n’est qu’un nouveau calcul des coûts de la paix intérieure : rétablir le niveau des profits financiers, baisser le coût du travail, s’en remettre à la loi du marché, supprimer l’intervention de l’Etat dans l’économie.
Au sein du PS et du gouvernement s’est développé un fort courant qui, à la suite de Reagan et Thatcher, en accepte les principes : désinflation, franc fort, déréglementation de la finance, autorégulation du marché, pouvoir aux actionnaires. L’alliance de Delors aux finances et de Mauroy premier ministre en furent les acteurs, auxquels tentèrent de s’y opposer J.P.Chevènement et J.Riboud, partisans d’une politique publique de développement industriel, de reconquête des marchés soutenue par une dévaluation, d’investissements dans la Recherche.
De 1981 à 1983, des décisions importantes conformes au programme socialiste sont prises : nationalisations, décentralisation, soutien à la recherche, mais le courant social-libéral partisan de l’économie de marché finit par l’emporter : refus de dévaluer, blocage des salaires et des prix en mars 1982, refus de créer une banque nationale d’investissements ; en mars 1983, décision de pérenniser l’arrimage du franc au mark instauré par Giscard d’Estaing en 1978. La gauche française cède devant les coups de boutoir du capitalisme anglo-saxon.
II 1983-1989 : Bruxelles-Paris, le chemin le plus court pour la normalisation libérale
La « rigueur » de Delors et Bérégovoy inaugure la nouvelle politique: désinflation compétitive, salaires déconnectés de la productivité dont les bénéfices profitent aux seuls actionnaires, libéralisation de la finance, déréglementation du marché des capitaux au sein de l’Europe mais également vis-à-vis des Etats tiers, copie française de la politique que mènent Reagan et Thatcher. L’Acte Unique qui l’officialise est voté en 1987 par la Droite revenue au pouvoir et par la gauche (sauf le PC) « dans l’inconscience générale… nul n’expliqua aux députés ses conséquences… L’habileté de F.Mitterrand fut de ne jamais admettre qu’il avait changé de cap. »
Indépendance de la Banque Centrale, omnipotence de la Commission européenne, effacement des politiques industrielles, déséquilibre entre le capital et le travail, délocalisations, le néo-libéralisme mondialisé triomphe, porté par la droite libérale et la gauche légitimiste.
L’Europe qui s’ébauche sous ces principes était présentée par ses promoteurs comme le remède aux risques inhérents à la mondialisation. Aujourd’hui les mêmes se plaisent à dénoncer les désordres du système dont ils ont soutenu la mise en place, sauf les Delors, Lamy, dont le dogmatisme « tout enrobé de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir… »
Quelques rappels : suppression de la clause d’harmonisation fiscale préalable au marché unique en 1989, minoration de la fiscalité des revenus du capital (Bérégovoy en 1990), régime fiscal très avantageux pour les stock-options (Strauss-Kahn en 1998), interdiction aux Etats de défendre leurs entreprises stratégiques contre les OPA (directive approuvée par les élus PS à Strasbourg).
« Une douce amnésie recouvre ce riche bilan… »
III 1989-1995 : le pari pascalien de F.Mitterrand
Il ne croyait plus que la France puisse jouer son propre jeu entre l’Allemagne, le Japon et les USA, ni inventer son propre modèle. En voulant « choisir l’Europe », il n’a pas vu qu’il ouvrait la voie à la mondialisation financière. L’Europe comme croyance métaphysique, pari grandiose sur un au-delà des nations.
L’Allemagne a reconstruit une industrie puissante, sa monnaie est forte. En politique étrangère Kohl s’appuie principalement sur les USA ; la Réunification est son projet essentiel ; ce but atteint, l’Allemagne sera l’homme fort de l’Europe.
F.Mitterrand est conscient que la réunification allemande bouleverse la donne européenne. Pour contrebalancer cette puissance, il lui faut parier sur l’Europe, exiger de l’Allemagne son intégration rapide et l’abandon du mark, sa force économique, au profit de la monnaie unique. Le marchandage Union européenne contre Réunification (1989-1990) aboutit immédiatement au traité de Maastricht de 1992.
L’Europe ainsi faite satisfait les exigences allemandes : Banque Centrale indépendante des Etats, interdiction de toute politique monétaire, limites strictes du déficit public, de l’inflation, de la dette, imposées aux Etats. En voulant « lui prendre son mark », F.Mitterrand ne s’était pas avisé qu’il imposait à l’Europe un « mark-bis ».
Pour la France, les conséquences de l’euro fort sont claires : des exportations en régression, une croissance ralentie, un fort chômage, un déficit budgétaire impossible à réduire, un endettement public qui passa de 32 % en 1992 à 58 % en 1998 ; la régression de notre industrie dont la part dans le PNB passe de 29 % en 1982 à 22 % en 1998 et à 13 % en 2009, tandis que le déficit de nos échanges avec l’Allemagne quadruple de 1982 à 2009.
« Ma réaction à Maastricht a été un rejet viscéral…Je ne crois pas à l’au-delà des nations…C’est la confusion de la nation avec le nationalisme que je récuse ; … s’il en est une maladie, il n’en est pas la fatalité… Le patriotisme est l’amour des siens, le nationalisme la haine des autres…Les nations, dans la conception républicaine qui est la nôtre, restent le socle de la démocratie et des valeurs que nous devons transmettre. »
IV 1916-1992 : Aux racines du « pari pascalien » de F.Mitterrand
Si F.Mitterrand se rallie au libéralisme au nom de l’Europe, ce n’est pas un artifice, mais son projet essentiel. Il fait le jeu du Capital parce que contrairement à de Gaulle, il a pris acte de l’effondrement de 1940, qui lui-même résulte de l’épuisement de la France au lendemain de 1918. Il a vécu la situation tragique des années trente marquées par le refus définitif de la guerre, un pacifisme diffus, une posture strictement défensive, un anticommunisme qui se substitue au patriotisme et, à l’extérieur, l’isolement de la France. Face à Hitler, la majorité des élites ont déjà capitulé dans leur têtes, d’où l’absence de réaction devant ses provocations.
La défaite de 1940, sans précédent dans notre histoire, la honte de Vichy, régime auquel il collabore un temps, son engagement dans la Résistance en 1943 qui n’efface pas son refus de l’action politique de de Gaulle et, au contraire, privilégie une alliance étroite avec les Etats-Unis, de telles expériences de jeunesse rendent compte de ses choix dans les années 1980-1990.
« Ainsi l’Europe est pour lui notre seul avenir…Il adhère au projet de J.Monnet pour qui la paix en Europe exige l’effacement des souverainetés nationales. Pour échapper à l’opprobre du nazisme et reconquérir un rang de grande puissance, l’Allemagne réunifiée n’a d’autre choix que de prendre sa place dans une Europe de la Paix. Pour ces deux Etats traumatisés, l’Europe est la voie idéale pour refouler un lourd passé. « Ce refoulement …altère la faculté de jugement de nos bons européens…ils communient dans cet amour rétrospectif de la paix qui les rends aveugles à l’avenir mortifère que le choix d’un libéralisme biaisé induit pour l’Europe. »
V 1990-2008 : Le triomphe de l’inégalité
Sur quel monde le grand ralliement au néo-libéralisme effectué au nom de l’ « Europe » a-t-il débouché ? Explosion des cours boursiers : les actifs financiers mondiaux sont passé de 110 % du PNB mondial en 1980 à 346 % en 2006 ; hyperpuissance politique et militaire des USA ; avènement d’un « système d’avidité » (J.Stiglitz) qui exige 15 % de rendement des capitaux et génère des fortunes colossales ; « la mondialisation heureuse » célébrée par A.Minc.
Mise en concurrence des territoires et des systèmes sociaux qui entraînent délocalisations, confiscation des gains de productivité par les actionnaires, stagnation salariale, endettement des ménages. Déclin des Services publics, échec scolaire qui masque l’échec social, perte de plus de deux millions d’emploi industriels en trente ans. «Un programme de destruction des collectifs… débouchant sur un monde darwinien fait de flexibilité, d’insécurité, de stress et de souffrances… » (P.Bourdieu). Un monde de la démesure.
Maastricht, qui prétendait protéger, traduit en directives européennes les exigences du système. La part de l’UE dans la production mondiale régresse constamment. Le ratio de rentabilité est le nouveau Veau d’Or. L’euro fort provoque la dégradation de la compétitivité des entreprises françaises et trois millions de chômeurs en 2010. « Pour la gauche et la droite associées depuis vingt-cinq ans dans la même politique, de l’Acte unique à Lisbonne, le bilan est lourd. » Si les pays émergents ont profité de la globalisation, ils en subissent les mêmes conséquences : explosion des inégalités, exploitation effrénée de travailleurs sans protection. Partout et seul le Capital est gagnant. Retour à la « Belle époque » du capitalisme d’avant 1914.
« Face à ce monde d’iniquité à l’accouchement duquel ils ont contribué – sans doute pour beaucoup bien involontairement -, les sociaux-libéraux qui se voulaient, en France, en 1991, « à l’avant-garde du nouvel ordre international » proclamé par Bush père, restent sans voix, comme la poule qui croyant avoir pondu un œuf se retrouve en présence d’un couteau. »
VI 1990-2010 : le retour de l’Allemagne
Nation désormais dominante, l’Allemagne impose ses choix à l’Europe : reconnaissance unilatérale de l’indépendance de la Croatie, qui ouvre la voie à l’émiettement de la Fédération yougoslave et redonne une légitimité à la présence militaire américaine ; admission sans discussion dans l’UE des pays d’Europe centrale et orientale dont le niveau des salaires est huit fois inférieure à la moyenne des siens, créant ainsi pour l’Allemagne un vaste espace de sous-traitance de proximité tout en gardant pour elle les fonctions d’assemblage, de recherche, et de commercialisation ; refus d’une Union pour la Méditerranée qui échapperait à l’autorité de l’UE et permettrait à la France de jouer un rôle privilégié dans cette région.
Les choix fondamentaux de l’UE sont les siens : monnaie forte, priorité aux exportations, BCE indépendante, inflation quasi nulle ; modèle qui lui réussit, son excédent commercial passant de 59 mds € en 2000 à 177 en 2008, dont 60 % se fait sur les autres pays de l’UE. Une telle prospérité à l’export, en dépit de la monnaie forte, s’explique par la qualité, la technologie, l’importance de la recherche industrielle, un grand nombre d’entreprises innovantes de taille moyenne, mais également par la force d’un esprit collectif et la discipline syndicale, l’acceptation d’une stagnation du pouvoir d’achat (4,5 % d’augmentation en 10 ans contre 15 % en France, et 2 points de TVA en plus en 2008). Stratégie mercantiliste, « consciente, d’essence non coopérative avec les autres pays européens » (P.Artus) menée au détriment des partenaires de l’UE et qui fait obstacle à une politique économique cohérente au sein de l’Union; surenchère allemande, sans concertation, dans la sévérité des critères du pacte de stabilité ; menace d’exclusion de l’UE de pays trop endettés, ce qu’aucun traité ne prévoit !
« Redevenue normale », consciente de sa force, l’Allemagne « doit faire sienne l’idée de mesure ». Son unité retrouvée a pour conséquence le déclin continu de l’idéologie fédéraliste qui la dominait auparavant, et l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe et de son Tribunal affirmant que « les peuples de l’UE restent les détenteurs décisifs de la puissance publique », ne font que reprendre une argumentation développée depuis au moins deux décennies par les républicains français. Cette évolution positive va dans le sens d’une « République européenne des peuples » préconisée par J.P.Chevènement, instaurant des coopérations à géométrie variable.
VII 2008 et suivantes : la crise du néo-libéralisme
Déséquilibre fondamental du capitalisme financier : 3 % de croissance et 15 % de rendement sont une contradiction ; endettement abyssal des USA qui captent 8O % de l’épargne mondiale, la Chine qui détient plus de 2400 mds $ de titres américains et tient le sort du dollar ; déréglementation, titrisation, crise systémique engagée par la finance américaine et suivie comme des moutons par nombre de gouvernements et institutions.
Obligés de faire obstacle à la faillite des banques, les Etats reprennent du pouvoir mais substituent l’endettement public à l’endettement privé ; immédiatement les marchés financiers se retournent contre les Etats les plus endettés qui se sont mis en déficit pour les sauver… Logique d’un système qui veut faire payer aux contribuables, aux salariés, aux retraités, le coût de son sauvetage. « Les peuples se laisseront-ils faire ? »
Fable de la critique de l’immoralité du capitalisme, faite pour occulter les causes fondamentales de la crise et dévier la colère des victimes vers une poignée de spéculateurs. « Au-delà des banquiers et traders, il y a la responsabilité des politiques …qui ont déréglementé depuis bientôt trois décennies… et de tous les grands prêtres du marché.»
« Globalisation financière et hégémonie mondiale des USA sont l’avers et l’envers d’une même pièce ; le ralliement de la gauche européenne à un modèle si contraire à ses principes n’en apparaît que plus piteux. »
Pertinence de l’analyse marxiste : au cœur du système se trouve l’insuffisance de la demande du fait de la déflation salariale induite par la concurrence des pays à très bas coûts…Mais la contradiction principale vient de ce qu’appuyées sur l’hyperpuissance américaine, les multinationales ont délocalisés hors des USA un bonne part de leur production. L’épuisement du modèle est lié au déclin des Etats-Unis.
Désorganisation de l’Irak et de l’Afghanistan, montée de l’Iran, refus israélien de créer un Etat palestinien viable. « Le spectre de la guerre rôde à nouveau à l’horizon… Les mesures économiques prises par les USA ne corrigeront pas les déséquilibres de l’économie mondiale mais les accroîtront…L’hypothèse d’un reprise durable semble aujourd’hui exclue… L’euro étouffe la croissance et interdit aux pays d’Europe du Sud de dévaluer pour regagner leur compétitivité perdue… L’Europe de Maastricht révèle au grand jour les failles de sa conception. »
VIII 2010 et suivantes : la crise de la monnaie unique
Une zone euro construite sur des bases économiques hétérogènes, sans harmonisation des politiques, réduites à une discipline budgétaire dépourvue de gouvernement économique et de politique monétaire conformément à la volonté de l’Allemagne. Un seul objectif : empêcher les déficits et l’inflation. « L’union monétaire européenne est un canard sans tête. »
Surévalué, l’euro a entraîné une perte considérable de compétitivité pour la plupart des pays (la part de la France dans le marché mondial régresse de 6 % à 3,8 % de 1993 à 2010) ; la zone euro est la lanterne rouge de la croissance et détient le ruban bleu du chômage. En 2007, proposer d’introduire un objectif de croissance à la BCE provoqua un tollé chez les socialistes français et européens…
La crise grecque est une répétition générale des crises à venir. Les Etats endettés, qui sauvèrent les banques en 2008, sont contraints maintenant d’emprunter chèrement aux banques qui, elles, se refinancent à bas taux auprès de la BCE qui n’a pas le droit de prêter aux Etats.
Poursuivant son objectif de défense de ses industries exportatrices, l’Allemagne, pour conjurer la crise de l’euro, s’est trouvée obligée d’accepter de soutenir les pays fortement endettés, mais exige des sanctions automatiques telles que la privation du droit de vote au Conseil européen, voire l’exclusion de l’UE.
Le FMI intervient désormais systématiquement pour un tiers dans les aides financières de l’UE et en est le maître d’œuvre ; les Etats-Unis détenant un droit de veto au sein de son Conseil, « la zone euro est entrée sous tutelle américaine. »
« Les conséquences des plans de rigueur (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie, France, Allemagne) ne peuvent être qu’une nouvelle récession dans la zone euro avec, en perspective, une probable cascade de crises sociales et politiques. »
Ne pas d’emblée prôner l’abandon de l’euro, qui apporte quelques avantages (évitement des dévaluations fréquentes, stabilité des exportations,) mais surtout symbole politique ; l’essentiel est de changer les règles du jeu, d’avoir une ambition et une vision politique : un vrai gouvernement économique de la zone, une initiative impliquant une initiative de croissance et d’emploi, une relance européenne, principalement salariale pour redynamiser la demande intérieure, un grand emprunt pour financer un programme d’infrastructures, de recherche et d’innovation, une politique de change redonnant à l’euro une parité correcte avec le dollar. Sans un accord avec la Chine sur le yuan, des mesures de protection seraient inévitables.
« Si l’UE continue dans la voie d’un plan coordonné d’austérité, elle court au désastre ; » (J.Stiglitz)
A défaut d’une relance de la croissance en Europe, on ne peut exclure la sortie d’un pays qui en entraînerait d’autres et aboutirait à la dislocation de la zone. Les USA doivent interrompre leur politique de dévaluation et conclure un accord avec l’Europe sur un système de change réaliste. Une « monnaie commune » (refusée par l’Allemagne en 1992) réservées aux transactions extérieures avec des parités ajustables entre les monnaies nationales serait une position de défense possible.
« Ou bien l’Allemagne acceptera de réviser les règles de l’euro, ou bien elle risque d’entraîner les autres européens vers une crise économique et politique majeure… A défaut, le bon sens commanderait à la France de préserver son tissu industriel… Nos élites financières ne sont sans doute pas prêtes à un tel choix. Seul le peuple pourra le leur imposer. »
IX 1983-2010 : la gauche piégée
« Double piège : par l’économie et par la géopolitique. Ses choix libéraux l’ont conduite dans le mur ; ses choix européistes lui ont mis la corde au cou… piège efficace grâce à la confusion entretenue entre la nécessaire union des peuples et les formes prises par la construction européenne. »
Le social-libéralisme accepte le capitalisme financier en croyant distraire quelques miettes de croissance pour financer le social. Il refuse la « vieille gauche » : Etat-providence, projet collectif, égalitarisme, rôle limité du marché, et s’approprie les nouvelles aspirations : consumérisme, développement personnel, modernité sociétale favorables aux revendications des minorités actives. « Rejet des nationalisations, inéluctabilité et nécessité de la mondialisation du commerce et des investissements, flexibilité du travail, réduction des filets de sécurité… les fruits de la croissance engendrés par le libre marché peuvent être largement partagés lors qu’on offre aux laissés pour compte de cette croissance la possibilité de s’adapter » (J.Delors)
Les intentions pieuses des sociaux-libéraux les ont empêchés de voir la vraie nature du capitalisme financier et le creusement des inégalités qu’il engendrait. En résulte la retentissante défaite de 1993, la « victoire » accidentelle en 1997, l’éloignement des couches populaires (11 % des ouvriers votent socialiste en 2002),l’ absence de toute autocritique de fond.
« On ne modifie que très difficilement le génome d’un grand parti … Nous avons cherché (Chevènement et le Ceres , ndlr) à infléchir de l’intérieur d’abord, de l’extérieur ensuite, la ligne du PS, à nos risques et périls… Nous avons cru naïvement … servir F.Mitterrand, peser sur sa ligne ; nous croyions en la capacité du PCF à renouer avec l’héritage de la Résistance… il était d’abord une machine de pouvoir. Nous avons cru pouvoir apporter à L.Jospin une vision républicaine qui lui aurait permis, s’il l’avait faite sienne, de rencontrer la France ; mais le génome socialiste – l’internationalisme d’avant 1914 et le pacifisme d’avant-guerre transmutés en européisme- ne se laisse pas facilement modifier… il y faudra une secousse beaucoup plus forte, un choc venu de l’extérieur. Peut-être se devine-t-il déjà à l’horizon. »
Perte ou quasi disparition de nos industries (machine-outil, industries de consommation, métallurgie mécanique), délocalisation de la moitié de l’automobile ; le nucléaire, Airbus, le TGV, Ariane sont des choix de de Gaulle et Pompidou. L’excédent commercial de l’agriculture allemande est quatre fois supérieur au nôtre. Seuls restent le luxe et la défense. Les services sont eux aussi exposés à la délocalisation, les banques en crise. On commence seulement à s’aviser qu’il y a contradiction fondamentale entre l’intérêt national et celui des multinationales.
« Ces conséquences ne sont pas dissociables de la mise en congé de la Nation… le marché déguisé aux couleurs de l’Europe a conduit à l’effacement de la France et à l’oubli de ses intérêts. »
« L’Europe s’en est remise aux Etats-Unis du soin de sa défense … elle n’en a pas la volonté…, alors que l’effondrement de l’URSS offrait une occasion unique de se libérer de la tutelle de l’OTAN. »
Au second septennat, « l’objectif de la victoire avait remplacé celui de la réussite… nous allions gagner mais ne savions pas quoi faire » (F.Hollande)
Les socialistes ont rompu avec « la tradition de l’Etat producteur au début des années quatre-vingt…quel autre événement, à la portée historique, idéologique, économique, sociale, culturelle, stratégique, aussi considérable, fait-il l’objet d’un si grand oubli et même d’un si puissant et si constant déni ? » (A.Bergougnoux et G.Grünberg)
X 1940-2040 Finis Franciae ?
« Comment cette conversion libérale et européiste a-t-elle été possible ? une seule réponse convaincante : l’empreinte laissée dans les consciences par l’effondrement de la France en 1940. » J.Monnet en fut la méthode : empêcher la reconstitution des souverainetés nationales, les fusionner dans une Fédération bâtie sur des solidarités de fait, réduire les gouvernements à des agents d’exécution. Elle s’imposa à la faveur de la profonde dépression des nations européennes, et est à l’origine de la Commission européenne, de la BCE, de la Cour de Justice, institutions sans finalité, déconnectées du suffrage universel. L’Europe sans les peuples et inféodée aux Etats-Unis !
Des historiens, sociologues, politiciens s’acharnent à faire voir notre histoire sous son plus sombre jour, à confondre Vichy avec la France pour dénoncer « l’idéologie française. » Quelle histoire est enseignée aujourd’hui ? L’art aratoire à travers les civilisations plutôt que le baptême de Clovis ou l’œuvre de la Convention. Vision pessimiste, appuyée sur des faits historiques,mais qui méconnaît la grandeur de la Révolution.
La France est tiraillée entre trois tropismes antagonistes : l’océan et le rêve du grand large, le continent et la tentation hégémonique en Europe, la Méditerranée et la séduction de l’Afrique et de l’Orient. Elle perdit le combat pour l’hégémonie maritime face à l’Angleterre, puis sur le continent avec la « surextension impériale » de Napoléon, enfin elle subit le destin du colonialisme en Afrique et en Indochine. Mais la Révolution n’eut jamais pour but de dominer l’Europe. Robespierre : « Paris n’est pas la capitale du monde, ni un point de départ pour sa conquête… La manie de rendre une nation libre et heureuse malgré elle n’a pas de sens. »
« L’effondrement de 1815 n’a pas empêché que les idées de la Révolution se propagent d’abord en Amérique latine, puis à toute l’Europe. Cela nos élites ne le voient pas. Les Traités de Versailles consacreront la liberté des nations… Aucune des nations de l’Europe centrale et orientale n’aurait accédé à une existence indépendante sans ces traités… C’est le principe des nationalités qui a triomphé sur les décombres des empires. »
La France s’est faite la championne de la nation « citoyenne », et devrait se sentir directement concernée par les défis républicains que doivent relever tant de nations anciennes et nouvelles. Encore faudrait-il que nos élites fatiguées se sentent investies du devoir de porter le message républicain : respecter l’authenticité des peuples et parier sur leurs propres motivations pour leur permettre d’accéder aux valeurs universelles. » Nos élites sont-elles capables de penser une entente continentale allant de l’Espagne à la Russie ? Il faut rendre à la France l’estime de soi.
« La vraie victoire appartiendra à celui ou à celle qui, en 2012 ou après, saura mettre un terme à cette crise nationale de longue durée. A cela deux conditions : l’appropriation par la gauche des valeurs républicaines à transmettre, et un accord de peuple à peuple entre la France et l’Allemagne sur un projet d’Europe européenne. »
XI 2010-2040 France-Allemagne : sortir de l’Histoire ou la continuer ensemble ?
Que veut l’Allemagne ? Que faire ensemble ? Une thèse affirme un désintérêt mutuel, une indifférence ; normalisée, l’Allemagne aurait assimilé « la culture des vainqueurs » (celle des américains ?) ; est-ce un aplatissement, le refus d’un rôle historique au-delà de la prospérité économique ? Ce serait un obstacle majeur pour le destin de l’Europe.
Seul point hors norme, l’Allemagne fait l’impasse sur sa capacité de défense autonome, persiste à se mettre à la remorque des USA ; son atlantisme empêche une vraie Europe de la défense. Les pays d’Europe centrale et orientale, de l’arc atlantique, de l’Europe méditerranéenne ne souhaitent pas autre chose que la protection américaine, qui évolue vers l’installation d’un « bouclier anti-missiles ». S’en remettre à cette protection signifierait pour l’Europe la perte de toute autonomie stratégique et technologique.
Les Etats-Unis défendent leurs intérêts, l’Europe doit donc exister par elle-même. La France doit donc conserver sa capacité autonome de défense. L’Allemagne, un jour, y verra peut-être son intérêt.
Le choix est entre une « Union occidentale Europe-Etats-Unis » (projet Balladur) et une « Europe européenne », seul enjeu qui, aux yeux de la France, vaille dans le long terme. L’Allemagne en détient la clé. Sur les problèmes du Proche et Moyen Orient, les futurs rapports des USA avec la Russie, avec la Chine, l’Europe est politiquement aux abonnés absents alors que ses intérêts sont engagés.
Question simple posée à nos deux pays : voulons-nous ensemble donner un sens à l’Europe ? Question jamais publiquement posée. Le SPD et Die Linke perpétuent la profonde division de la gauche allemande née du conflit sanglant de 1919 ; leur réunion parachèverait la réunification au plan politique et culturel, et rapprocherait l’Allemagne de la France. Ou l’Allemagne fait cavalier seul, ou bien nos deux pays définissent un intérêt européen ensemble : l’héritage des Lumières, un modèle social, une défense autonome, une main tendue à la Russie, une alliance sans subordination avec les Etats-Unis, un co-développement avec la Méditerranée et l’Afrique, une régulation économique mondiale. Nous n’en sommes hélas pas là aujourd’hui.
XII La gauche, la droite et la République du XXIe siècle
« Le retour de la France comme une nation capable de fournir des repères en Europe et dans le monde n’est pas un projet moins raisonnable que celui de la France libre en 1940 … Elle doit inventer la République du XXI e siècle par-delà une gauche et une droite également dissoutes dans le bain du néo-libéralisme, remettre le peuple debout et en faire l’acteur de son destin… » Pour cela redéfinissons nos concepts.
« La gauche » naît avec la Révolution française (refus du veto royal) et fait corps avec l’idée de souveraineté populaire. « Socialisme » signifie avant tout critique du capitalisme, et ne retenons de Marx que la méthode d’analyse : la valeur travail, le rapport entre l’évolution des classes sociales et celle des forces productives, la critique de l’idéologie dominante.Mais la pensée socialiste n’a pas suffisamment réfléchi à la Nation, à l’Etat, à la Révolution, d’où ses échecs historiques : incapacité d’empêcher le conflit de 1914, dérive dictatoriale du bolchevisme, pacifisme paralysant face au fascisme. Incapacité à penser les sociétés non européennes : légitimation de la colonisation, européocentrisme face aux mouvements de libération nationale, incompréhension des nationalismes du tiers-monde. Aujourd’hui incapacité à s’opposer au capitalisme mondial dans les institutions européennes, à l’OMC, au FMI… « Les transfuges socialistes récupérées par la droite (Rocard Kouchner) ont été logiques avec eux-mêmes, car depuis longtemps ils pensaient comme elle. »
De même quitter le mythe de la refondation à zéro ; « ce fut la force des fondateurs de la IIIe République que de vouloir assumer toute l’histoire de France en même temps qu’ils promulguaient d’audacieuses réformes. »
Gauche et droite sont en désuétude, « la première pour avoir tourné le dos aux couches populaires, la seconde pour s’être détournée de la nation, et cela pour rallier toutes deux le néo-libéralisme…
Il y a une chose qui est au-dessus de la gauche et de la droite telles qu’elles sont devenues, c’est la République. »
Le fédéralisme européen des socialistes est une impasse, à contre-courant des réalités politiques et économiques. Dans tous les pays les peuples s’en détournent (60 % d’abstentions). « Il faut compter sur le bon sens et le courage des futurs dirigeants de la France pour écarter la perspective de créer, à partir de l’euro, une Fédération européenne qui serait à la fois anti-démocratique et ruineuse. »
La gauche doit se mettre à la hauteur du défi, critiquer N.Sarkozy sur son projet libéral, européiste, occidentaliste, et non sur sa personne. Il faudrait pour cela que les socialistes fassent leur le concept de « nation républicaine »…mais s’approprient aussi la France comme une totalité venue du fond de l’Histoir. Le caractère universaliste de la culture française, qualité majeure, expose toutefois au risque de rendre aveugle aux autres cultures, et même à la sienne, à tel point que l’appartenance politique du citoyen remplace l’appartenance culturelle ; cela conduit à sous-estimer les rapports difficiles avec les autre cultures holistes et surtout à abandonner à la droite des valeurs nécessaires au « vivre ensemble ».
« Un gauche de gouvernement doit se réapproprier les valeurs de transmission : l’Ecole du savoir et de la citoyenneté, une égale sécurité pour tous, le patriotisme républicain exigeant qui a su battre le nationalisme identitaire antirépublicain (l’affaire Dreyfus), l’amour du travail bien fait et de la connaissance. » Un tel héritage permet de maîtriser les questions de sécurité et d’immigration, alors qu’un affrontement droite/gauche conduit à défendre des postures identitaires (sans-papiérisme sans rivage, culture de l’excuse face à la délinquance) qui deviennent de lourds handicaps une fois parvenu au gouvernement.
Dispersées, émiettées, les couches populaires existent toujours et ressentent plus que d’autres le poids de la précarité. Les couches moyennes et supérieures se divisent en d’une part les oligarchies financières et les privilégiés qu’elles entraînent, d’autre part les petits et moyens entrepreneurs et l’essentiel des classes moyennes dont la mondialisation lamine les revenus.
« Il faut donc rassembler à partir d’une conception élevée de l’intérêt national, inséparable d’une vue mondiale des choses, sur une base républicaine. »
XIII Le grand pari sur la France au XXIe siècle : faire vivre le modèle républicain
Hégémonie montante de la Chine, hégémonie déclinante des Etats-Unis, dans les décennies dangereuses qui s’annoncent, la capacité de l’Europe à surmonter le choc psychologique autant que matériel que constitue la fin de l’hégémonie qu’elle exerça depuis le XVIe siècle, est une condition nécessaire pour gérer pacifiquement cette pluralité. Or l’Europe de Maastricht rétrécit en tous domaines (démographie, économie, industrie, commerce, diplomatie) et a accéléré le déclin des nations, enfermée dans une « irrealpolitik, mélange brumeux d’abstraction et d’ingénuité bien intentionnée. » (H.Védrines)
Nos contraintes sont d’abord « intellectuelles » ; réapprenons à penser librement, à partir de la France, seul point d’appui solide pour exercer une influence. La France a fourni le modèle de la nation républicaine qui l’a emporté presque partout sur la conception ethnique, celle-ci encore pratiquée mais rarement revendiquée. Il y a une façon niaise de promouvoir l’idée républicaine : invoquer les Droits de l’Homme en oubliant les droits du citoyen, invocation qui bien souvent n’est que la marque de l’ingérence qu’autrefois on appelait « impérialisme », car ce sont les pays forts qui les agitent devant les pays faibles. La manière intelligente est d’affirmer la liberté des peuples, et de leur offrir la capacité d’organisation qui leur font souvent défaut pour s’affranchir des dominations anciennes et nouvelles.
Face à l’islamisme radical qui prône la reconstitution d’une communauté transnationale par-delà des Etats considérés comme impies, le monde arabo-musulman s’est lui aussi organisé en nations, évolution positive qui ne nie pas l’unité culturelle de ce monde mais évite le durcissement des oppositions religieuses.
La France doit réactiver le modèle républicain comme elle l’a fait à la Libération avec le programme du Conseil National de la Résistance : retrouver le sens de la durée et du projet collectif, ce qui est le rôle de l’Ecole ; rompre avec la dictature de l’instant, provoquée par le choix politique de la déréglementation financière, et qui substitue les bulles médiatiques au vrai débat politique ; revaloriser le citoyen contre l’individu consommateur désaffilié de ses liens et de la réalité (« le prolétaire est celui qui sert un système dont il n’a pas le savoir » B.Stiegler) ; dépasser l’horizon des marchés, car le système encore intact n’évitera pas de nouvelles crises ; changer les règles de la compétition mondiale par l’instauration d’une concurrence équitable entre pays à très bas salaires et pays anciennement industrialisés, un système monétaire européen, l’amarrage de la monnaie européenne au dollar, la réorganisation du système monétaire international autour des quatre grandes monnaies.
Deux projets républicains : la politique industrielle, l’éducation et la recherche.
Politique industrielle :
« Seul un travail correctement rémunéré et autant que possible valorisant confère la dignité requise dans une république civique. » Un grand ministère de l’Industrie, de grands projets (mobilité, énergie, robotique, biotechnologies et santé, numérique, nanotechnologies, aéronautique et espace, océans), soutien massif aux PMI, réformer la politique de concurrence de l’UE, créer un livret d’épargne industrie, promouvoir la culture scientifique et technique.
Education et Recherche :
Entre 20 et 25 % des élèves se retrouve en difficulté à tous les niveaux, du CP à la sortie du collège, presque toujours issus de milieux pauvres, faute de vocabulaire et d’un minimum de syntaxe, donc s’attaquer en priorité à l’apprentissage de la lecture. « L’effet maître » : des pédagogies structurées, combinaison directe de pratiques guidées et d’apprentissages autonomes…sont plus efficaces que les stratégies amenant les élèves à s’approprier les concepts de manière autonome » (D.Bloch). C’est le savoir qui doit être « au centre de dispositif » en non pas l’élève. Réallocation des moyens au bénéfice de l’école élémentaire. Cette réforme implique une révolution culturelle au sein du ministère.
Augmenter le nombre de jeunes ayant accès à l’enseignement supérieur (25 % en France contre 40 % au Japon et au Royaume-Uni), accroître la dépense consacrée à l’enseignement supérieur (1,3 % du PIB en France contre 2,9 aux USA, 2,7 au Canada,). Articuler le lycée et l’enseignement supérieur notamment dans les filières professionnelles. Résorber les fractures entre universités, grandes écoles et recherche par la création de laboratoires mixtes.
A une société mortifère droguée à la consommation, au consensus et à la communication, il faut opposer « L’homme libre, capable d’aller au bout de toutes ses capacités », voilà l’idéal républicain.
« L’Ecole au cœur du modèle républicain, c’est le renouveau du civisme, donc du patriotisme… c’est en faisant aimer la France que nous pourrons résoudre le problème de l’intégration des jeunes issus de l’immigration… Enseigner la bonne et simple morale, car une société laïque ne peut se passer de règles élémentaires de vie civilisée…L’éducation civique et morale est un ciment pour une société qui ne peut plus compter pour cela sur l’Eglise ni sur le Parti communiste. »
XIV Le Grand pari sur la France au XXIe siècle : organiser la « résilience » de l’Europe
L’enjeu pour l’Europe est de se définir par rapport G2, ce partenariat de rivaux entre les Etats-Unis et la Chine qui sont comme le Yin et le Yang de ce début du XXIe siècle, et par rapport au néo-libéralisme qui s’est retourné contre elle. En tous domaines la capacité de réaction de l’Europe est faible sinon nulle. Il faut organiser sa capacité de survie en tant qu’ensemble de nations libres et démocratiques, la mettre en situation de se défendre : protection sociale, politique de change, politique industrielle, doctrine de défense.
Une « République européenne des peuples » articulant les volontés nationales n’est possible que sur la base d’une géométrie variable et pour un projet ou des projets partagés. Les institutions européennes, quels que soient leurs défauts, fournissent un cadre à la confrontation des politiques nationales, et le Conseil européen devient aujourd’hui le lieu essentiel du pouvoir. Il faut laisser les nations libres de s’organiser comme elles l’entendent, et interpréter, compléter les traités et même leur faire dire autre chose que ce qu’on leur a fait dire dans un autre contexte.
L’Europe doit prendre conscience d’une solidarité de destin, ce qui implique la consolidation des liens avec la Russie et avec la Méditerranée, mais aussi rester pleinement présente en Afrique et au Moyen-Orient en concluant de véritables partenariats stratégiques.
La Russie a besoin des capitaux et de technologies en échange de ses réserves énergétiques ; l’actuel rapprochement germano-russe est positif, mais les autres nations européennes doivent s’y impliquer. La Méditerranée, mer ancestrale pour le meilleur-le dialogue des cultures- et contre le pire- le choc des civilisations, doit être une priorité de notre politique étrangère.
Présente sur tous les continents, la langue française est déjà plus parlée en Afrique qu’elle ne l’est en Europe. L’Afrique subsaharienne comptera près de deux milliards d’hommes en 2050 dont six cents millions en pays francophones ; a-t-on mesuré le défi pour la France et l’Europe ?
Ne pas se laisser réduire à « l’Occident » qui provoquerait une solidarité de revanche par tous les pays qui n’en font pas partie.
Toutes les initiatives européennes furent prises sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne. Réunifiée, l’Allemagne ne fait plus de l’Union sa priorité et joue sa partition ; la France ne peut se mettre à la merci du bon vouloir allemand en matière économique et monétaire. Si l’Allemagne ne veut pas d’une telle Europe, la France attendra et peut resserrer ses liens avec la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne ; mais notre intérêt est dans la convergence franco-allemande pour défendre les intérêts de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. La patience est nécessaire…
Il faut défendre la zone euro à seize en changeant ses règles, refuser de la réduire à un noyau dur mortifère, changer les statuts de la BCE, lancer une grande politique industrielle… A défaut, « mieux vaut sortir de l’euro que mourir à petit feu » (A.Cotta), alternative qui serait nécessaire à notre survie.
Conclusion : l’avenir de la jeunesse ne s’écrit pas à Wall Street ni à la City de Londres
« Bâtie à l’aune du néo-libéralisme, l’Europe actuelle est une camisole de force pour l’initiative ; la guerre des monnaies nous piège. Nos enfants et petits-enfants avaient reçu un héritage fabuleux, on les en a dépossédés sans qu’ils s’en soient même aperçus. Notre jeunesse ne pourra pas ne pas s’aviser bientôt que la nation est une communauté de destin infiniment plus forte que toute autre. L’Europe qu’on lui a léguée ne la protège pas ; elle voudra la reconstruire et lui donner un sens.
« Ce n’est pas seulement la France qui a été vaincue, ce sont les idées de 1789 » a déclaré un idéologue du nazisme ; le coup n’a pas été fatal… La France et les idées de 1789 ont l’avenir devant elles. »
La France sera dans trente ans l’un des peuples les plus nombreux d’Europe ; elle peut prolonger la longue période de paix que lui assure la dissuasion nucléaire. Elle a surtout besoin de retrouver confiance en elle. Ses atouts sont solides : modèle républicain, tradition d’Etat et de services publics, position géopolitique favorable, puissance nucléaire membre permanent du Conseil de Sécurité, une diplomatie à vocation mondiale, une industrie qui compte encore de beaux fleurons, une recherche dynamique, une langue et une culture présentes dans le monde entier.
Partout les nations s’affirment, ce modèle ne s’est jamais imposé avec tant de force. Ce sont l’imagination et la volonté qui manquent le plus dans notre pays.
La jeunesse sait d’instinct que son avenir ne s’écrit ni à Wall Street ni à la City, mais va se jouer ici, et que la vraie aventure sera de parier sur la France. Ce sera difficile ? Mais il faut compter sur les secousses d’une histoire qui s’est remise en route.
Soit la France sort de l’Histoire et se fond dans un magma sans tête à la remorque d’une Allemagne incertaine, soit elle redevient une nation libre et consciente d’elle-même et continue son histoire. Il n’y aura pas d’ « Europe européenne sans la France».
=> Commander "La France est-elle finie?" sur le blog de Jean-Pierre Chevènement